Liu Mingjiu : présenter la littérature française à la Chine
French.china.org.cn | Mis à jour le 20-06-2014
En 1981, Liu Mingjiu a rencontré Alain Robbe-Grillet dans le bureau de ce dernier. En 1981, Liu Mingjiu a rencontré Simone de Beauvoir chez elle. (PHOTO FOURNIE PAR LIU MINGJIU)
Entretien avec Liu Mingjiu, cet amoureux de littérature française qui toute sa vie a cherché à partager sa passion avec les Chinois.
À 80 ans passés, Liu Mingjiu, stylo en main, poursuit sans relâche son étude de la littérature française.
Professeur et chercheur à l'institut de littérature étrangère relevant de l'Académie des sciences sociales de Chine, Liu Mingjiu est devenu président, puis président honoraire de l'Association chinoise d'étude de la littérature française. Il a révisé, traduit et écrit de nombreux livres en rapport avec la France, tels que les trois tomes de l'Histoire de la littérature française, Approchons-nous de Victor Hugo, Esquisses de Paris, Nouvelles choisies de Mérimée, Recueil de nouvelles de Maupassant, Collection des œuvres littéraires françaises du XXe siècle et Œuvres de Victor Hugo, dont quatre ont reçu des prix nationaux. En 2006, il a été élu « membre d'honneur à vie » de l'Académie des sciences sociales de Chine.
Il y a quelques mois, Liu Mingjiu a participé, en qualité de président du jury, à la sélection des « dix livres français les plus influents en Chine », lui qui toute sa vie durant s'est passionnément employé à introduire la littérature française en Chine.
Une vie consacrée à l'étude de la littérature française
En 1953, Liu Mingjiu a été admis à la faculté des langues occidentales de l'université de Beijing. À l'époque, seules trois langues y était enseignées : l'anglais, l'allemand et le français. « À l'école secondaire, j'ai étudié l'anglais. Mais je voulais apprendre une autre langue, pour enrichir mes compétences professionnelles. C'est ainsi que je me suis tourné vers le français, raconte Liu Mingjiu. Bien sûr, j'étais également depuis longtemps un fervent admirateur de la riche et splendide culture française. »
Liu Mingjiu a confié qu'à l'heure où il était étudiant, la Chine se tournait sur tout vers l'URSS. Ainsi, à cette époque, le marché du livre chinois était envahi de traductions d'œuvres littéraires soviétiques. En comparaison, les écrits françaises étaient bien moins publiés en Chine. La scène littéraire chinoise était plutôt monotone...
Quand Liu Mingjiu a obtenu son diplôme de fin d'études, la Chine était encore régie selon une économie planifiée. Les étudiants fraîchement diplômés n'imaginaient alors pas qu'ils pourraient travailler librement. « J'ai été recruté par un institut d'études littéraires de l'époque, plus précisément, dans le département d'édition se consacrant à la traduction et à la révision des théories littéraires classiques étrangères. Ainsi, j'ai pu m'engager à grandes enjambées sur la voie de l'étude de la littérature française », explique Liu Mingjiu. Le travail de toute ma vie !
Liu Mingjiu a pris en charge la rédaction de divers ouvrages dont Œuvres de Victor Hugo, Collection des œuvres littéraires françaises du XXe siècle et Collection des œuvres littéraires classiques étrangères. Actuellement, il achève de rédiger les 15 volumes des Œuvres de Liu Mingjiu. Lui-même se dit satisfait de son travail, quand depuis son bureau, il regarde les deux grandes bibliothèques, sur lesquelles sont alignés plus de 300 livres comportant ses écrits, traductions, compilations ou révisions.
« Dans le vaste jardin de la culture académique, je compte parmi les cultivateurs assidus : j'ai écrit un certain nombre de livres, j'en ai traduit d'autres, j'ai connu quelques succès. Toutefois, je sais bien que dans l'histoire, je ne suis qu'un cultivateur insignifiant », reconnaît Liu Mingjiu, dont son entourage connaît le caractère modeste. Mais Liu Mingjiu considère qu'il en profite plus ainsi : « Rien ne résiste à l'épreuve du temps. Tel que nous l'enseigne le mythe de Sisyphe poussant éternellement son rocher, ce qui importe dans la vie, ce n'est pas l'issue, mais la traversée. Il faut apprécier la persévérance et le travail acharné qui permettent d'avancer un peu plus chaque fois, source de joie et de soulagement. »
Revaloriser Sartre en Chine
Dans sa jeunesse, Liu Mingjiu a composé quelques textes qui ont fait sensation dans le milieu culturel. En 1978, il a dénoncé le point de vue littéraire radicalement gauchiste d'Andreï Jdanov et porté un nouveau regard sur la littérature occidentale du XXe siècle, une initiative qui a eu de grandes répercussions sociales. En 1981, il a publié Études de Sartre. À l'époque, Sartre était considéré comme une aberration, au même titre que les grosses lunettes noires et les pantalons à pattes d'éléphants. Pourtant, Liu Mingjiu s'est appliqué à traduire objectivement et intégralement l'œuvre de Sartre, pour mieux présenter cet auteur aux Chinois .
« Je ne suis pas le premier à avoir présenté Sartre à la Chine, mais le premier à l'avoir présenté de manière impartiale », a commenté Liu Mingjiu. En 1980, il a publié dans une revue un article intitulé Statut historique de Sartre, première analyse chinoise juste de Sartre, de ses accomplissements historiques et de ses réalisations littéraires.
« Études de Sartre a connu un fort retentissement au moment de sa sortie, en 1981. Quelques œuvres de Sartre étaient parues en Chine avant même que je m'y attèle, à savoir L'Être et le Néant ou encore La Nausée. Mais à cette période, Sartre était plutôt considéré comme un "porte-parole des impérialistes" en Chine, alors fortement influencée par l'idéologie soviétique. Dans le même temps, la "liberté totale" que prône la philosophie sartrienne était interprétée comme l'ennemi de la pensée collectiviste et du socialisme », explique Liu Mingjiu. Par son travail, Liu Mingjiu a aidé les Chinois à voir Sartre comme un écrivain accompli, intimement engagé à gauche dans les causes sociales, et à leur faire découvrir la philosophie de l'auteur, qui est applicable au contexte du socialisme.
Bien que le livre Études de Sartre ait été interdit dans le pays pendant un certain temps, la théorie sartrienne du libre choix est devenue très populaire, parce qu'elle correspondait justement à l'envie des Chinois de l'époque de manifester leur esprit d'initiative. Ainsi, les idées de Sartre étaient dans l'air du temps, bien qu'« à cette époque, même dans les plus hautes sphères de l'intelligentsia chinoise, presque personne ne lisait Sartre. » Liu Mingjiu considère que cette petite « histoire idéologique est la plus intéressante, la plus récente et la plus satisfaisante de l'ère chinoise de la réforme et de l'ouverture. »
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