Double fête dans ma famille tibétaine
Lisa Carducci
Celle que j'appelle depuis sept ans « ma fille tibétaine » est une jeune Tibétaine du Yunnan. Son village, Chini, se trouve à l'extrême ouest de la province et aux confins de la région autonome du Tibet. Quand, en 2006, j'ai passé la fête du Printemps dans sa famille, elle était la seule à parler chinois et devait me servir d'interprète pour converser avec sa famille et les autres villageois.
Je suis retournée à Chini cette année pour célébrer non seulement le Nouvel An chinois mais également le mariage de Gemar Yumco et Ngandruk. Que de changement en quatre ans! Si le voyage requiert toujours trois jours entre Beijing et Chini, un chemin carrossable a été tracé qui mène à dix minutes de la maison, et je n'ai pas eu à parcourir les derniers kilomètres à cheval cette fois. Non pas que monter à cheval me déplaise, mais le faire sur un sentier de 50 cm de largeur coupé dans la montagne avec, d'un côté, la cime perdue dans l'azur du ciel et de l'autre, l'abime sans fond, voilà qui ne m'attirait pas particulièrement.
Les sœurs de Gemar Yumco parlent toutes suffisamment chinois aujourd'hui pour que nous puissions nous comprendre sans interprète. L'ainée, 31 ans, s'est établie dans le bourg il y a trois ans afin que son fils qui a maintenant 11 ans puisse bénéficier d'une instruction valable. Au village, il avait répété sa première année trois fois sans résultat. L'enseignante d'alors était diplômée de l'école primaire… Maintenant, la mère, qui était analphabète, apprend auprès de son fils le soir à la maison, et peut lire et écrire des messages-textes. J'ai été surprise aussi d'apprendre que de quatorze foyers sur les soixante-dix du village qui possédaient le téléphone en 2006, tous sont maintenant abonnés au téléphone fixe, cellulaire ou les deux.
La cadette, 22 ans, est mère d'une fillette de quatre mois. Son mariage aura lieu l'an prochain, quand la famille aura de nouveau économisé suffisamment pour célébrer l'événement. Elle partira alors vivre dans la famille de son époux. C'est une situation tout à fait normale dans cette communauté tibétaine. Comme les parents se retrouveront alors seuls, leur troisième fille, 25 ans, qui est aussi leur voisine, est revenue à la maison apporter son soutien, car la vie des paysans est lourde de travaux et requiert énormément de force physique. Cette jeune femme est mère d'un fils de sept ans et d'une fillette de quatre ans connue de tout le village sous le nom de « Meimei » (petite sœur). Le garçon fréquente la nouvelle école qui a été construite pour les trois villages environnants et où un enseignant qualifié est maintenant affecté. Comme le garçonnet étudie le chinois à l'école, il peut maintenant comprendre les émissions de télévision, de même que les autres écoliers de Chini; par le fait même, toute la famille s'intéresse au petit écran et apprend beaucoup sur les pays du monde, la vie des autres peuples, les animaux et les plantes, tout en améliorant la connaissance de la langue chinoise. En 2006, les téléviseurs demeuraient dans leur emballage; comme on ne comprenait pas le chinois parlé ni ne savait lire les sous-titre en tibétain, la télé ne présentait aucun intérêt.