Le protagoniste du dernier film du réalisateur Lou Ye assassine un éboueur. Mais quand le bureau du cinéma lui a dit que ce meurtre, qu'il envisageait comme très brutal, devait se limiter à deux coups violents, Lou était furieux.
« Il est ridicule de lui faire porter seulement deux coups, ce qui ferait penser au public que c'est un assassin chevronné, déclare Lou. Ce changement, mineur en apparence, peut modifier le sens de l'ensemble du film et rendre le portrait de l'assassin complètement négatif ».
Juste 41 jours avant la sortie en Chine de Mystery, sa première production depuis l'interdiction de cinq ans dont il avait écopé de la part du bureau national de surveillance du cinéma à la suite de son film Summer Palace, en 2006, Lou se trouve confronté à une nouvelle mesure de censure qu'il juge inacceptable.
Le réalisateur chinois de 47 ans a dit que son film avait satisfait à toutes les vérifications de la censure et avait reçu le permis de projection de l'Administration nationale de la Radio, du Cinéma et de la Télévision (AERCT) avant sa présentation au Festival de Cannes en mai.
En plus de l'ordre de réduire la violence, une scène de sexe a également été raccourcie.
Selon Lou, ce coup inattendu allait avoir un impact sur l'ensemble de la production du film et entraîner de lourdes pertes.
Le 7 septembre, il a annoncé sur Sina Weibo qu'il ferait paraître toutes les informations concernant la censure sur ce site. Cette « résistance audacieuse » a vite attiré une grande attention, faisant de ce système sévère le centre d'un débat.
Selon ses mises à jour sur Weibo, l'attitude de l'AERCT n'a cessé de changer, et ne correspondait pas à ce que lui avait dit l'Autorité du cinéma de Beijing, chargée de la censure préliminaire.
Un employé du service des films de l'AERCT, qui a souhaité rester anonyme, a déclaré lundi que le tournage du film avait reçu le feu vert en tant que film chinois avant qu'il ne soit révélé qu'il s'agissait d'une coproduction avec la France.
Lou a affirmé que la demande pour une coproduction avait également été approuvée par l'AERCT, et reproche à cet organisme d'être revenu sur sa décision.
Les négociations étant dans une impasse, si Mystery va pouvoir ou non sortir reste un mystère. Les critères de la censure laissent la plupart des réalisateurs perplexes. Même aujourd'hui, on a encore des doutes sur la possibilité d'améliorations.
De toute évidence, Lou n'est pas le seul réalisateur chinois à s'être heurté à de tels contretemps, mais il est l'un de ceux, peu nombreux, qui choisissent d' « affronter » les autorités, bien qu'il souligne qu'il s'est agi d'un dialogue et non d'une confrontation.
Tandis que le destin du film de Lou est encore en jeu, le film longtemps attendu White Deer Plain, une adaptation d'un roman classique du même titre, a suscité une marée de critiques contre la censure.
Désappointés par ce film de 156 minutes, les spectateurs ont, dans leur immense majorité, pointé du doigt les censeurs qu'ils accusent d'avoir coupé les ailes à une œuvre grandiose qui était censée durer 220 minutes.
Au cours des dernières décennies, bon nombre de films qui ont remporté des prix dans les grands festivals internationaux de cinéma n'ont pas été autorisés à être projetés en Chine, par exemple Vivre de Zhang Yimou et Adieu, ma concubine de Chen Kaige.
Les réalisateurs doivent consciemment autocensurer le contenu sexuel pour obtenir le précieux permis. Selon un règlement sur la censure, promulgué en 1997, les scènes prolongées de baisers, de caresses et de bain sont, comme les scènes d'homosexualité, complètement interdites, entre autres. |