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Le mouvement des « gilets jaunes » met en évidence la crise institutionnelle occidentale

French.china.org.cn | Mis à jour le 15. 01. 2019 | Mots clés : Gilets jaunes
Crédit photo : VCG

Né à la mi-novembre 2018, le mouvement français des « gilets jaunes » dure désormais depuis neuf semaines. Cette agitation sociale est mêlée à des émeutes d’une intensité sans précédent, qui ont suscité l’attention du monde entier. Bien que l'élan des débuts ait légèrement baissé, le mouvement a globalement fait apparaître de puissantes forces sociales. Il met en évidence les graves problèmes qui secouent la politique et l’économie du monde occidental, et révèle une crise de nature institutionnelle. C’est pourquoi les annonces par le gouvernement de mesures visant à apaiser la situation ont bien du mal à atteindre leur objectif.

Le mouvement a émergé le 17 novembre dernier en opposition à la taxe carbone annoncée par le gouvernement français qui devait être imposée sur les carburants. Cette mesure fiscale s'inscrivait dans la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat conclu en 2015. Elle a provoqué le mécontentement de l’opinion publique et une vague de protestations. Le nombre de manifestants dans les rues a dépassé 300 000 personnes, avec des sympathisants dans l’ensemble de la société. Selon les sondages, 80 % des Français soutenaient la mouvance.

Des manifestations ont commencé à avoir lieu tous les samedis à Paris et dans les grandes villes, depuis maintenant neuf semaines. En contraste avec l’agitation sociale qui a secoué la France dans le passé, ce mouvement présente de nombreux traits uniques à noter.

Les huit grandes caractéristiques du mouvement

Tout d’abord, la vague de manifestations était une action spontanée : il n’y avait pas d’organisateur officiel. Le mouvement a pris une telle ampleur que l’identité des participants est devenue de plus en plus compliquée à comprendre, et que l’opération a perdu tout contrôle. Le seul signe distinctif des protestataires était le port du gilet jaune qui doit se trouver dans toutes les automobiles. En général, les mouvements de ce type se terminent avant Noël, mais celui-ci a fait un retour en force après le Nouvel An. À Marseille, on a créé l'organisation « Gilets jaunes, le mouvement », dans une tentative de coordonner l'action nationale et de mener une bataille à plus long terme.

Deuxièmement, la mouvance se distingue par sa violence. Selon les chiffres communiqués par la préfecture de police de Paris, 133 personnes ont été blessées lors des émeutes du 1er décembre dernier, dont 23 policiers, et 421 fauteurs de trouble ont été arrêtés. L’opinion publique estime généralement qu’il s’agit de l’émeute la plus grave depuis les événements de mai 1968.

Troisièmement, les objectifs du mouvement de protestation ne cessent de s’étendre. La revendication initiale visait l’élimination de la taxe sur les carburants, avant de s'élargir en opposition au plan de réforme du gouvernement et au mécontentement suscité par la baisse du niveau de vie. Le président Emmanuel Macron a adopté de lourds compromis pour calmer le mouvement. Cependant, les mesures n’ont pas réussi leur rôle d'apaisement, et les manifestants ont multiplié leurs demandes. La campagne des « gilets jaunes » a proposé une liste de quarante-deux revendications, couvrant divers aspects du niveau de vie, de la démocratie, de l'économie et de l'éducation.

Quatrièmement, la vague de manifestations est orientée vers les gens ordinaires. À l’origine, l’un des groupes principaux du mouvement était composé de chauffeurs de poids lourds. Au fur et à mesure de l’intensification des protestations, d’autres groupes sont venus les rejoindre. Des lycéens se sont mis à bloquer leurs établissements, des agriculteurs sont descendus dans les rues, des magistrats ont exprimé leur insatisfaction, et même les forces de l’ordre ont été appelées par les manifestants à les rejoindre. Il n’y a plus seulement aujourd’hui des « gilets jaunes », mais aussi des « gilets » d'autres couleurs qui montent au créneau avec différentes revendications. Le terme de « gilet jaune » est devenu synonyme de protestation dans la société française.

Cinquièmement, le mouvement tend à se politiser. Au début, il n'avait pas de couleur politique, il était même impossible de désigner des initiateurs ou organisateurs. Cependant, plus le mouvement s’est développé, plus sa politisation est devenue forte, en particulier avec des soutiens publics ou discrets au Rassemblement national (ancien Front national) d’extrême droite, et à La France insoumise, d’extrême gauche.

Sixièmement, les objectifs politiques du mouvement s’éclaircissent. Les gilets jaunes ont explicitement exprimé leur rejet envers le président français Emmanuel Macron et certaines politiques actuelles (notamment sur la souveraineté de la France en politique intérieure et extérieure face à l’intégration européenne), ainsi qu’envers le système politique, avec l’exigence de la mise en place d’un référendum d’initiative citoyenne. Un tel niveau de revendications n’avait pas été vu en France depuis la Seconde Guerre mondiale et les protestataires semblent peu enclins au compromis.

Septièmement, les « gilets jaunes » rejettent les grands médias. Les chaînes de télévision, la radio et la presse étaient auparavant les canaux de communication privilégiés par les protestataires et les gouvernants, mais on les accuse désormais d’agir de manière contre-productive en ajoutant de l’huile sur le feu. Dans le même temps, les informations en ligne ont un fort impact sur l’opinion publique et certains sites sont en train de devenir la principale source d’information des Français.

En dernier lieu, le populisme s’est emparé du mouvement. Sa montée incontestable en France a vu le passage de la candidate d’extrême droite Marine Le Pen au second tour de l'élection présidentielle de 2017, devant les partis traditionnels de droite et de gauche. Elle a perdu face au nouveau venu Emmanuel Macron, mais cet échec à accéder à la présidence n’efface pas l’influence néfaste du populisme dans la société. L’appel le plus retentissant du mouvement des « gilets jaunes » concerne le référendum d’initiative citoyenne, ou RIC. Cela vise à remettre en cause le système étatique actuel et demande aux autorités françaises d'organiser des référendums sur des décisions relatives à l’intérêt général. Il appartiendrait aux citoyens de soulever directement ces questions et même d'emprunter à la gauche radicale la proposition portant sur l'établissement de la VIe République.

Les huit caractéristiques ci-dessus montrent que la mouvance des « gilets jaunes » n'est pas une manifestation unique et limitée de protestation sociale, mais bien une « grande union de ressentiment, de colère, d'humiliation et de désespoir ».

Une crise institutionnelle

La France traverse une crise économique et sociale de longue date. Pendant ses années de forte croissance économique, elle a mis en place un système complet de protection sociale. Ce qui fonctionnait durant les Trente Glorieuses a néanmoins posé problème lorsque la France est entrée dans une phase de ralentissement économique dans les années 1970, le Trésor public ne pouvant plus financer les lourdes dépenses d'un tel État-providence, ce qui a engendré des plaintes de la population. Le principal inconvénient du haut niveau de protection sociale est que le coût du travail continue d'augmenter et que la compétitivité des entreprises et du pays sur les marchés internationaux diminue, de sorte que depuis les années 1980, le rythme de croissance économique de la France reste faible. En conséquence, le mécontentement social a augmenté et les mouvements de protestation sont devenus fréquents et turbulents.

Les dirigeants français ont depuis longtemps pris conscience des inconvénients de ce système et ont tenté de le réformer, mais toutes les tentatives se sont soldées par un échec et les gouvernants ont payé un lourd tribut politique.

La véritable raison pour laquelle la France a du mal à mettre en œuvre des réformes ne réside pas dans un quelconque manque de compréhension ou de soutien de la population, mais de l’absence d’un véritable élan de réforme de la part des dirigeants. Ceci ne résulte pas d’une incompétence ou d’une mauvaise approche du président lui-même, mais bien du système politique français. La Ve République française, proclamée en 1958, existe depuis plus de soixante ans. Les problèmes économiques et sociaux sont devenus de plus en plus graves au cours de ces six dernières décennies, mais ni le Parti socialiste ni les grands partis de droite n'ont réellement pu sortir de leur passivité. Certains présidents ont mis en œuvre une petite réforme ciblée, afin d’assurer leur postérité politique et de garder les électeurs de leur côté. Pendant longtemps, les électeurs ont exprimé leur mécontentement dans les urnes. Lors de l'élection présidentielle de 2017, le Parti socialiste et le grand parti de droite, renommé Les Républicains, ont échoué à se qualifier au deuxième tour de scrutin, ce qui a mis fin à leur traditionnelle alternance au pouvoir. Le mouvement des « gilets jaunes » met en lumière la crise institutionnelle de la démocratie française.

La France, dont le système politique souffre de manière chronique, constitue un microcosme du monde occidental et de la crise institutionnelle présente dans d’autres pays. La rapidité avec laquelle la mouvance des « gilets jaunes » s’est répandue en Europe en est la preuve. À l’heure actuelle, le mouvement est présent en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne et au Portugal. Il commence même à trouver un écho au Canada et aux États-Unis. Ce type de questionnement et d’insatisfaction s’était déjà manifesté aux États-Unis en 2008. Le mouvement « Occupy Wall Street » de 2011 peut être considéré comme un précurseur de celui des « gilets jaunes ». Ce mouvement qui s’est produit en France reflète de manière plus globale les abus et la crise du système démocratique occidental.


par Shen Xiaoquan, maître de recherche au Centre de recherche sur les problématiques mondiales de l’agence Xinhua


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Source:french.china.org.cn