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par Lisa Carducci
Une des plus anciennes techniques de coloration textile, encore en usage aujourd’hui, s’effectue par le trempaged’un tissu dans une eau colorée.
Dans cette eau, on a laissé des plantes ou de la poussière minérale évacuer les particules colorées de leur substance, et cette couleur s’imprègne ensuite dans les étoffes.
La teinture indigo – un bleu violacé – est extraite des feuilles de la plante du même nom. Les racines servent à préparer un médicament très efficace contre le rhume, dit-on, et je me souviens encore que dans mon enfance, on en badigeonnait les amygdales endolories des enfants.

C’est en Chine que j’ai appris le mot laran, ou teinture à la cire, pour désigner ce que, précédemment, j’appelais batik, un mot malais. Si le procédé a tellement de désignations, c’est qu’il est pratiqué un peu partout dans le monde.
La teinture à la cire est particulièrement pratiquée par les groupes ethniques miao, yao et buyei du sud-ouest de la Chine. Anshun, dans la province du Guizhou, est le royaume du laran. Le procédé consiste à appliquer sur du coton blanc, à travers un modèle perforé, une couche de cire d’abeille ou bien, de nos jours, un mélange de cire et de pâte de soja. Le coton ainsi apprêté est ensuite placé dans la teinture indigo ; les endroits couverts de cire n’absorberont pas la couleur. Après la teinture, une fois la cire fondue dans l’eau chaude, le dessin apparait en blanc sur fond bleu.
Autrefois, c’est-à-dire il y a plus d’un millénaire, le batik s’appelait jiaxie en chinois. On utilisait des blocs de bois pour étamper. Les fresques des grottes bouddhistes de Dunhuang, dans la province du Gansu (nord-ouest), représentent souvent des femmes vêtues de robes multicolores en jiaxie. Après la dynastie des Song (960-1276), la variété de couleurs fut abandonnée et l’exclusivité accordée à l’indigo et au blanc. Le procédé appelé jiaxie n’a pas disparu ; on en fait encore à Wenzhou dans la province orientale du Zhejiang, mais la teinture comprend aujourd’hui des produits chimiques.
Préparer la teinture demande un long et dur travail. En automne on cueille les feuilles qu’on met à tremper dans un puits d’un mètre de profondeur et de deux de diamètre. Trois fois par jour on brasse la teinture. Après quelques jours, quand l’eau est devenue noire, on ajoute peu à peu de la chaux, une dizaine de fois, jusqu’à ce qu’elle devienne bleue. Plusieurs de ces puits abandonnés servent aujourd’hui à la fermentation des fertilisants naturels.

C’est un travail physiquement dur, et qui requiert toute la famille. Les hommes cultivent les plants, puis construisent de hauts séchoirs de bois pour les tissus teints. Les femmes, afin de bien fixer la couleur, battent le tissu teint avec de lourds marteaux de bois qu’on entend résonner dans la montagne; puis, elles vont à la rivière rincer maintes et maintes fois le tissu. À Gaozheng, dans la province du Guizhou, le dernier bain se fait dans l’albumine, qui confère au coton un aspect luisant. Je me demandais alors si l’indigo était un polluant pour les ruisseaux et rivières. Je ne saurais encore répondre, mais peut-être a-t-on maintenant d’autres façons de laver les tissus sans causer des dommages ?


De cette étoffe teinte on confectionne des vêtements, mais aussi des couvertures, des tentures pour fenêtres et portes, des nappes, sacs, jouets et ornements muraux.
Il n’y a pas de limites non plus à l’imagination des modèles d’impression à l’indigo.

À Anshun, au Guizhou, j’ai trouvé une grande variété de dessins, allant des légendes chinoises aux personnages des cultures ethniques, des scènes littéraires aux histoires bouddhiques, des démons et divinités du théâtre exorciste Nuo aux personnages de l’opéra de Pékin. Les Miao, pour leur part, placent sur la porte des images de leurs divinités imprimées à l’indigoafin deprotéger leur foyer des diables et autres esprits malins.
À Anshun, il m’est aussi arrivé une aventure qui a laissé… ses traces. Après avoir visité plusieurs ateliers de confection vestimentaire, j’éprouvais le désir de me faire confectionner une robe en laran. Mais je devais partir le lendemain. La couturière me dit alors : « Pas de problème, vous aurez votre robe ce soir même ! »Je négociai le prix, puis la laissai prendre mes mesures, en modifiant légèrement le modèle qu’elle m’offrait.
Le lendemain matin, je décidai d’endosser ma nouvelle robe pour retourner à Beijing. Mais je n’étais pas encore montée dans le train que j’étais devenue toute bleue : mains, bras et jambes, ainsi que le reste de mon corps et mes sous-vêtements comme j’allais le découvrir quelques instants plus tard. Comme je ne disposais ni de brosse ni de savon à bord, c’est donc une femme bleue qui débarqua à Beijing. Il m’aura fallu sept ou huit lavages avant que l’indigo cesse (presque) de tacher au moindre contact.

Cette indestructible robe, je la porte encore aujourd’hui.
| Source:french.china.org.cn | ![]() |
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