RDC : à Rubaya, le coltan alimente la vie comme les conflits (REPORTAGE)
Située au cœur de l'est de la République démocratique du Congo (RDC), Rubaya incarne un paradoxe saisissant.
Cette cité minière animée, peuplée de centaines de milliers d'habitants, constitue depuis longtemps un poumon économique grâce à ses riches gisements de coltan, un minerai essentiel à la fabrication de batteries et à la transformation énergétique mondiale.
Mais dans une région en proie aux conflits, cette manne constitue également l'une des causes profondes de l'emprise meurtrière des groupes armés.
Enfouie au pied des montagnes qui entourent les vastes carrières de Rubaya, l'activité minière s'y pratique à l'ancienne, à la main.
Le paysage est constellé d'abris de fortune, témoins de la précarité dans laquelle vivent les mineurs. Beaucoup peinent sans relâche dans l'espoir d'extraire suffisamment de coltan, ce "nouveau minerai de sang", pour nourrir leur famille.
"Je travaille ici chaque jour pour subvenir aux besoins des miens", confie Prospère Mihigo, dont les mots simples masquent difficilement la dure réalité d'une existence dans une région troublée.
Rubaya, qui compte parmi les plus grands producteurs mondiaux de coltan, avec une production annuelle estimée entre 6.000 et 7.000 tonnes, s'est muée en enjeu géopolitique stratégique.
Depuis la fin de l'année 2021, la province du Nord-Kivu, où se situe Rubaya, est ravagée par des affrontements violents entre l'armée congolaise et les membres du Mouvement du 23 mars (M23).
Selon un rapport des Nations Unies publié en septembre 2024, le M23, après avoir pris le contrôle de Rubaya en avril de la même année, impose désormais des taxes sur les minerais extraits : 7 dollars par kilo de coltan, 4 dollars pour l'étain. Cela représenterait jusqu'à 840.000 dollars par mois pour le M23, sur la base d'un commerce de 120 tonnes de coltan par mois à Rubaya.
Le M23 s'empare progressivement d'autres régions minières stratégiques. Le 20 mars, les rebelles ont pris le contrôle de Walikale-Centre, autre carrefour minier du Nord-Kivu. Riche en cassitérite, en coltan et en or, cette cité constitue aussi un nœud logistique et commercial de première importance. Une semaine plus tôt, la société minière internationale Alphamin Resources annonçait la suspension de ses opérations sur le site de Bisie, non loin de Walikale-Centre, en raison de l'avancée des rebelles.
Bisie, troisième mine d'étain au monde, a produit 17.300 tonnes d'étain en concentré en 2024, soit environ 6% de l'offre mondiale, selon l'International Tin Association. Cette suspension a entraîné une flambée de près de 10% du prix de l'étain sur le marché de Londres, atteignant 36.315 dollars la tonne, un sommet depuis août 2022.
Dès 2021, Xia Huang, envoyé spécial de l'ONU pour la région des Grands Lacs, rappelait que l'exploitation illégale des ressources naturelles était l'un des moteurs principaux de l'instabilité à l'est de la RDC.
"L'exploitation et le commerce illicites des ressources naturelles constituent une des causes profondes de l'instabilité politique et des conflits qui continuent encore d'endeuiller l'est de la RDC et la région", avait-il dit.
Le M23 contrôle désormais plusieurs localités stratégiques dans l'est de la RDC, notamment Goma et Bukavu, les chef-lieux provinciaux du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.
Depuis fin janvier, près d'un million de personnes, dont quelque 400.000 enfants, ont été déplacées. Ce chiffre devrait encore augmenter, selon les Nations Unies, alors que les combats se poursuivent.
"Le peuple congolais a besoin que les acteurs locaux, nationaux et régionaux fassent preuve de leadership et privilégient le dialogue plutôt que l'intérêt personnel, la cupidité ou la violence", a plaidé Nada Al-Nashif, haute-commissaire adjointe des Nations Unies aux droits de l'Homme.