Shi Liang : Un acteur chinois qui joue en français

Par : Yann |  Mots clés : Shi Liang; français, acteur
French.china.org.cn | Mis à jour le 20-06-2014

Lors d'un évènement consacré aux dix livres français et chinois les plus influents, Shi Liang récite un passage de Quatre-Vingt Treize.

Shi Liang est certainement l'acteur chinois le plus diplômé de Chine : détenteur d'une licence de français, d'un master de littérature française, d'un MBA en droit commercial mais aussi, et c'est le plus intéressant, le seul qui soit capable de jouer à la fois en chinois, en anglais et en français, sa langue de prédilection.

J'ai connu l'acteur chinois Shi Liang, par le programme de BeijingTV : « Dossiers ». Un programme dans le style de « Faites entrer l'accusé » ou « Complément d'enquêtes » dans lequel il lisait les courriers de Edgar Faure et la déclaration de reconnaissance de la Chine par la France en français. Mais ce dont je me suis rappelé plus tard c'est que je l'avais déjà vu dans des films français des années 90 tels que Les Anges Gardiens avec Gérard Depardieu et Christian Clavier dans lequel il incarnait le méchant mafieux chinois, mais aussi dans D'Or et de Safran ou Les Enfants du Printemps de Marco Pico. Il n'est donc pas étranger du public français.

Un parcours « pas ordinaire »

« C'est le moins qu'on puisse dire ! » s'exclame celui qui me répond en français pour cette interview. Autour d'une tasse de thé dans un restaurant de Beijing, il me décline son parcours : « J'ai commencé à jouer quand j'étais tout petit, je faisais de l'opéra chinois pendant la Révolution culturelle, de l'opéra révolutionnaire ! On ne comprenait pas ce qui se passait à cette époque, mais le théâtre ça nous amusait, c'est très exagéré, presque du mime. On faisait des exercices, on jouait avec des gamins de notre âge. Et surtout, on avait de la viande à manger tous les jours, ce qui n'était pas le cas pour tous les enfants à cette époque », raconte-t-il.

C'est donc par l'opéra révolutionnaire que commence la carrière d'acteur de Shi Liang. À une époque bien particulière, où il n'est presque pas allé à l'école et a fait l'expérience de plusieurs vies en quelques années. « J'ai quitté l'école pour faire du théâtre, puis j'ai été engagé dans l'entreprise où travaillait mes parents, ensuite je suis parti travailler aux champs comme c'était la mode à l'époque. C'était les années 70 en Chine. »

Évasion par la littérature

Puis quand la Chine a réouvert ses universités après la Révolution culturelle, Shi Liang a réussi grâce à ses efforts et à ses lectures durant cette période à entrer en licence de français à l'université des Langues étrangères de Beijing.

« On lisait des romans français en cachette. à l'époque tout ce qui était roman, littérature occidentale était interdit. C'était une époque gérée par la terreur. Un peu comme dans le film Balzac et la petite tailleuse chinoise, on lisait sous le manteau, on se passait les livres. On avait seulement 24 heures pour les lire, donc on les engloutissait littérallement ! C'est comme ça que j'ai connu la France, par Balzac, Hugo et Dumas. J'ai dévoré ces romans, parce j'aimais lire et il n'y avait rien d'autre à lire ! »

Après la Révolution culturelle, Shi Liang veut « s'enfuir », quitter ce monde dans lequel il vivait et qu'il trouvait absurde. La France le faisait rêver. Il décide de faire du français. Il est régulièrement dans les premiers de la classe et après sa licence est envoyé d'office, comme cela se passait à l'époque, comme professeur de français dans une université du nord-est de la Chine. « C'était chiant, dit-il amusé de voir que ce mot dans la bouche d'un Chinois me fait tiquer. Les élèves ne se passionnaient pas, je n'étais pas heureux là-bas, je m'ennuyais horriblement. Inconsciemment j'avais envie d'autre chose. Peu après ça, par voie d'examen, je suis rentré dans la capitale et ce n'était pas facile. Mais j'ai réussi à entrer en master de littérature française. Mais là encore, j'ai changé de choix, glisse-t-il malicieux, et j'ai commencé des études de juriste car je voulais perpétuer la tradition familliale. Mon arrière-grand-père était la première génération de juges de la Chine moderne et mon grand-père, un juriste connu également. Mais le système ne m'autorisait pas à changer. Alors, avec l'aide de mon professeur de français, ancien juriste de Shanghai jugé « droitiste » reconverti en professeur et traducteur de français, j'ai passé ma soutenance de master en français avec un mémoire sur les Droits de l'Homme dans la grande famille du droit. Totalement iconoclaste en fait ! »

Première touche avec le cinema

Après ça, il part en France, fait des études de droit à Paris 5 mais ne finit pas, il rentre en Chine, son école l'évince et il se retrouve à travailler comme interprète dans un cabinet d'avocats français basé à Beijing.

« C'était le premier cabinet d'avocats français à Beijing, ils travaillaient pour les entreprises françaises en Chine. J'ai d'abord été interprète, puis conseiller juridique. Mais je suis reparti en France faire un MBA à l'école des Ponts et Chaussées peu après, vers 1986. Avant ça, j'ai rencontré plusieurs fois le réalisateur du Dernier Empereur, il voulait me faire jouer le chauffeur de l'impératrice, mais je n'avais pas le temps, je me préparais à repartir en France. J'ai quand même tourné trois jours un rôle de capitaine de l'armée qui jette l'empereur hors de la Cité interdite. Mais la séquence a été coupée. C'était ma première fois devant une caméra et je ne suis même pas apparu sur l'écran », dit-il en riant.

Après cela, Shi Liang travaille en France dans une grande entreprise française, mais ne se plaît toujours pas dans ce qu'il fait. Au contraire de beaucoup de Chinois qui se satisferaient largement de sa situation sociale à l'époque, vivant à Paris, avec un bon poste dans une entreprise française, il commence à prendre des cours de théâtre, le soir et les weekends, pour passer le temps. « Il fallait que j'exprime quelque chose. J'ai donc décidé de prendre des cours d'acting à l'école franco-américaine de théâtre et aux sessions de l'actor studio. »

C'est comme ça qu'il commence à être répéré comme acteur asiatique pour des petits rôles, puis c'est un rôle plus important qui l'attend dans un des films de Jean-Marie Poiret : Les Anges Gardiens. « Je jouais le méchant chinois, mais c'était bien, ça a été un succès à l'époque. Le deuxième film au box-office après Les Trois Frères quand même ! Par la suite, j'ai joué avec Pierre Arditi. Je l'admire beaucoup, je l'adore sur scène au théâtre. Puis je suis devenu ami avec Marco Pico lorsque j'ai joué dans Les Enfants du Printemps. J'ai encore beaucoup de relations en France. »

Retour en Chine et consécration

Il enchaîne les tournages, vit à Paris, se marie avec une Chinoise, ils ont un fils. Puis après un dernier tournage à Tahiti pour un téléfilm de TF1 en 2000, il décide de rentrer en Chine pour continuer sa carrière dans son pays.

« En France si tu veux tourner quand tu es asiatique, les rôles ne sont pas si nombreux que ça. C'est pas facile pour un Chinois avec la face jaune comme moi de trouver des rôles importants, alors qu'en Chine je peux jouer des premiers rôles. Mon agent français me contactait régulièrement au début, mais les jours de tournages étaient trop peu nombreux, donc j'ai arrêté », dit-il avec un sourire.

C'est donc en Chine qu'il joue depuis une dizaine d'années, enchaînant les tournages. Puis il est engagé comme présentateur invité de l'émission de la Beijing TV : Dossier. C'est ce programme qui le fait réellement connaître du public chinois. C'est également comme ça que je l'ai entendu parler français pour la première fois : il récitait la lettre d'Edgar Faure au président Mao et lisait la déclaration de l'établissement des relations sino-française en français. « L'émission marchait trop bien et me prenait de plus en plus de temps, m'empêchant de tourner dans des films donc je n'ai pas renouvellé mon contrat en 2011. » Départ incompris du public chinois qui a crié à son retour, sans succès. « Je faisais ça pour être plus près de mon fils qui fait ses études à Beijing et aussi pour essayer autre chose. C'était une émission très intéressante, le style me convenait bien, mais passer d'une émission hebdomadaire à quotidienne ne me plaisait pas, ce n'était pas dans le contrat et je ne voulais pas avoir la casquette 'présentateur télé'. » Il ne faut pas jouer sur le contrat avec un acteur diplômé en droit...

Littérature et lecture

« C'est la littérature plutôt classique qui me touche le plus, me confie-t-il, même si j'aime bien Marguerite Duras ou Proust, mais pour moi la France c'est Balzac, Hugo, Dumas. »

« Ce que j'aime en français, c'est l'intonation, la sonorité, c'est très différent du chinois, il existe des nuances qu'on ne fait pas en chinois. Le fait d'aimer la langue française est très personnel, c'est quelque chose dont j'ai rêvé depuis mon enfance. C'était un autre monde à rêver. J'ai connu la France par le monde de Balzac, quelque chose de presque irréel et poétique. Ma vie avec tous ses liens avec la France c'est cette littérature là. Pleine de force, d'intrigues, de personnages, ce qui est traditionnel.

Pour moi, la lecture à haute-voix, ce n'est pas seulement la force de la langue elle-même, la littérature, mais c'est un tout, le comédien, son monde intérieur et son interprétation qui fait le roman, l'histoire, la littérature, c'est quelque chose d'autre qui sort... »

Il ajoute qu'en Chine, la lecture à haute-voix, les séances de lecture au théâtre ou à la radio se fait un peu. « Mais tout le monde ne peut pas le faire. C'est très très dur de lire. Pour moi, c'est un grand plaisir. On entre dans un autre domaine. C'est encore différent que de jouer. La lecture elle-même c'est un art. Il faut entrer mais pas trop, il faut tenir l'équilibre, c'est très subtil. C'est indispensable pour un comédien. »

 

SÉBASTIEN ROUSSILLAT


 

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