La 3e conférence des fonctionnaires de haut rang de Chine et de l’ASEAN s’est tenue en mai dernier à Beijing pour discuter de la Convention-cadre relative aux principes, aux modalités, au contenu et à la date des négociation sur l’Accord de libre-échange. La Convention-cadre une fois approuvée, les négociations officielles se mettront en branle. Mais le progrès substantiel des négociations ne sera possible qu’après avoir résolu plusieurs problèmes théoriques et pratiques.
La décision importante prise par les dirigeants de la Chine et de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) pour établir la zone de libre-échange en dix ans a suscité de larges réactions en chaîne dans la communauté internationale, notamment en Asie, et a impulsé l’intégration économique régionale. Au cours de la 3e conférence des fonctionnaires de haut rang de Chine et de l’ASEAN, tenue en mai 2002 à Beijing, les participants ont discuté de la Convention-cadre portant sur les principes, les modalités, le contenu et la date des négociations sur l’Accord de libre-échange, et ont décidé de fonder la Commission de négociations commerciales Chine-ASEAN. Dès que la Convention-cadre définie par les deux parties aura été approuvée, les négociations officielles démarreront. Mais, à envisager les choses à partir de l’expérience internationale, si une intégration économique régionale, à quel niveau que ce soit, veut progresser substantiellement dans les négociations sur l’accord commercial et le fonctionnement des mécanismes, les participants devront traiter et résoudre judicieusement les problèmes théoriques et pratiques suivants :
1. Exclusivité et ouverture
Ce que l’on appelle l’exclusivité de l’intégration économique régionale est concentré sur deux problèmes : D’abord, il y a disposition limitative envers les pays membres, c’est-à-dire que les membres doivent se trouver à l’intérieur de la zone à laquelle appartiennent les pays membres. Les membres de l’ASEAN ne peuvent qu’être les dix pays de l’Asie du Sud-Est, et les pays d’autres zones ne peuvent pas y adhérer. L’ASEAN a refusé, par exemple, d’accepter l’Inde qui a demandé à adhérer à cette organisation, parce que l’Inde est le pays du sous-continent asiatique, et non pas un pays de l’Asie du Sud-Est.
Ensuite la disposition limitative envers la politique préférentielle. Les traitements préférentiels que les pays membres s’accordent mutuellement sont limités dans la zone, et les pays extérieurs à la zone ne peuvent pas en bénéficier. La zone de libre-échange a pour but principal de réduire les barrières commerciales entre les pays membres et de liquider graduellement les restrictions non douanières, tout en maintenant leur politique de protection commerciale contre les pays non membres. Quand la zone de libre-échange atteindra l’étape de l’union douanière au cours de son développement, les droits de douane seront supprimés au sein de la zone et le libre-échange sera réalisé, mais les barrières commerciales communes seront maintenues envers les pays extérieurs, avec un taux de droit de douane unanime. L’exclusivité susmentionnée est une exclusivité raisonnable, que l’on doit maintenir.
2. Le pouvoir directeur et absence du pouvoir directeur
En ce qui concerne l’intégration économique régionale, il existe toujours une divergence sur la nécessité d’avoir, oui ou non, un « noyau dirigeant » ou « un Etat directeur ». Jusqu’à ce jour, on n’a pas trouvé une conclusion claire. Certains sont d’avis que les intégrations économiques de l’Europe et de l’Amérique ont pu obtenir un progrès impressionnant, à cause du rôle directeur des Etats-Unis dans la zone de libre-échange de l’Amériqieu du Nord, et de l’axe France-Allemagne dans l’Union européenne qui s’est étendue de la sphère économique aux domaines politique, militaire et social. En Asie, la régionalisation de l’économie est sans direction. Faute d’un moteur puissant de la régionalisation, l’intégration économique régionale de l’Asie n’a pas beaucoup progressé. Dans ces conditions, qui dirigera en fin de compte la coopération économique régionale en Asie, notamment en Asie orientale ? Ce sera le Japon, ou la Chine, ou la Chine et le Japon, ou l’ASEAN. Le Japon estime qu’il doit diriger la coopération économique régionale en Asie orientale, et craint que la Chine ne renforce son influence, ne dépasse et ne remplace le Japon, en tant que première puissance économique en Asie. Par contre, la Chine ne veut pas voir le Japon jouer le premier rôle dans la coopération économique régionale en Asie, et préfère soutenir l’ASEAN pour qu’elle y joue un rôle important. Du fait que le Japon ne peut pas aborder les questions historiques de manière correcte, une véritable confiance n’existe pas entre la Chine et le Japon. Il est donc impossible que la Chine et le Japon dirigent ensemble la coopération économique dans leur région.
Les Etats-Unis possèdent des intérêts stratégiques et économiques importants en Asie, notamment en Asie orientale. Les pays d’Asie manifestent donc une dépendance et une attente plus fortes des Etats-Unis que du Japon. Par conséquent, ils doivent prendre en considération l’intention des Etats-Unis, cet important pays membre « absent », quand ils formulent un programme et une démarche de la coopération régionale.
Promouvoir le développement harmonieux de la coopération « 10+3», «10+1» et entre la Chine, le Japon et la République de Corée est un principe stratégique correct. Dans l’avenir, la Chine doit continuer à souligner que « 10+3» constitue la voie principale de la coopération en Asie orientale, mais, dans les conditions régionales actuelles, il est assez difficile de mettre sur pied un mécanisme de coopération « 10+3». C’est pourquoi la Chine doit se pencher sur l’établissement de la zone de libre-échange Chine-ASEAN, sans affecter la possibilité de parvenir à une unanimité de vues et d’obtenir des progrès substantiels dans la coopération « 10+3» dans un secteur ou un domaine déterminé. Sur le plan financier, la coopération est plus ou moins fructueuse entre les pays d’Asie orientale. Le Japon a signé des accords d’échange monétaire avec Séoul, Bangkok, Manille et Kuala Lumpur. La Chine a signé elle aussi de tels accords avec Bangkok et Tokyo. Comme la zone de libre-échange Chine-ASEAN n’entraîne ni de problème de direction, ni de problème délicat de subventions à l’exportation de produits agricoles ni de problème d’affaiblissement et de remplacement de la zone de libre-échange de l’ASEAN, elle portera l’avantage aux deux parties.
3. Systématisation et non systématisation
La zone de libre-échange, l’union douanière, le marché commun, l’alliance économique et l’intégration économique complète sont les cinq étapes de l’intégration économique régionale, et les formes d’organisation systématisées de la coopération économique. Plus l’étape est supérieure, plus la systématisation est poussée. Comme l’APEC (Coopération économique Asie-Pacifique) a, lors de sa fondation, assimilé son rôle au Forum économique, organisation relâche, consultative et non systématisée. Il en a résulté que l’on est tombé dans un malentendu, croyant que la non systématisation est meilleure que la systématisation. D’où la discussion en la matière.
La systématisation consiste à consacrer le consensus auquel sont parvenues les négociations officielles, par la conclusion ou la signature d’un accord qui doit être ratifié par le Parlement de tous les pays participants et avoir l’effet juridique. La non systématisation est une promesse faite par les dirigeants des pays participants, au moyen de consultations collectives, promesse qui n’a pas d’effet juridique, et est liée seulement par la confiance et la moralité.
La coopération « 10+3», «10+1» et Chine-Japon-République de Corée adoptera le mécanisme de coopération économique régionale systématisée. Le noyau de la systématisation est constitué par les négociations officielles. Les négociations porteront sur des sujets assez larges, qui comprennent, par référence aux accords de libre-échange Etats-Unis-Canada, Etats-Unis-Canada-Mexique, les principes, les objectifs, les systèmes, le cadre fondamental, le mécanisme de fonctionnement et les modalités d’opérations de l’accord de libre-échange, qui traduisent de manière concentrée le « principe de libéralisation du commerce », le « principe de coordination systématisée en cas de conflit », le « principe de priorité du développement économique de la zone » et couvrent le commerce de marchandises, le commerce de services, le commerce de produits agricoles, la propriété intellectuelle, la protection de l’environnement, le règlement relatif à l’investissement, la politique sur la concurrence, les achats gouvernementaux, la procédure de l’import-export, les normes techniques du commerce et le mécanisme de règlement des litiges.
Les négociations entre la Chine et l’ASEAN sont semblables à celles entre les Etats-Unis-Canada et le Mexique, parce qu’il y a, dans les deux cas, comme base l’accord de libre-échange Etats-Unis-Canada et l’accord de libre-échange de l’ASEAN. Par conséquent, la Chine doit étudier profondément les accords de libre-échange de l’Amérique du Nord et de l’ASEAN. Les négociations sur l’accord de libre-échange Etats-Unis-Canada ont pris 16 mois, et celles des Etats-Unis, du Canada et du Mexique, 14 mois. Du fait que les négociations entre la Chine et l’ASEAN n’ont pas besoin de tout faire, on peut recourir à la procédure rapide et tâcher de parvenir au consensus au plus vite.
4. Majorité et minorité
L’organisation de coopération économique régionale est une unité économique monolithique composée au moins de deux pays. Sa coopération concerne non seulement la libéralisation du commerce et de l’investissement, mais aussi la coopération dans d’autres domaines économiques. D’après les expériences internationales, il existe toujours dans la coopération le problème de régler la contradiction entre la majorité et la minorité, que ce soit la coopération régionale Sud-Sud, la coopération régionale Nord-Sud ou Nord-Nord, problème difficile à résoudre.
La zone de libre-échange Chine-ASEAN recherche non seulement la réduction des droits de douane et la liquidation des barrières non douanières, mais aussi la coopération dans de nombreux domaines comme l’agriculture, l’information et la communication, l’exploitation des ressources humaines, la construction d’infrastructures et la mise en valeur du Mékong. Il arrive sans aucun doute que mus par des intérêts différents, les pays membres tiennent des points de vue différents en discutant d’un projet concret de coopération. Si, par consultation réciproque, ils ne peuvent pas parvenir à une unanimité de vues, ils feront face à deux possibilités : renoncer à la coopération ou agir selon l’opinion de la majorité. La première voie est passive, tandis que la seconde voie est positive. L’union monétaire est la plus grande contribution de l’Union européenne à l’intégration économique régionale. Dans sa manière d’agir, il y a deux points qui méritent une haute appréciation : premier point, les pays membres peuvent adhérer à la zone euro ou ne pas y adhérer temporairement ; deuxième point, l’adhésion à la zone euro n’est possible qu’à la condition que l’adhérent satisfasse aux cinq critères analogues. L’expérience de la zone euro a valeur de référence pour les pays d’Asie orientale en ce qui concerne la manière d’aplanir les divergences entre la majorité et la minorité dans la coopération économique régionale.
5. Intérêts de l’Etat et intérêts de la zone
Tous les pays adhérant à la coopération économique régionale ont leur motivation et leur recherche économiques. Mais, si tous les pays placent les intérêts de leur Etat au-dessus des intérêts de la zone et ne recherchent que les gains, la coopération économique régionale ne pourra pas aboutir. Par conséquent, comment coordonner les intérêts de l’Etat et ceux de la zone est un problème que les pays adhérant à la coopération économique régionale doivent résoudre judicieusement. Ceux-ci peuvent aussi se référer à certaines pratiques de la zone de libre-échange de l’Amérique du Nord. Les Etats-Unis par exemple qui jouent le rôle de direction et de prépondérance, doivent aussi prendre en considération les deux autres pays membres, notamment les intérêts économiques et le pouvoir de supporter du Mexique. Pour cette raison, l’accord de libre-échange de l’Amérique du Nord a établi une période transitoire et des traitements différentiels pour le Mexique. Durant la première période de la réduction des droits de douane, le Mexique n’a besoin de supprimer les droits de douane qu’envers 35% des marchandises venant des Etats-Unis, tandis que les Etats-Unis et le Canada exemptent 80% des marchandises mexicaines des droits de douane. Par ailleurs, l’accord a fixé une période transitoire de 10-15 ans pour les secteurs d’activité peu compétitifs du Mexique, afin que ce pays ait suffisamment de temps pour procéder à la restructuration économique.
Les négociations sur l’accord de libre-échange Chine-ASEAN constituent aussi un processus de recherche de l’équilibre des intérêts. Avant le commencement des négociations officielles, le gouvernement chinois a déclaré qu’il accorderait un traitement douanier particulièrement préférentiel envers le Laos, le Cambodge et le Myanmar afin d’accroître les importations en provenance de ces trois pays. Cet acte extrêmement important montre que la Chine est un pays responsable, et que sa proposition d’établir la zone de libre-échange Chine-ASEAN n’est pas seulement motivée par la recherche de ses propres intérêts, mais aussi par celle des intérêts d’ensemble de l’ASEAN, et notamment par la promotion du développement économique des pays les moins développés, dans le but de réaliser le développement commun et la prospérité commune. Les expériences internationales montrent que le règlement judicieux des rapports entre intérêts de l’Etat et intérêts de la zone accompagne tout le processus des négociations sur l’accord de libre-échange et du fonctionnement de la zone de libre-échange.
6. Facteurs économiques et facteurs non économiques
A l’heure actuelle, l’économie mondiale et les relations économiques internationales sont non seulement subordonnées aux facteurs économiques, mais sont aussi perturbés de plus en plus par les facteurs non économiques. Les facteurs non économiques désignent entre autres la politique, la société, la culture, l’histoire, la pensée et l’idéologie. Dans les rapports politiques et économiques internationaux, il est apparu deux tendances évidentes : la première est la politisation de l’économie et l’économisation de la politique, et la seconde est la nationalisation des problèmes internationaux et l’internationalisation des problèmes nationaux. Ces deux tendances manifestent l’influence des facteurs non économiques sur le développement économique et les relations économiques internationales.
Les facteurs non économiques qui agissent sur le dialogue et le mécanisme de coopération de « 10+3», «10+1» et Chine-Japon- République de Corée peuvent se résumer en ceci : la compréhension des problèmes historiques par le Japon, l’existence du traité américano-japonais sur la sécurité et la défense, l’ingérence d’une minorité de pays dans les affaires souveraines d’autres pays, les activités extrémistes des intégristes islamiques, les différends sur la souveraineté territoriale, les bouleversements sociaux et politiques, l’application forcée des valeurs et du mode de développement de l’Occident. Tout cela influence négativement le réajustement et la coopération économiques en Asie, notamment en Asie orientale. Que ce soit au sens large ou au sens restreint, l’intégration économique en Asie orientale rencontre une résistance beaucoup plus forte que n’importe quelle autre zone. Le plus important est que les pays d’Asie orientale renforcent leur confiance réciproque sur le plan politique et établissent un mécanisme correspondant.
La zone de libre-échange Chine-ASEAN relève du modèle de coopération Sud-Sud. Les deux parties ont davantage de points de vue communs que de divergences sur la question de l’influence des facteurs non économiques sur la coopération régionale ou sous-régionale. Elles soulignent tout particulièrement qu’il faut renforcer le dialogue et la coopération politique, tout en faisant progresser la coopération régionale, et assurer la stabilité dans la mer de Chine méridionale, au moyen de dialogue et de consultation mutuelle. Par conséquent, dans les négociations entre la Chine et l’ASEAN sur la zone de libre-échange et son fonctionnement, la perturbation provenant des facteurs non économiques intérieurs est limitée et peut être surmontée. Les assauts dus aux facteurs non économiques viendront principalement de l’extérieur.
Par Gu Yuanyang, de l’Institut de recherches sur l’économie et la politique mondiales de l’Académie des sciences sociales de Chine