La position des habitants : une soif de renouveau, tournée vers le futur
Le paysage urbain d'une métropole du XXIe siècle (Photo : Philippe Bourgeois)
Du point de vue des Chinois, la conservation de ces quartiers populaires anciens ne revêt pas la même importance. Nous n'avons qu'une vision superficielle de cette question, et nous raisonnons avec des informations et des standards différents.
Nombreux sont les Chinois qui considèrent la plupart des maisons anciennes de Beijing comme insalubres et sans confort, pas même élémentaire. De plus, nombre d'entre elles sont, selon eux, impossibles à restaurer du fait de leurs dégradations successives, mais aussi à cause du coût exorbitant d'une telle entreprise qui n'est certainement pas à la portée des personnes qui y vivent aujourd'hui. Il est vrai, et il suffit d'une observation attentive pour s'en rendre compte, que dans leur grande majorité, ces maisons ne possèdent pas de sanitaires, ne sont pas connectées au réseau de chauffage urbain, ni au tout-à-l'égout. On y chauffe encore l'eau sur des poêles à charbon qui dégagent des fumées toxiques et constituent par ailleurs un risque d'incendie. On peut également remarquer qu'il y a rarement des maisons ayant même conservé leur apparence générale et leur espace intérieur d'origine.
Ce qui est perceptible à l'extérieur, depuis les hutong, ne reflète pas l'état de conservation réel de tous ces siheyuan. En considérant ces éléments, on comprend mieux que des quartiers entiers ont été détruits et leurs habitants, déplacés en périphérie de la ville, dans des logements récents à loyer modéré, qu'ils ont d'ailleurs souvent pu acquérir avec des subsides du gouvernement. Pour eux, cela constitue une amélioration notable de leur condition de vie.
Les nouveaux standards socio-économiques
Une date importante a accéléré considérablement les travaux d'aménagement urbain à Beijing : l'organisation des Jeux Olympiques d'été en 2008.
Dans les années qui ont précédé, l'État chinois a investi des sommes considérables pour développer les infrastructures de la ville et lui donner le visage qu'elle a aujourd'hui. La construction des stades et équipements sportifs ne représentent d'ailleurs qu'une partie des travaux réalisés. En réalité, ce sont, entre autres, plusieurs lignes de métro, un nouvel aéroport, de nouvelles gares ferroviaires, la modernisation du réseau d'autobus, l'intégralité du réseau routier avec sa signalisation aux normes internationales, de nouveaux quartiers d'affaires, des centres commerciaux, la restauration de l'intégralité des monuments et sites touristiques classés et la construction de nombreux espaces verts qui ont été réalisés en seulement quelques années.
Pour autant, les hutong et les siheyuan n'ont pas complètement disparu. Dans la « Cité intérieure », Houhai, Gulou, ou Nanluoguxiang, par exemple, ont su s'adapter au tourisme. Certaines maisons abritent également des administrations, des entreprises ou des résidences privées. Au sud, dans la « Cité extérieure », certains quartiers ont été presque intégralement reconstruits selon la tradition architecturale d'origine, et nombre de siheyuan y ont été restaurés. Les maisons possèdent maintenant des équipements modernes et sont aussi confortables que des appartements. Bien sûr, les loyers ne sont plus accessibles au plus grand nombre, comme c'est généralement le cas dans ce périmètre de la ville, mais il est encore possible de vivre dans une maison traditionnelle à Beijing. Seule l'ambiance des hutong a changé, ou se transforme peu à peu. Les nouveaux habitants y sont généralement plus fortunés qu'il y a quelques années, surtout ceux du Sud.
Certaines rues comme Qianmen (autrefois réputée pour ses échoppes et magasins traditionnels) ont été entièrement reconstruites et accueillent à présent de nombreuses boutiques internationales, signe d'un goût prononcé des habitants pour la consommation. Les constructions sont de type traditionnel, mais on y retrouve à la fois l'ambiance d'un site touristique, et celle d'un centre commercial moderne. Cette reconstruction a fait perdre un peu de cachet (selon nous, Occidentaux) à ce quartier commerçant historique, berceau de nombreuses enseignes chinoises devenues célèbres au cours du temps. En revanche, sur le plan économique, nul doute que cette transformation est un succès.
Par ailleurs, il est intéressant de remarquer un nombre relativement important de bâtiments anciens rénovés ou reconstruits, plus isolés, qui font contraste avec les constructions beaucoup plus modernes du paysage urbain récent. Ils illustrent ce qui semble être une tendance actuelle, ou peut-être une prise de conscience : faire vivre les siheyuan, sans les transformer nécessairement en musées, en propriétés privées fermées au public, ou en attractions touristiques. Je pense tout d'abord à un restaurant, le Chu Yuan, situé près de la rue Chongwenmen. Il s'agit d'une construction récente, mais parfaitement réalisée dans le respect des matériaux et techniques traditionnels, jusque dans les moindres détails de sa décoration. Il y a même des oiseaux, des poissons rouges et des grillons! On y déguste une cuisine raffinée, dans un cadre élégant, et surtout, on peut y apprécier le calme et l'impression de quiétude que procure ce type d'environnement.
À proximité immédiate se trouve la mosquée du Marché aux fleurs qui a gardé son usage d'origine, le temple du Génie du Feu, transformé en bibliothèque municipale, mais aussi le temple Long' an, construit en 1454, dans lequel se trouve le Centre pédagogique des sciences et technologies qui organise des activités pour la jeunesse locale. Un peu plus loin, dans la tour d'angle sud-est de l'ancienne muraille des Ming, vestige de l'architecture militaire de Beijing, se trouve une galerie d'art dont les bénéfices permettent en partie de financer des travaux de restauration.
En somme, tous ces exemples montrent qu'il est possible, aujourd'hui à Beijing, de conserver et de transmettre le caractère du patrimoine culturel ancien aux générations futures, malgré un développement très rapide.
Des résultats enviables
Finalement, lorsqu'un visiteur vient à Beijing aujourd'hui, il découvre une ville dynamique, propre et accueillante qui abrite de nombreux sites protégés, mémoire de son histoire. Sa richesse culturelle a peut-être perdu quelques éléments, mais elle a conservé l'essentiel de son intérêt. Il s'agit certainement d'un sacrifice nécessaire pour permettre de nouveaux aménagements, surtout dans un délai si bref, et pour garantir un développement efficace. Même si certains observateurs pensent que cette rapidité était une forme de précipitation qui a conduit à faire des erreurs irréparables, on peut s'apercevoir que le résultat est remarquable et fort enviable.
Sur le plan social, les standards de vie des habitants ont considérablement évolué. Lorsqu'on observe les habitants de Beijing en 2010, on se rend compte qu'ils représentent bien la Chine d'aujourd'hui, avec son dynamisme, sa volonté de réussite et ses aspirations à une vie moderne et confortable. Ils ne veulent plus vivre comme leurs parents ou grands-parents, mais veulent pouvoir consommer et voyager, tout comme les habitants de tout pays développé.
De ce point de vue, on peut dire que l'identité de Beijing n'a pas disparu, mais a plutôt évolué pour vivre avec son temps. Elle s'est tout simplement transformée, sachant équilibrer les symboles de son histoire passée, avec les impératifs de son histoire présente et future. Beijing n'est plus seulement la capitale impériale des Ming et des Qing, mais également une métropole internationale du XXIe siècle; de plus, sa population sait vivre dans la réalité historique de la Chine d'aujourd'hui. C'est cela son identité à présent.
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