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Abritant 20 % de la population mondiale mais seulement 7 % des ressources d'eau douce de la planète, la Chine est l'un des pays les plus pauvres au monde en termes de ressources hydriques. Malheureusement, les réserves limitées sont aujourd'hui menacées par le rejet de polluants.
Le 12 février 2013, le journaliste Tao Haijun, via Weibo, a appelé l'ensemble de la population à prendre des clichés, au moyen d'un téléphone portable ou d'un appareil photo, d'exemples de pollution de l'eau observés dans leur vie quotidienne. Il a ensuite lancé le mouvement d'intérêt public « Sauvegarder les Mères rivières », publiant sur le site de microblogging les photos envoyées par les participants. Un mois après le coup d'envoi, il avait déjà reçu d'une centaine d'internautes plus de 500 photos mettant en évidence la pollution de l'eau dans divers endroits du pays. Les 36 séries d'images présentées avaient été collectées dans les deux tiers des provinces nationales. Le nombre de zones et de rivières concernées dépassaient d'ailleurs largement les prévisions de Tao Haijun. « La pollution est si grave dans certains lieux que la seule vue de la situation est criante de vérité. Pas besoin d'enquête », a-t-il déclaré.
Une question incontournable
Au cours des trois dernières décennies, la Chine a connu un essor économique fulgurant, qui a exercé en revanche une pression sans pareille sur l'environnement écologique. Du fait notamment de l'industrialisation et de l'urbanisation qu'a menées la Chine ces récentes années, les eaux usées industrielles non traitées, les eaux domestiques polluées impossibles à traiter en raison de la population excessive et les ordures ménagères jetées ça et là par des résidents peu soucieux de l'environnement ont toutes fini dans des rivières, aggravant le problème de la pollution de l'eau.
Dans le cadre de l'action « Sauvegarder les Mères rivières », un internaute du Shandong a raconté qu'en son enfance, l'eau dans son village était claire et qu'on pouvait même y apercevoir quelques poissons de temps en temps, mais qu'aujourd'hui, cette rivière est méconnaissable, souillée par les eaux polluées émises par des éleveurs. Une autre personne originaire du Guangdong a photographié la rivière impure coulant dans le village de Huaxi, dans la ville de Puning. Un troisième venant du Fujian a relevé, quant à lui, la pollution hydrique du village Liming, relevant de la ville préfecture de Zhangzhou, qui a affecté douze villages au total...
« Par la collection des clichés, nous constatons que les rivières dispersées aux quatre coins du pays sont toutes en train de “pleurer” : celles du Guangdong, du Guangxi, du Yunnan, du Henan, du Hubei, du Hunan, de Chongqing, du Fujian, du Shandong, de Tianjin, du Shanxi et de la Mongolie intérieure. En ce qui concerne les sept systèmes fluviaux, une bonne partie des réserves en eau potable ont été victimes de pollutions à différents degrés. Les dégâts subis par les rivières traversant les villes sont encore plus inquiétants», a précisé Tao Haijun.
Selon des statistiques, 2 millions de nouveaux cas de cancer sont dépistés chaque année en Chine, provoquant la mort de 1,4 millions de personnes. Sur cinq décès, un est imputé à la maladie du cancer. Les tumeurs malignes, avant même les maladies cardiovasculaires, sont devenues la première cause de mortalité dans la plupart des grandes villes du pays,.
À dessein d'étudier le rapport entre la pollution hydrique et le développement des cancers, l'Enquête sur la corrélation entre la pollution de l'eau et les tumeurs dans le bassin de la rivière Huaihe, menée par le professeur Yang Gonghuan du Peking Union Medical College, a officiellement été initiée en juillet 2005. Les médias chinois et étrangers font fréquemment le procès du bassin de la rivière Huaihe, à cause de l'émergence perpétuelle de « villages du cancer ». Pendant sept ans, Yang Gonghuan a rassemblé les chiffres concernant la pollution de l'eau du bassin, ainsi que les cas de cancer survenus depuis 1973. Il en résulte que la forte incidence des cancers se concentre autour de pôles, tous situés très près des sources d'eau polluées, ce qui « grosso modo prouve le lien de causalité entre les deux phénomènes ».
« Le terme de pollution mentionnée ci-dessus regroupe non seulement celle découlant des industries, mais aussi celle liée à l'agriculture et à la vie quotidienne. L'apparition des cancers n'est pas le résultat d'un seul facteur. Au-delà de l'impact des produits chimiques industriels, d'autres éléments entreraient en jeu, et les effets conjoints des divers facteurs suivent parfois la formule 1+1>2 », a indiqué Yang Gonghuan.
L'état des eaux de surface semble déjà alarmant, mais la situation des eaux souterraines l'est d'autant plus. Selon le Communiqué sur le territoire et les ressources de la Chine de l'année 2012 publié le 20 avril par le ministère chinois du Territoire et des Ressources, au niveau des 4 929 points de surveillance répartis dans les régions administratives de 198 villes-préfectures chinoises, près de 60 % des eaux souterraines sont considérées comme « mauvaises », et 16,8 % sont jugées d'« extrêmement mauvaises ».
« En vue de réussir sans peine les contrôles environnementaux de plus en plus stricts, certaines sociétés déversent leurs eaux usées dans des fosses ou des puits d'infiltration, à l'instar d'un certain nombre de campagnes du Nord de la Chine, qui laissent les eaux polluées pénétrer le sol. Dans les régions du Sud-Ouest du pays, des entreprises cachent leurs émissions illégales dans des grottes », a expliqué Ma Jun, directeur de l'Institut des affaires publiques et environnementales.
Néanmoins, certains voient l'infiltration comme une innovation en matière de traitement des déchets. À ce point de vue, Ma Jun convient qu'effectivement, des pays occidentaux ont tenté d'entasser les polluants dans des cavités profondes, mais rétorque que cette technique exige une régulation stricte, et quand bien reste-elle fortement controversé dans les pays développés.
Bien que les eaux souterraines s'écoulent à travers les aquifères, elles comptent pour 20 % de la consommation totale d'eau en Chine. Au Nord, principalement à Beijing et au Hebei, les nappes phréatiques représentent plus de 50 % de la totalité de l'eau utilisée pour la production industrielle, l'agriculture et la consommation domestique.
« Le degré de gravité sévère dont pâtissent les eaux souterraines, hors de la vue des gens ordinaires, est longtemps resté ignoré. Pourtant, leur renouvellement est en réalité bien plus difficile que celui des eaux de surface. La pollution est quasi-irréversible, surtout pour les eaux souterraines profondes », a ajouté Ma Jun.
Par le passé, on estimait que nécessairement, le développement économique se ferait au détriment de l'environnement. Le rapport entre l'essor économique et la disponibilité en eau est déjà entré dans un cercle vicieux aujourd'hui : la pénurie d'eau freine la croissance économique de la Chine, tout comme les coûts sanitaires induits par la pollution hydrique. La crise de l'eau est devenue un problème incontournable en Chine.
Source: La Chine au Présent |