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par Lisa Carducci
Note de l’auteur : J’entreprends aujourd’hui une chronique sur « Mes » fêtes chinoises. J’essaierai, d’une part, de partager avec vous, lecteurs, de bons moments vécus en Chine depuis mon établissement dans ce pays il a près de trente ans, d’où ce titre. D’autre part, je tenterai de vous permettre de vivre par procuration l’esprit de chacune de ces fêtes… Que dis-je? C’est bien impossible puisque, en plus des grandes célébrations qui couvrent tout le pays, plusieurs autres fêtes relèvent soit des lieux, soit des diverses ethnies. Pour les lecteurs qui ne seraient pas familiers avec la Chine, j’ajoute qu’on compte 56 ethnies « officielles » en plus des Chinois Han. Mes souvenirs sont nombreux ; j’ai donc beaucoup d’histoires à vous raconter.
En 1989, je suis venue en Chine pour une période de trois mois. Je suis arrivée – sans le savoir – quelques jours avant le Nouvel An chinois, en février cette année-là. À la cantine de l’université, on ne voyait que des étudiants africains (nombreux !) et quelques autres venus d’Europe ou d’Amérique.
« Mais où sont donc les Chinois ? », ai-je demandé à un Béninois. « Ben… ils sont rentrés ! Pour la Fête ! », fut sa réponse. J’étais dans l’obscurité totale : la fête… la fête… Je n’avais jamais entendu parler de « la fête ». La période de vacances du Nouvel An chinois s’étendait sur une quarantaine de jours, une période longue mais nécessaire car les étudiants chinois de notre université venaient de tous les coins du pays. Il fallait alors une trentaine d’heures de train pour aller de Beijing à Shanghai. L’avion, pas question ! C’était bien trop cher !
Les étudiants africains, eux, bénéficiaient d’une bourse de la Chine ou recevaient du gouvernement de leur pays leurs frais d’études et une modeste allocation personnelle, et n’avaient donc certainement pas d’argent pour des vacances !
C’est donc auprès des Africains que j’ai appris que le dernier jour de l’année du calendrier s’appelait Chuxi. Dans toutes les civilisations, la veille d’une nouvelle année n’est-elle pas une journée particulière ? « Chu » signifie se défaire de quelque chose, et « xi », soirée, ou nuit. C’est pourquoi, symboliquement, on fait le grand ménage de la maison. Dans mon cas, cela tombait bien puisque d’une part, je devais « m’installer », et d’autre part, mes nouveaux amis africains profitaient de leur temps libre pour m’apporter une aide bien appréciée.
Je ne me souviens pas si les devantures de magasins étaient tapissées d’images colorées cette année-là, comme j’allais le remarquer au cours des années suivantes. Quelles images ? Eh bien, des porte-bonheur symboliques. Une année, par la suite, j’étais partie seule en train vers le Shanbei (partie nord de la province du Shaanxi), et là, tout était coloré d’estampes, de découpages, d’impressions. Je me souviens que dans un village de montagne, même les portes de la porcherie étaient pavoisées des « Dieux des portes ». Ces bandes de papier rouge illustrées de symboles porte-bonheur sont appelées « sentences parallèles », car elles portent aussi des inscriptions rimées, une à gauche de la porte, l’autre à droite. Les chunlian, ou sentences du printemps, ou encore les duilian (sentences face à face) peuvent être achetées, ou bien calligraphiées par le grand-père ou un autre membre respectable de la famille. Au-dessus de la porte, une troisième bande, plus petite. Ces « décorations » resteront en place jusqu’à ce que le vent et la pluie les consomment ; les enlever serait se priver de bonheur pendant toute l’année !
Il faisait extrêmement froid ce jour-là, malgré le beau soleil. Quand je suis arrivée sur la place du village dont j’ai oublié le nom, un spectacle de marionnettes à fil était en cours. Or, le public me faisait face ; quelques personnes ont commencé à s’exclamer de surprise : une laowai ! Les musiciens se sont arrêtés net et se sont tournés vers le « spectacle imprévu » ! Il y avait une seule auberge dans le village ; le patron était retourné dans son patelin au Sichuan. On m’a tout de même ouvert une chambre, mais sans eau ni chauffage. Ce serait une aventure de plus à ma vie chinoise !
Comme la coutume veut qu’on paie ses dettes avant l’arrivée d’une nouvelle année, les marchands offraient des réductions afin d’augmenter leurs ventes. Je crois bien que cette tradition a disparu aujourd’hui, à l’ère du commerce en ligne, alors que tout ce qui peut se vendre est à prix réduit lors du double 11 (fête du shopping célébrée le 11 novembre) et du double 12, en décembre.
Quand, en 1991, je suis revenue en Chine pour m’y établir, j’ai commencé à célébrer les fêtes chinoises de la façon locale. Même si je n’avais pas de famille, je m’adonnais à faire le grand ménage (je vous dirai en secret que j’adore cela !) le dernier jour de l’année. On ne lave pas les rideaux chaque semaine, ni n’époussette quotidiennement les livres de la bibliothèque, n’est-ce pas ? Puis, je brulais de l’encens au Dieu du foyer et sa femme, qui, leur mandat terminé, allaient remonter au ciel faire un rapport sur les bienfaits et méfaits de l’étrangère pendant l’année écoulée…
L’an dernier, un ami que j’avais perdu de vue pendant une quinzaine d’années m’a offert des bandes parallèles de sa main. Quant au caractère fu (福, bonheur), on m’avait dit qu’il fallait l’installer tête en bas, afin de « faire arriver » le bonheur, un jeu de mots sur la prononciation de « dao » qui signifie à la fois « parvenir » et « renverser ». Mais tout chinois qu’il est, l’artiste n’était pas d’accord avec moi à ce sujet. Écart de générations, sans doute ; mon information venait de personnes âgées.
L’Année du Rat va commencer, le premier des douze animaux du zodiaque chinois. Après douze mois au poste, le Rat cèdera sa place au Bœuf. Mais pourquoi cet ordre et non un autre ? L’histoire est très intéressante. Je vous laisse fouiller sur Internet pour en apprendre davantage. Et c’est la période de l’année où l’on s’adonne aux plus artistiques papiers découpés.
Bon, je dois vous laisser pour faire mon grand ménage. À bientôt, en l’Année du Rat !
Source:french.china.org.cn |