Qu'adviendra-t-il des Mistral que la France refuse de livrer à la Russie ?
Le 16 mai était le dernier délai fixé par la Russie pour la livraison des deux navires d'assaut amphibie Mistral fabriqués par la France. Cependant, le 17 mai, les deux navires achevés étaient encore tranquillement amarrés au chantier naval de Saint-Nazaire dans l'ouest du pays. La rupture du contrat par la France étant claire, les deux questions qui intéressent aujourd'hui les médias concernent la résolution du litige portant sur les dommages et intérêts réclamés par la Russie, ainsi que le futur des deux navires de guerre.
En juin 2011, après de longues négociations, la France et la Russie ont finalement signé un contrat portant sur la fabrication par la France de deux navires Mistral pour la Russie, pour un montant total de 1,2 milliard d'euros. Le Mistral est un navire avec un déplacement de 21 000 tonnes à pleine charge, d'une vitesse de 18,8 nœuds (environ 33 kilomètres-heure) et une portée maximale de 20 000 miles marins. Il peut accueillir un équipage de 160 personnes, et transporter jusqu'à 450 personnes. Sa coque mesure 200 mètres de long, 32 mètres de large, ce qui lui permet de transporter 35 hélicoptères légers de combat ou 16 hélicoptères lourds de transport, dont 6 peuvent se reposer sur le pont d'envol.
En outre, le navire peut être équipé de véhicules blindés et de chars amphibies et autres équipements lourds. Les fonctions du Mistral ne se limitent pas à un rôle de stationnement pour le commandement militaire ; il sert à la fois de porte-hélicoptères, d'engin de débarquement et de plateforme, de centre d'opération militaire à distance, avec des capacités amphibies et un rôle de commandement. Les médias français ont baptisé ce navire polyvalent « le couteau suisse de la mer ».
Le Mistral est le deuxième plus grand des navires de guerre français actifs et en 2011, il a été utilisé durant les opérations de l'OTAN en Libye, offrant un centre de réaction militaire rapide pour les forces de l'OTAN, et démontrant ses capacités militaires uniques. La Russie voyait d'un œil très positif les performances de ce navire, la flotte du pays étant encore composée de navires qui demandent 26 heures pour mener à bien des opérations militaires faisables en 40 minutes grâce au Mistral.
La perte d'intérêt de la Russie pour le Mistral
En vertu du contrat, la France devait livrer le premier navire Mistral à la Russie en novembre 2014. Cependant, l'éclatement soudain de la guerre d'Ukraine a perturbé le calendrier des ventes d'armement à la Russie.
En mars dernier, les pays occidentaux ont accusé Moscou d'avoir annexé la Crimée et de participer à la guerre civile dans l'est de l'Ukraine, ce qui les a décidés à imposer des sanctions contre la Russie. La France a voulu utiliser la livraison du Mistral comme monnaie d'échange pour faire pression sur la Russie.
Ainsi, ce qui n'était au départ qu'une transaction commerciale a évolué en bataille politique entre l'Occident et la Russie. En novembre dernier, le gouvernement français a décidé de suspendre la livraison du premier navire déjà construit. La Russie a répondu fermement en exigeant l'exécution immédiate du contrat par la partie française, et a fixé comme dernier délai de livraison le 16 mai 2015 avant de poursuivre la France pour obtenir des dommages et intérêts considérables. Le gouvernement français a continué à rendre la livraison des navires conditionnelle à la mise en œuvre d'un accord de cessez-le-feu en Ukraine.
En avril, le différend a atteint un nouveau tournant. Le président russe Vladimir Poutine et le président français François Hollande se sont rencontrés à l'occasion des commémorations centenaires du génocide arménien, et ont discuté de la résolution du problème du Mistral. De ce qui a filtré de leur entretien, on a appris que les deux chefs d'Etat avaient reconnu que la résiliation du contrat serait difficile à éviter et que la question était de savoir comment mettre fin au différend de manière correcte. François Hollande a souligné que les discussions devraient porter sur le remboursement de la somme versée par la Russie. Vladimir Poutine a indiqué qu'il souhaitait mettre fin au débat dès que possible.
En ce qui concerne le montant en jeu, la partie russe a indiqué le 15 mai que Moscou demandait à la France de payer 1,163 milliard d'euros, ce qui comprend la formation du personnel à l'utilisation du Mistral, la préparation d'installations portuaires pouvant accueillir les deux navires de guerre et les autres dépenses engagées par la Russie. La France a pour l'instant accepté de reverser 800 millions d'euros à la Russie. L'écart entre les deux sommes n'est pas négligeable, mais de toute évidence, des négociations restent possibles et la résolution de ce différend commercial est seulement une question de temps.
Il est intéressant de noter que malgré la rupture unilatérale du contrat par la France, la réaction de la Russie est restée mesurée, et le pays n'a pas exigé de réparations élevées. Trois raisons expliquent ceci. Premièrement, l'arrivée des Mistral en Russie a toujours été controversée en raison de l'autonomie souhaitée par l'industrie militaire. Le ministre actuel de la Défense Sergueï Choïgou vient de ce secteur, et n'a sans doute pas été déçu par l'annulation du contrat par la France. Deuxièmement, la Russie comptait déployer ces deux navires dans le Pacifique en Extrême-Orient, mais depuis l'émergence des tensions en Europe, ce projet est obsolète, et en cas de déploiement dans la mer Noire ou dans la mer Baltique, l'arrivée de tels navires de guerre ne ferait que jeter de l'huile sur le feu. Les militaires russes voient aujourd'hui les Mistral comme deux gros sacs que personne ne sait où poser. Troisièmement, depuis la crise ukrainienne, la France cherche une voie de réconciliation politique avec la Russie, et l'an dernier à l'occasion du 70e anniversaire du débarquement en Normandie, Francois Hollande a saisi l'occasion donnée par sa grande réception de chefs d'Etat pour offrir une chance à Vladimir Poutine de sortir de son isolement diplomatique. Face à la pression des sanctions imposées par les pays occidentaux, Moscou a un besoin urgent de retrouver un interlocuteur en Europe, et la France est l'un des choix les plus évidents.
La question du futur des Mistral
L'avenir des deux navires amarrés au chantier naval de Saint-Nazaire intéresse de près les médias. Une solution serait de les intégrer à la marine française, mais les deux navires ont été construits sur mesure pour transporter des hélicoptères russes et d'autres équipements, et les modifications techniques à apporter pour une utilisation par l'armée française seraient extrêmement coûteuses. Cette dernière, qui s'inquiète de son budget, semble avoir peu d'intérêt pour cette solution. Une autre idée, comme l'avait mentionné Le Figaro, serait de couler les deux navires en haute mer. Toutefois, le journal a reconnu qu'une telle solution serait intolérable du point de vue des ouvriers du chantier naval de Saint-Nazaire.
Ainsi, la dernière solution serait de revendre ces navires à un autre pays. Sur la liste des acquéreurs potentiels, on trouve le Canada, l'Egypte et certains pays nordiques. Bien sûr, cela relève de la spéculation des médias. Le journal américain Washington Times a aussi relevé que la flotte française semblait avoir montré un intérêt particulier pour la vente des navires lors d'une récente visite à Shanghai. Le 9 mai, le bâtiment de projection et de commandement Dixmude et la frégate d'escorte Aconit sont arrivés à Shanghai pour une visite d'une semaine de la flotte française, ce qui marque la dixième visite de la marine française en Chine, ainsi qu'une opportunité pour mener des exercices militaires conjoints.
Cependant, dans un souci de détail, le Washington Times précise que le Dixmude est le troisième bâtiment amphibie de type Mistral de la marine française. Le journal estime que l'objectif de la visite de ce navire de guerre français à Shanghai est de « donner l'occasion aux fonctionnaires et aux experts de la marine chinoise d'évaluer le navire, afin de décider s'ils souhaitent acheter les navires construits à l'origine pour la Russie ». Ceci reste évidemment une hypothèse, qui ne pourra être confirmée dans l'immédiat.
Quoi qu'il en soit, il est certain que l'avenir des deux Mistral est devenu une grande priorité pour le gouvernement français.
(Traduction d'un article en chinois rédigé par M. Shen Xiaoquan, maître de recherches au Centre d'Etude des problèmes mondiaux, de l'agence de presse Xinhua.)
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