XINHUA : Cette année marque le 30e anniversaire de la politique d'ouverture et de réforme de la Chine. Personnellement, est-ce que vous avez senti les changements lors de vos différentes visites en Chine ? Quelle est votre appréciation pour cette politique ?
Pierre Calame : La vitesse du changement en Chine a été foudroyante. Depuis la politique d'ouverture, la transformation de la Chine a été, comme chacun le sait, un phénomène unique dans l'histoire de l'humanité par sa rapidité et par la large population qui était ainsi entraînée dans des changements de fond en comble. Pour moi qui suis venu régulièrement en Chine depuis le début des années 90, je trouve d'une année à l'autre la Chine profondément changée. J'ai connu Shenzhen quand c'était une zone franche nouvellement créée, je retrouve une métropole de dix millions d'habitants disposant d'un métro. C'est presque hallucinant.
Selon les chiffres mêmes de la Banque Mondiale, les deux tiers de la réduction de la pauvreté dans le monde entier sont dus au développement de la Chine à elle seule.
À l'approche des Jeux olympiques, on a vu les plantations fleurir aux environs de Pékin à une échelle impensable ailleurs qu'en Chine. Comment ne pas être impressionné par l'ampleur du changement et, pour moi dont le métier d'origine était l'organisation des villes et la planification urbaine, comment ne pas être impressionné par les formidables capacités d'organisation et de coordination que représente l'organisation, en si peu de temps, de villes gigantesques.
Je suis frappé par la lucidité des dirigeants chinois. Ils ne se masquent pas les très graves problèmes sur lesquels débouche le rapide développement chinois : la corruption massive, l'absorption des ressources publiques par la réalisation de grandes infrastructures à la rentabilité contestable, le fossé entre les riches et les pauvres, la destruction du tissu urbain ancien, les atteintes parfois irréparables et graves à l'environnement, à la qualité des eaux, des sols, de la biodiversité, les risques que fait courir à la santé et à l'environnement l'introduction massive des plantes génétiquement modifiées. Je sais que toutes ces questions sont posées et débattues au plus haut niveau en Chine. Le problème n'est donc pas celui de la prise de conscience. Aucun pays sans doute n'aurait été capable de se développer pendant trente ans au rythme de la Chine et tous, s'ils en avaient été capables, auraient été confrontés aux immenses contradictions qui résultent d'un développement aussi rapide. La société chinoise et ses gouvernants auront-ils la même capacité à surmonter ces contradictions qu'ils ont montrée pour amener en trente ans la Chine d'un pays sous-développé à la première puissance de la planète ? C'est la grande question des prochaines décennies.
XINHUA : Comment voyez-vous le futur rôle de la Chine sur la scène internationale en général et l'avenir des relations sino-européennes en particulier ?
Pierre Calame : La société chinoise représente près du quart de l'humanité. La Chine représentait sans doute 30 % de l'ensemble de la production mondiale avant le 18e siècle. Une série de crises et de stagnations ont fait tomber cette proportion à 1 % au début du 20e siècle. L'extraordinaire développement connu depuis 1978 l'a ramenée à 6 %, loin encore de la part que représente sa population.
La Chine est totalement impliquée dans la mondialisation, dans le système global d'échange. Elle est largement dépendante de l'extérieur pour son approvisionnement en matières premières et pour l'écoulement de ses produits. C'est donc un acteur mondial de première importance, bientôt le plus important du monde. Elle sait, je crois, qu'elle doit assumer les responsabilités qui sont les siennes dans une gestion pacifique de la planète.
Nous sommes entrés dans une période de crise grave. La crise financière est devenue maintenant une crise économique. Dans cette situation, deux scénarios contrastés sont possibles : ou bien, découvrant leur interdépendance, les grandes sociétés de la planète ont l'intelligence de coopérer ensemble pour créer un nouvel ordre économique et financier, monétaire et énergétique mondial. La crise alors aura permis à l'humanité de faire un pas considérable en avant. Mais l'autre scénario est malheureusement plus vraisemblable : chacun va essayer de s'en sortir tout seul.
Dans ce contexte, la qualité du dialogue entre Europe et Chine est devenue décisive. Si l'Europe et la Chine, conjointement, prennent l'initiative d'un dialogue entre les grandes régions du monde, dialogue que ne reflète pas l'actuel G20, si elles apprennent ensemble à dépasser la vision des souverainetés et des intérêts nationaux pour construire dans l'intérêt commun une réforme profonde du système, introduisant des régulations mondiales à la hauteur des interdépendances mondiales, elles auront joué un rôle décisif historique. Si notre Forum peut y contribuer, aussi modestement soit-il, il aura pleinement rempli son rôle.
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