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Elle sait aimer
Dalia, Russe

Elle-même a acquis ce caractère et ce surnom de femme forte des deux années de Révolution culturelle qu'elle a passées en zone rurale. De 1974 à 1976, elle avait été assignée aux services médicaux après une formation de six mois. Encore aujourd'hui elle vante les mérites de son professeur, « un grand médecin ». Si elle se souvient avec bonheur de cette période, c'est que cette expérience a exercé sur elle une solide influence : « Après avoir gouté la misère sous toutes ses formes, je n'avais plus rien à craindre. » Lorsque ses filles étaient enfants, toutes deux habitaient avec leur mère une petite maison de terre ; il fallait aller chercher l'eau à cent mètres dans des seaux suspendus à une palanche.

L'enseignante tirait beaucoup de plaisir de son travail. La plus grande difficulté consistait à éduquer des enfants indisciplinés, peu obéissants et dont les parents exigeaient beaucoup de l'école. Dalia est capable d'amour, et « c'est ce qu'il faut aux jeunes », affirme-t-elle. « J'avais une élève infirme que j'ai choisie comme chef de classe. Vous ne pouvez imaginer sa reconnaissance », raconte-t-elle. Quand on mentionnait le nom de son enseignante, la fillette souriait comme dans un rêve, radieuse. Elle se savait aimée. « Ici, on préfère encore les garçons aux filles. À la maison, les filles doivent servir leurs frères et tout leur donner. J'essaie de faire comprendre aux parents qu'il faut accorder autant d'importance et d'attention aux deux sexes, et quand ils comprennent, les fillettes sont heureuses. Moi aussi, j'ai été moins aimée que mes frères. »

Yira, poussée par sa mère, a choisi la faculté d'anglais. Elle était une bonne étudiante qui, comme Dalia, aime toujours apprendre. En ma compagnie durant ce voyage de documentation, elle ne rate pas une occasion de demander comment on dit ceci ou cela en ouigour, en mongol, en kazakh, et surtout, elle retient la leçon, contrairement à moi. En troisième année du secondaire, Yira était dans une classe « spéciale » parmi les étudiants les plus doués. Par ailleurs, elle excellait en tennis de table, natation, ski et patin. Elle aime danser et chanter, sait jouer de l'accordéon et de la guitare, et a suivi des cours de dessin. Elle me dit : « Dès votre retour à Beijing, je vais me remettre à peindre. » Elle désire aussi arriver à maitriser le russe que pour le moment elle étudie en autodidacte.

Depuis sa retraite, Dalia sert de tutrice de langue chinoise à des élèves kazakhs qui ont besoin de répétition. Il faut un certain nombre d'élèves pour ouvrir une classe de langue kazakhe ; si l'on n'atteint pas la norme, les enfants fréquentent la classe chinoise et ils ont parfois de la difficulté à suivre en mathématiques, le professeur parlant trop vite pour eux. Les Ouigours, pour leur part, étaient assez nombreux et ont maintenant leur propre école, explique Dalia.

Quelle n'était pas la joie de l'enseignante d'apprendre, récemment, que deux de ses trois élèves de cette année avaient obtenu la note de 80 ! Le troisième, qui n'a décroché que 60, continue les leçons pendant les vacances, toutefois à un rythme plus détendu. Dalia se contente de 200 yuans par mois pour chaque enfant tandis que ses collègues demandent 230 ou 250. « Je dis aux parents que si leur enfant étudie bien et progresse, je suis comblée. »

Dès que Dalia rentre à la maison, elle allume la radio ou glisse un disque dans l'appareil. « J'aime bien écouter de la musique », dit-elle. Elle se tient en forme : longue randonnée à bicyclette chaque matin, saut à la corde, patinage l'hiver. « Et elle nage comme un poisson », ajoute Yira.

Aujourd'hui, elle a préparé des baozi farcis d'aubergine, de carotte, de piaz (ognon) et de viande de mouton. Excellents ! Je me gave et j'en redemande au diner. Le lendemain, elle se lève tôt et sans bruit prépare toutes sortes de pâtisseries et crêpes qu'elle nous sert avec une variété de confitures maison : pêche, fraise, abricot et bleuet, cette baie qu'on ne trouve nulle part ailleurs en Chine qu'au Xinjiang. Il y a aussi du beurre frais et du miel à l'arôme de trèfle.

Car Dalia est aussi une excellente cuisinière, qui connait les règles alimentaires de la santé et les caractéristiques de chaque légume ou fruit, viande ou poisson. Aussi il y a deux mois a-t-elle été invitée à une émission de la chaine CCTV-2 pour une démonstration de cuisine. Chez elle, tout ce qui se met sous la dent est présenté avec un « Savez-vous que » l'aubergine, la pelure en particulier, sert à éveiller le pouvoir d'autoguérison dans l'organisme ; que tel fruit active la circulation, tel autre ralentit le vieillissement cutané ? C'est le genre de livre que Dalia aime lire, et elle s'est faite dépositaire d'un trésor de connaissances.

À 18 h, quand le soleil intense se calme, nous partons en promenade dans la forêt de bouleaux (Hua lin gongyuan). À l'heure du Xinjiang – deux fuseaux horaires à l'ouest de Beijing – il fera encore jour à 22 h. Dans la petite ville de Altay, les 200 000 habitants semblent tous se connaitre, ce qui rend les promenades fort sympathiques.

De toutes les réalisations de cette femme accomplie, ce qu'elle sait faire de mieux est encore d'aimer. Sa personne dégage la générosité, l'élan vers les autres, la compréhension et le désir d'aider. D'elle il me reste, en plus d'une profonde impression, un bracelet de « jade du désert de pierraille » portant un Pixiu, créature mythique chinoise qui se nourrit d'or et d'argent et ainsi protège la fortune.

L'orthographe rectifiée (1990) s'applique dans ce texte.

(Extrait modifié de Ces gens merveilleux du Xinjiang, Beijing, FLP, 2008.)

 

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