Guider les musulmans
Abdurakip•Damullah Hadjim, Ouigour
Lisa Carducci
« Le rôle d'un imam, c'est de donner l'exemple aux musulmans. S'il ne le fait pas, inutile d'être un imam. » Voilà une des premières phrases qu'a prononcées Abdurakip au cours de notre entretien de deux heures, dès ma descente d'avion à Urumqi au retour du Xinjiang du Nord. Lui aussi a été très occupé ces derniers jours. Revenu hier de Turfan, où il est né et a grandi, il a rencontré, tout juste avant mon arrivée, une délégation de Shanghai qui voulait en savoir davantage sur l'islam au Xinjiang. Malgré tout, il n'a laissé paraitre ni fatigue ni impatience, et a répondu à toutes mes questions avec le sourire d'un homme qui parle de ce qu'il aime, de ce qui l'anime.
Abdurakip, c'est son prénom ouigour. Damullah indique qu'il est un imam du plus haut niveau, et Hadjim (supérieur à Hadji) indique qu'il a accompli le pèlerinage rituel à La Mecque, ou hadj.
Né dans une famille rurale, il a fréquenté l'école en langue chinoise. À la fin de ses études secondaires en 1979, il n'a pas réussi l'examen d'entrée à l'université. Sa mère, désolée, voulait faire de lui un homme utile et l'a alors présenté aux imams. Le jeune homme a commencé à étudier l'islam sous leur égide. « Lorsque Deng Xiaoping, concepteur et initiateur de la réforme et de l'ouverture en Chine, a déclaré que la croyance religieuse était un droit de l'homme et un libre choix, et que la pratique religieuse devait être protégée par la constitution chinoise, déclare Abdurakip, j'ai décidé de me lancer à fond de train dans l'étude des textes islamiques et de devenir un imam. » Et d'ajouter : « On n'était plus à l'époque de la Révolution culturelle où la religion appartenait aux vieilles idées dont il fallait débarrasser la Chine. » Aujourd'hui, toutes les religions sont présentes au Xinjiang.
Abdurakip parle parfaitement le chinois et l'ouigour, et passablement l'arabe pour avoir étudié en Égypte. La plupart des musulmans, selon lui, connaissent suffisamment l'arabe comme langue de prière. De 1980 à 1990, il a reçu sa formation auprès d'imams dans plusieurs villes. Entre 1991 et 2001, il était lui-même imam dans le district de Shanshan de Turfan, à la mosquée Id Kha (on voit aussi Idkah, Idgar ou Atigar, mot qui signifie « lieu réservé à la célébration des jours de fête »).
En quoi consiste la journée d'un imam ? Son rôle est de guider ses frères musulmans, de les entrainer dans la pratique de leur foi. Cela commence avec les cinq prières quotidiennes, soit Bamdat, Piexin, Digar, Sham et Hoptan, qui se récitent respectivement une demi-heure avant le lever du soleil, à 13 heures, à 17 heures, au coucher du soleil (donc à une heure qui varie quotidiennement), et enfin après le Sham jusqu'à l'aube du lendemain. Chaque prière dure une demi-heure et est précédée des ablutions. « L'imam doit absolument se rendre à la mosquée pour prier. S'il prie enfermé chez lui, il ne donne l'exemple à personne », dit Abdurakip. Il doit aussi porter le turban et la robe appropriée.
Les autres musulmans – soit les fidèles ordinaires – participent à la prière chaque fois que le temps le leur permet ; ou bien ils délèguent un représentant de la famille. Ainsi à chaque prière il y a de trois à cent personnes à la mosquée. Les autres prient chez eux ou dans leur cœur.
Le vendredi est une journée sacrée. Des milliers de fidèles se rendent à la mosquée à 12 h 30 pour une demi-heure d'enseignement dans la langue locale, soit ouigour ou kazakh, ou encore chinois pour les Hui. C'est l'imam qui explique les écritures, rappelle les règles comme celle du respect des femmes, de l'assistance aux parents, etc. Ensuite a lieu une demi-heure de prière, en arabe. Ceux qui ne connaissent pas la langue se recueillent et écoutent les autres. Ce sont les étudiants avancés ou les imams presque diplômés qui dirigent cette cérémonie, tandis que les imams se placent derrière eux pour les observer et les corriger. Peu importe vent ou neige, pluie ou canicule, la mosquée est remplie et l'espace extérieur également. « Dix-mille personnes, ce n'est pas un chiffre exagéré. »
Le reste du temps, l'imam procède à son travail personnel ; l'agriculteur s'occupe de sa terre, le commerçant de ses affaires. Pour sa part, Abdurakip•Damullah Hadjim est directeur de l'Institut d'études islamiques du Xinjiang et professeur. Il donne dix heures de cours par semaine. Les cent-soixante étudiants sont tous des garçons entre 18 et 25 ans divisés en six classes et trois niveaux.
Comment devient-on musulman ? « Soit par la conversion, comme c'est le cas de Han qui veulent épouser une femme musulmane, par exemple, soit par la naissance au sein d'un foyer musulman, explique l'imam. Il n'y a pas de cérémonie particulière entourant la naissance. L'enfant est entrainé peu à peu à la pratique, mais il n'a aucune obligation avant l'âge de 18 ans. Ensuite, s'il ne fait pas son devoir religieux, il sera puni. » Je demande quelle sanction l'attend, et m'entends répondre que « un tel homme ne pourra jamais atteindre le bonheur ; il connaitra une vie misérable ».
Je n'ai pas voulu contredire mon interlocuteur, qui semble convaincu que tous ses frères musulmans sont des fidèles pratiquants, mais selon le Pr Feng Jinyuan, expert en islam de l'Institut des religions du monde relevant de l'Académie des sciences sociales de Chine, seulement 50 000 à 100 000 des 20 millions de musulmans chinois observent strictement et en toutes circonstances les commandements de leur religion comme le salat (la prière) cinq fois par jour, tournés vers La Mecque.
Lors d'un décès, l'imam préside aux funérailles et l'occasion sert d'enseignement. Les musulmans enterrent leurs morts à trois mètres sous terre et le site est surmonté d'une tombe vide construite hors terre.