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Elle sait aimer
Dalia, Russe

 
Lisa Carducci

Il était évident que mon accompagnatrice désirait ardemment profiter de notre passage dans la préfecture de Altay pour rendre visite à sa mère, qui habite la ville du même nom. J'avais un crédit d'une demi-journée à mon horaire ; il suffisait de rogner un peu davantage sur mes nuits et de trouver un prétexte pour ne pas aller diner, et nous pourrions passer une journée à Altay.

La préfecture est toute d'eaux et de monts, et quatre caractères chinois inscrits partout servent à l'identifier, même du haut des airs : « Jin shan yin shui » (Montagnes d'or, eaux d'argent), car autrefois, c'est ici que les chercheurs d'or venaient faire fortune.

Dalia porte aussi un nom chinois, Fang Ling, et pas seulement pour raison de commodité mais parce que son grand-père maternel était un Han. Toutefois, elle s'identifie comme chinoise d'ethnie russe, ses deux filles également. Dans sa jeunesse, elle a étudié le russe pendant six ans mais comme elle a peu d'occasions de le parler, sauf avec sa mère au téléphone, elle dit en avoir oublié beaucoup. Si l'ethnie russe compte 15 600 ressortissants en Chine, installés surtout dans la préfecture de Ili et les villes de Tacheng et de Urumqi au Xinjiang ainsi qu'au Heilongjiang et en Mongolie intérieure, il n'existe pas de département autonome russe au Xinjiang car les Russes ne vivent pas en communauté compacte. Dalia parle parfaitement chinois, puisqu'elle est née et a étudié en Chine, et même le kazakh, qui est la langue du département autonome kazakh dont relève cette préfecture. En fait, ici, toutes les inscriptions, les enseignes commerciales ou routières sont bilingues : chinois et kazakh.

Dalia a été enseignante, d'abord pendant cinq ans à l'école secondaire de Burqin où elle est née, puis au primaire à partir de 1981, suivant son mariage et son installation à Altay. Elle vit dans un appartement du campus de la plus grande école primaire de Altay, qui compte deux-mille-cinq-cents élèves et plus de cent enseignants. Le campus est désert en cette fin de juillet, et l'environnement est parfaitement tranquille. D'ailleurs, ce calme semble caractériser tous les endroits du Xinjiang que j'ai visités jusqu'ici, sauf évidemment Urumqi.

L'appartement de Dalia, au quatrième étage, est d'une propreté impeccable et bien éclairé par de grandes fenêtres dans les trois chambres et même dans la salle de bains et la cuisine. Sur le bord de la fenêtre du salon, trois pots de géraniums à fleurs fuchsia agrémentent l'atmosphère sous un élégant rideau de mousseline blanche et sur un fond de montagnes. Par ailleurs, comme bien des femmes chinoises, Dalia trouve mignons les animaux en peluche et on en voit un peu partout chez elle. Le Père Noël la fascine et ce personnage fait aussi partie de la décoration – en plusieurs exemplaires ! C'est le côté chinois du gout de Dalia. En fait, le logement reflète la personne et je peux y déceler le caractère de cette femme avec qui je passerai vingt-quatre heures.

Elle était presque aussi heureuse de m'embrasser à mon arrivée que d'embrasser sa fille cadette, qui travaille à Urumqi. L'ainée travaillait à Beijing jusqu'à la semaine dernière. Elle est récemment revenue à Altay afin de procéder aux formalités nécessaires à son départ pour le Kazakhstan. Elle y étudiera la langue russe pendant deux ans. En apprenant cette nouvelle, je m'étonne qu'elle n'aille plutôt en Russie. « C'est moins cher au Kazakhstan, dit-elle, plus près, et la qualité est égale. » Et d'ajouter : « La société exige des compétences ; je suis encore jeune, c'est le temps de me remettre aux études ».

Dalia n'a que 53 ans mais est déjà à la retraite depuis 2001 ; c'était trop demander à sa santé. Avec deux filles qui avaient besoin d'elle, elle ne pouvait plus porter en même temps dans son cœur deux classes de cinquante élèves. Ses filles sont devenues pensionnaires à Urumqi dès l'âge de 18 et 16 ans respectivement, l'une à l'université, l'autre au cours secondaire. C'est alors que la mère affectueuse et dévouée a démissionné et est allée s'installer à Urumqi « pour lui faire la cuisine », explique-t-elle en indiquant Yira qui vivait avec elle dans un logement loué. Dalia s'inquiétait particulièrement pour la cadette, dont le caractère effacé et timide la portait à reculer devant ceux qui s'affirmaient. Elle dit avoir travaillé ferme à forger chez sa fille « une femme forte », et ajoute : « Sonia était plus affirmée ; j'étais tranquille. »

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