La chance d'être née au moment de l'émergence de la pensée féministe

Jia Zhangke : En Chine, on voit surtout à l'écran de jeunes actrices, comme si une limite d'âge était imposée. Isabelle, vous n'avez pas arrêté de travailler depuis vos dix-sept ou dix-huit ans, et au cours de la dernière décennie votre jeu est devenu particulièrement fort. Je pense que votre travail est aussi un manifeste de femme, qui montre différentes étapes de la vie, de l'adolescence à aujourd'hui. Quelles ont été pour vous les étapes très claires de changement dans ce processus ? Vous êtes-vous réveillée un matin avec une conviction sur le jeu d'acteur à laquelle vous êtes restée fidèle par la suite ?

Isabelle Huppert : Je n'ai pas commencé ma vie d'actrice avec une idée sur les femmes fortes. Au début, on a surtout un sentiment de survie. Dans certains rôles, on est aussi une victime, mais les survivants finissent par résister et lutter pour leurs droits. J'ai la chance d'être née à une époque où la pensée féministe émergeait, et cela s'est traduit dans certains rôles grâce auxquels j'ai pu enrichir mon répertoire d'actrice. Je n'ai pas du tout commencé en disant que je voulais absolument avoir des rôles de femmes fortes, que je voulais mettre en valeur les idées du féminisme, j'ai eu la chance que ces rôles me soient attribués. J'ai joué beaucoup de rôles de victimes, et ces rôles m'ont aussi façonnée. Dans mes rôles, l'âge n'a pas été un problème. Ce qui m'a toujours le plus intéressée est la pensée du personnage, ses valeurs, son destin. Ce sont les caractéristiques les plus importantes d'un portrait.