Lors de ma deuxième visite, en 1986, alors directeur d'une entreprise industrielle sénégalaise, je m'étais rendu en Chine pour négocier l'achat de matières premières textiles. Vingt deux ans après ma première visite, la Chine m'avait paru en grande transformation au niveau des infrastructures, des constructions de grands immeubles, des usines de toutes sortes. Le pays entrait déjà dans l'ère industrielle par la grande porte.

L'ouverture du pays sur le monde était alors amorcée et quelques investisseurs étrangers avaient déjà compris que l'Asie se préparait à devenir le centre du monde des affaires. Cette fois, ce qui m'avait le plus frappé, c'était le niveau de maîtrise de la conduite d'un développement aussi rapide dans un contexte international hostile. J'avais rencontré, durant mes négociations commerciales, des managers chinois qui, tout en se souciant de soigner leurs relations extérieures, n'en défendaient pas moins, avec acharnement, les intérêts de leurs entreprises.

Ma troisième visite est toute récente. Il s'agit de la Réunion annuelle du Conseil des gouverneurs de la Banque africaine de développement (BAD), tenue à Shanghai en mai 2007. Ce qui m'a le plus impressionné au cours de cette visite, c'est la parfaite organisation, à tous les niveaux, la maîtrise des grands événements de ce genre et l'hospitalité légendaire du peuple chinois. Le Premier ministre Wen Jiabao, malgré ses lourdes charges, a accepté de se déplacer de Beijing à Shanghai pour venir rehausser de sa présence, cette rencontre internationale en terre chinoise. Il n'a pas manqué de saisir cette occasion pour saluer la commune volonté sino-africaine de coopérer sincèrement et équitablement et de renouveler l'indéfectible engagement de son pays, à tout mettre en oeuvre pour la consolidation de cette coopération dans tous les domaines.Cette visite m'a permis de constater l'énorme accroissement du développement industriel. Des villes comme Beijing, Shanghai sont devenues de grandes métropoles modernes avec un nombre impressionnant d'immeubles de plus de 50 étages. Avec un taux de croissance économique supérieur à 11%, la Chine figure aujourd'hui,au nombre des premièrespuissances économiques du monde.

XINHUA : Quel regard portez-vous sur l'évolution et l'avenir des relations sino-sénégalaises?

Ali Anta SOW : Tout d'abord, il faut rappeler que dès son accession à l'indépendance, en 1960, le Sénégal a été l'un des premiers pays africains à reconnaître la République populaire de Chine. Cela était d'autant plus justifié, qu'ayant acquis de haute lutte le respect de sa souveraineté internationale, l'un des plus grands pays du monde ne pouvait être écarté du concert des nations.

Par la suite, vers la fin des années 90, des malentendus avaient amené les deux gouvernements à suspendre leur collaboration. Fort heureusement, la restauration des relations diplomatiques est redevenue effective depuis quelques années et le niveau de coopération a repris de plus belle avec un vaste programme de coopération. On peut citer quelques projets de ce programme:

- le financement de la boucle de Dakar, renforcement des moyens en électricité pour 370 millions de yuans (48 M de dollars);

- l'appui à l'organisation de la 32e réunion annuelle de la BID par la fourniture de véhicules haut de gamme;

- l'annulation de dettes contractées depuis 1990, à hauteur de 48 millions de yuans (6 M de dollars);

- l'appui au programme Intranet gouvernemental pour 390 millions de yuans (51 M de dollars);

- la réfection de 11 stades départementaux.

Ma conviction est que les relations entre la Chine et l'Afrique pourront tirer profit de l'expérience de chaque partie en matière de coopération. Le Sénégal, pays déjà réputé pour son ouverture et sa culture d'accueil, est très outillé sur le terrain de l'exploration de nouveaux axes de coopération. Considérant le fait que la Chine se soit extirpée du sous-développement par un processus rapide, massif et relativement récent, je suis convaincu que les relations sino-sénégalaises pourront initier des modèles utiles pour le renouvellement de la coopération entre les Etats africains et leurs partenaires du reste du monde.

XINHUA : D'aucuns soutiennent qu'il y aura, en Afrique, un conflit d'intérêt entre la Chine et la France et, dans une plus grande mesure, entre la Chine et l'Europe, en raison de la montée en puissance de Beijing et surtout de la mise en oeuvre d'un nouveau partenariat stratégique sino-africain sur le "terrain français" d'Afrique. Quelle est votre réaction à ce propos?

Ali Anta SOW : Les Etat africains sont souverains, même s'il y a eu ici et là des zones d'influence héritées du partage colonial. Dans une perspective historique, il est clair que le monde est en train de changer et que cette époque arrive à son terme. Chaque Etat est aujourd'hui agent d'un supermarché mondial avec l'obligation de faire les meilleurs choix. La France et les autres partenaires traditionnels des Etats africains en sont conscients. Par conséquent, il faut s'attendre à une grande diversité de situations d'un Etat africain à l'autre. En revanche, la tendance dominante sur le long terme favorisera les relations fondées sur l'avantage réciproque et le respect mutuel, cela incluant la reconnaissance du droit pour chaque nation de diversifier ses relations économiques et culturelles.

De ce point de vue, ce que les peuples africains peuvent dire à leurs dirigeants respectifs est clair : Faites les choix qui nous permettent de développer nos propres forces, les choix qui servent notre mieux être social; ceux qui nous donnent accès à la meilleure éducation, à l'emploi, à la santé, au logement. Faites les choix qui nous assurent une place respectée à la table de l'Universel. Et cherchez sans relâche, et cherchez partout, avec l'Europe, et la Chine, et le monde entier! Car une chose que nous savons, malgré toutes les recettes qui nous ont été servies, c'est que les bons choix restent encore à faire.