Lisa Carducci
Au Xinjiang, au nord-ouest de la Chine, une femme de 35 ans décide de divorcer. Son motif : il n'y a rien de passionnant dans sa vie matrimoniale. Elle a passé plusieurs jours à réfléchir et à comparer sa vie actuelle à ce que serait son existence si elle était seule, et a fini par conclure que son mariage devait être rompu puisqu'il ne lui apportait rien de positif. Le couple soumet une demande de divorce et attend un avis de comparution. Les époux ne se sont jamais disputés, n'ont jamais rencontré de grave problème, n'ont jamais été infidèles, mais n'ont jamais rien vécu d'envoûtant non plus. L'histoire ne dit pas si le mari a tout simplement accepté la proposition de divorce de sa femme ou s'il a tenté de sauver la situation.
Or, quelques jours après avoir déposé la requête, voilà que la femme fait une chute en descendant de l'autobus et se casse une jambe. Elle est immobilisée à l'hôpital, et plus tard, de retour à la maison, ne peut se déplacer qu'avec des béquilles. Pendant sa convalescence, son mari se montre attentif : il l'aide à se lever, s'asseoir, se coucher; il fait la cuisine et le ménage, lave les vêtements et fait les courses.
Lorsque sa femme est rétablie, il continue d'être aux petits soins, si bien que l'épouse est si émue devant tant de gentillesse qu'elle décide de retirer sa demande de divorce.
De telles situations ne sont pas rares en Chine. Puisqu'on se marie souvent sur simple encouragement de ses amis ou sous la pression des parents, on divorce aussi sur un coup de tête ou au moindre nuage. Quantité de mariages chinois sont basés sur l'épaisseur du portefeuille. Et quand ce dernier perd son embonpoint, la vie commune n'a plus sa raison d'être.
La Chine a été longtemps un pays sans divorce (ou presque), sans drogue et sans sida. Mais la boîte de Pandore semble avoir explosé avec l'ouverture du pays. La Chine est en train de dépasser les pays qu'on disait libres, ou même libertins en ce qui concerne le divorce. Les statistiques d'une seule cour d'un arrondissement de Beijing, qui a traité120 cas de divorce en 2004, montrent que 30 % des couples impliqués étaient âgés de moins de 25 ans.
Un homme dans la trentaine, marié depuis huit ans, me demandait récemment si je pensais normal qu'à un certain moment dans la vie de couple, l'un des deux partenaires aille voir ailleurs. C'est le cas de sa femme. Depuis deux ans elle voit quelqu'un d'autre; il le sait, mais ne dit rien, car il pense qu'il pourrait bientôt en faire autant. D'ailleurs, il songe à émigrer, et alors ce serait la fin de son mariage sans intérêt.
Je lui ai expliqué mon point de vue. Autrefois, un siècle durait cent ans. Pendant cent ans, on pensait de la même façon que ses parents et grands-parents, recevait la même éducation, s'adonnait à la même activité, s'habillait de la même façon, écoutait la même musique, etc. De plus, les gens ne se déplaçait pas, n'avaient pas de contacts avec d'autres sociétés ou civilisations. Puis, les époques se sont mises à raccourcir, le temps s'est accéléré, et aujourd'hui, une « époque » dure cinq ans, ce qui veut dire qu'au cours d'une vie, on a pu recevoir une éducation familiale préscolaire différente de celle qu'on a reçue à l'école primaire, différente encore au secondaire et encore diverse à l'université. Pendant la vie de travail, qui n'occupera pas deux, cinq ou dix emplois, entrecoupés parfois de périodes de formation, de spécialisation ou de mise à jour?
Dans la vie matrimoniale il en va de même : cinq ans après le mariage, les deux individus ont évolué et leur couple a évolué. Mais comme cette évolution rapide ne suit pas le même rythme pour les deux partenaires, après un lustre on voit déjà un décalage, et après une décennie, un écart souvent considérable. On ne sait comment le combler, et on préfère divorcer.
Aujourd'hui, de plus en plus de couples, sensibles à la possibilité (ou la probabilité), consciemment ou inconsciemment, d'une séparation en cours de route, préfèrent vivre ensemble sans mariage officiel. S'ils ont à se quitter un jour, ils éviteront bien des ennuis.
Il y a déjà plusieurs années que je cherche la solution idéale. J'en suis venue à imaginer un nouveau « contrat » de mariage, peut-être utopique, je vous en laisse juges.
Si, au lieu de dire « oui » une fois pour toutes, « jusqu'à ce que la mort vous sépare », vous pouviez vous engager pour cinq ans seulement, ne croyez-vous pas qu'il serait plus attrayant et moins dangereux de prendre cette décision? Les cinq premières années de mariage sont habituellement assez faciles à vivre. Cependant, les petits défauts de l'un et de l'autre commencent à poindre. Au terme du contrat, on saurait d'avance quelles tendances agaçantes le partenaire développerait probablement, et on pourrait jauger sa propre capacité d'accepter. Si le couple décidait de s'engager pour un nouveau « mandat » de cinq ans, il saurait à quoi s'en tenir. S'il décidait de ne pas continuer, on ne pourrait pas vraiment parler de rupture puisque le contrat serait simplement échu.
Qu'en serait-il des enfants?, demanderez-vous. Ni plus ni moins que dans un mariage « pour la vie ». Combien d'adultes d'aujourd'hui ont des parents qui restaient ensemble « pour les enfants » seulement, quand pourtant les enfants auraient été bien plus heureux si leurs parents s'étaient séparés au lieu de se disputer, s'insulter et même se battre devant eux quotidiennement.
Si c'était à refaire, c'est pour cinq ans à la fois que j'aimerais me marier. Et vous? |