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Guider les musulmans
Abdurakip•Damullah Hadjim, Ouigour

Lors d'un mariage, l'imam a aussi un rôle à jouer ; quand un garçon et une fille se sont suffisamment fréquentés pour savoir qu'ils s'aiment et sont prêts à fonder un foyer ensemble, on va chercher l'imam pour les marier. La cérémonie se déroule dans la famille de la jeune fille. Après des prières, des conseils aux jeunes époux et l'échange des promesses nuptiales, on trempe un morceau de nang (pain) dans un bol d'eau salée et les deux époux le consomment. Les mariés ne portent pas d'anneau au doigt ni d'autre signe ostensible. Le couple reçoit un certificat de mariage de la République populaire de Chine, en tant que citoyens de ce pays, et un certificat islamique propre aux musulmans. Célébrer un mariage musulman est une fonction de l'imam ; assister au banquet qui suit est un choix personnel.

Je constate depuis longtemps que les Ouigours consomment souvent de l'alcool, et je demande à Abdurakip comment il voit ce geste. « L'alcool est formellement interdit aux musulmans. Ce n'est pas bien d'en prendre, mais comme partout ailleurs dans le monde, il y a du bon et du mauvais », admet-il. Par contre, si les femmes ne vont pas à la mosquée, c'est l'habitude au Xinjiang et non une interdiction. Une femme peut entrer dans une mosquée, de même que des touristes étrangers, mais ils doivent respecter les règles. En période de menstruations, une femme ne doit pas entrer. Aussi doit-elle avoir les bras couverts.

Dix ethnies musulmanes habitaient le Xinjiang il y a mille ans. En Chine – pays où coexistent le plus grand nombre d'ethnies et le plus grand nombre de religions – il n'y a aucun conflit entre elles. Toutes les ethnies et toutes les religions vivent en harmonie. N'est-ce pas extraordinaire et merveilleux ? Le malheur est qu'en Occident, on connait mal l'islam et lui prête des intentions qui n'ont rien à voir avec son fondement mais appartiennent à de petits groupes d'extrémistes que la Chine, tout comme le reste du monde, combat fermement.

Si l'on y pense bien, il y a vraiment là un miracle d'harmonie. Avant l'introduction de l'islam, le zoroastrisme, le bouddhisme, le taoïsme, le manichéisme et le nestorianisme étaient déjà pratiqués au Xinjiang grâce à la Route de la soie et s'y propageaient en même temps que les religions primitives locales et le chamanisme. Après l'introduction de l'islam, non seulement la coexistence de plusieurs religions a été maintenue au Xinjiang, mais encore le protestantisme et le catholicisme se sont-ils ajoutés.

Abdurakip a 45 ans et son épouse, dix ans de moins. Le couple a trois filles de 14, 9 et 6 ans. Lorsque je suis allée prendre une photo des fillettes et de leur mère à domicile, la cadette dormait et la mère était sortie. Les deux ainées se sont montrées fort polies malgré leur timidité. J'ai dit à la seconde : « Tu peins tes sourcils ? », et son père a répondu avec un sourire affectueux qu'elle était déjà une dame. En effet, souvent les femmes ouigoures tracent une ligne au crayon noir qui joint les deux arcades sourcilières. Cela m'étonnait beaucoup les premières fois que je suis venue au Xinjiang mais je m'y suis habituée. Les critères de beauté d'un peuple ne sont pas universels.

L'imam est allé trois fois à La Mecque à la tête d'une délégation de Chinois musulmans, soit en 1994, en 2000 et en 2005. Avant la fondation de la Chine nouvelle en 1949, seulement 42 musulmans chinois étaient allés en Arabie saoudite. À partir de 1980, avec la restitution de la liberté religieuse, il y en a au moins 3 000 par an ; le nombre augmente sans cesse et atteint maintenant la moyenne des autres pays ; 30 % des pèlerins sont des femmes. Chaque année, de douze à quinze personnes du Xinjiang, une par département, sont choisies et leur pèlerinage est entièrement défrayé par l'État. Les autres s'y rendent à leurs frais ou sont subventionnés par des institutions musulmanes. J'entends souvent des gens se moquer : « Quand ils sont jeunes, ils n'ont pas d'argent ; et quand ils ont de l'argent, ils sont trop vieux. » Je demande alors sur quels critères on se base pour sélectionner ces élus qui profiteront de la gratuité. « Sur leur niveau de connaissance de l'islam, ce qui veut dire qu'avant 50 ans, on est rarement prêt car il y a le travail, les enfants à faire étudier... Après 70 ans, il est trop tard, car s'il arrive un accident cardiaque, respiratoire, cérébrovasculaire à l'étranger, on ne peut prendre la responsabilité. »

Abdurakip vient d'une famille paysanne et non instruite. Comment est-il parvenu si jeune à un rang si élevé ? Il répond : « Parce que j'avais un but, que je m'y suis dirigé en ligne droite et en travaillant très fort. » L'institut qu'il dirige est l'une des dix institutions du genre au pays ; cinquante-huit personnes y travaillent.

L'imam me parle d'un voyage de vingt jours qu'il a fait en Syrie en passant par les Pays-Bas et l'Italie. Une autre fois, il s'est rendu au Caire via la Thaïlande. La coopération avec l'Égypte en ce qui concerne la formation islamique est très active ; actuellement soixante-quatre musulmans de Chine étudient dans ce pays. Esprit curieux, Abdurakip m'interroge sur la vie en Italie qu'il aimerait bien connaitre davantage. En 1994, il est allé en Arabie saoudite, en 2000, aux Émirats arabes unis, toujours dans le cadre de ses fonctions. Fréquemment il se rend à Beijing, la capitale nationale, pour assister à des réunions ou congrès, principalement. Pendant ses moments libres, il adore la lecture et s'intéresse particulièrement aux livres sur la religion. Le reste de ses loisirs est occupé par le sommeil.

L'orthographe rectifiée (1990) s'applique dans ce texte.

(Extrait modifié de Ces gens merveilleux du Xinjiang, Beijing, FLP, 2008.)

 

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