ZOOM AFRIQUE: Crédits de carbone, nouvelle option pour le financement vert et la gouvernance environnementale en Afrique
En Conduisant le long de l'autoroute principale dans le centre-ouest de la Côte d'Ivoire, dont le taux de croissance du PIB a atteint 6,1% en 2024, on passe par des plantations de cacao, de manioc, de bananes ou d'hévéas, qui constituent une forêt dense humide près du fleuve Sassandra, l'une des fleuves principales du pays.
Depuis des décennies, la culture du cacao et l'extraction du bois ont généré des revenus pour les habitants locaux. Cependant, face aux enjeux du changement climatique et à une conscience environnementale croissante, le gouvernement aspire désormais à développer une économie plus durable et verte. Ce projet se heurte à des défis majeurs, notamment le manque de financement. Dans ce contexte, l'émergence et le développement des crédits carbone offrent un nouvelle option pour soutenir cette transition vers une économie plus respectueuse de l'environnement.
ALTERNATIVE DE DEVELOPPEMENT VERT
Deux organisations spécialisées dans la vente de crédits carbone générés par des projets de restauration de la biodiversité, Agro-Map de Côte d'Ivoire et aDryada de France, se sont engagées à reboiser 100 000 hectares de terres dégradées de la forêt classée du Haut-Sassandra, dans le cadre d'un projet appelé Karidja.
Le crédit carbone désigne la quantité de gaz à effet de serre dont l'émission dans l'atmosphère soit éliminée, soit évitée par un pays ou une entreprise grâce à la mise en œuvre d'un projet volontaire de réduction des émissions, à condition d'être certifiée par les Nations unies ou une organisation de réduction des émissions accréditée par l'ONU.
Une unité de crédit carbone équivaut à la réduction d'une tonne d'émissions d'équivalent dioxyde de carbone. Les crédits carbone sont principalement générés par des projets tels que la conservation des forêts et des zones humides, ainsi que par la construction de parcs éoliens.
Selon Fabio Ferrari, fondateur et PDG d'aDryada, cité par le journal français Le Monde, le projet Karidja devrait éliminer environ un million de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) de l'atmosphère par an au cours des huit prochaines années, et ces réductions seront vendues sous forme de crédits carbone.
Actuellement, une tonne de CO2 se vend entre 3 et 6 dollars sur le marché volontaire. Toutefois, pour que les objectifs climatiques mondiaux soient atteints, sa valeur doit arriver en moyenne au moins 75 dollars la tonne d'ici la fin de la décennie, selon Kristalina Georgieva, directrice générale du Fonds monétaire international (FMI).
Antonio Pedro, secrétaire exécutif adjoint de la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA), a indiqué que l'Afrique dispose d'un potentiel important à cet égard. Les services éco-systémiques que le continent fournit au reste du monde, notamment la séquestration du carbone dans les forêts du bassin du Congo, doivent être monétisés, et le marché du carbone représente une option pour ce faire. Il a également noté que les forêts d'Afrique centrale absorbent chaque année plus de CO2 que les forêts d'Amazonie et d'Asie du Sud-Est.
Dans ce contexte, le gouvernement ivoirien, qui prévoit de restaurer 20% de son couvert forestier d'ici 2030, désire promouvoir son programme de reboisement ainsi que les transformations énergétique et économique, grâce au marché du carbone.
PROJETS EXPLOITES EN AFRIQUE SUB-SAHARIENNE
D'autres gouvernements africains ont également manifesté un vif intérêt sur le marché et les crédits de carbone. Le président kenyan William Ruto a déclaré que les crédits de carbone constituaient une "mine d'or économique inégalée" et le "prochain grand produit d'exportation" du pays. Les revenus générés pourraient financer le développement vert et améliorer les conditions de vie des quelque 600 millions de personnes privées d'électricité de la région.
Cependant, les pays africains se trouvent actuellement en marge de ce marché. L'Afrique représente seulement 3% des crédits émis dans le cadre du mécanisme de développement propre (MDP), le premier marché international du carbone mis en place sous l'égide de l'ONU.
D'après l'estimation de l'African Carbon Market Initiative (ACMI), cité par le magazine The Economist, le continent n'utilise que 2% de son potentiel annuel de crédits de carbone. L'ACMI espère que d'ici 2050, l'Afrique vendra pour 100 milliards de dollars de crédits par an, ce qui représente une nouvelle perspective de développement pour ce continent qui n'a jamais vu ses investissements directs étrangers par an dépasser les 80 milliards de dollars.
En Afrique de l'Ouest, le Ghana a mis en œuvre un certain nombre de programmes de réduction des émissions en coopération avec la Suisse et transférera des millions de tonnes d'équivalent CO2 à ce pays européen. En vendant ces crédits, Accra pourrait bénéficier d'un financement "propre" du développement et d'une source de revenus pour réaliser sa trajectoire énergétique. Le pays a également signé des accords bilatéraux avec la Suède, Singapour, la République de Corée et le Liechtenstein.
Le 25 novembre 2024, Peter Njenga, PDG de la Kenya Electricity Generating Company (KenGen), a déclaré que le pays prévoyait de mettre en place un marché du carbone qui permettrait aux entités publiques et privées de négocier des unités d'émissions carboniques, de compensation et d'atténuation de ces émissions. En Afrique du Sud, la bourse de Johannesburg a déjà lancé son propre marché volontaire du carbone.
Le Rwanda a récemment lancé son mécanisme de transfert international des résultats d'atténuation (ITMO), conforme aux normes de l'ONU, afin de mieux s'intégrer dans le marché. De plus, un accord pilote de réduction d'émissions a été signé entre le Gabon et la République de Corée.
UNE MEILLEURE REGLEMENTATION ATTENDUE
Cependant, les crédits de carbone ne sont pas exempts de problèmes potentiels. Tout d'abord, la comptabilisation et l'audit des données ainsi que l'estimation des avantages des puits de carbone peuvent entraîner une distorsion des crédits de carbone en raison de problèmes tels que l'incohérence des normes et le double comptage. Deuxièmement, l'opacité du processus d'approbation augmente la probabilité qu'il y ait davantage de projets de crédits de mauvaise qualité. La troisième question concerne l'impact du projet sur la population locale.
Un certain nombre de pays africains, y compris le Kenya, le Rwanda, le Mozambique, ont essayé d'atténuer ces problèmes par l'élaboration et l'adoption de nouveaux cadres réglementaires qui visent à réguler le comportement des projets et s'engagent à protéger les intérêts des personnes affectées.
La 29e session de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP29) a conclu le 23 novembre dernier les négociations sur l'article 6 de l'Accord de Paris, permettant l'échange trans-frontalier de carbone pour soutenir les objectifs climatiques mondiaux. Les nouvelles règles adoptées faciliteront des réductions d'émissions réelles, additionnelles et mesurables, tout en respectant les droits de l'homme et en promouvant le développement durable.
En outre, les parties à l'Accord de Paris ont accepté que 5% des revenus des transactions de l'article iront au Fonds d'adaptation des Nations Unies pour aider les pays en développement touchés par le changement climatique.