Des jours inoubliables de la diplomatie Chine-France
En 1963, j’ai été admis en cours de français dans l’École de Langues étrangères rattachée à l’Institut des Langues étrangères de Beijing (aujourd’hui l’Université des Langues étrangères de Beijing). Nous apprenions la langue française pendant que les négociations sur l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France se déroulaient en secret.
Cet événement majeur a marqué les relations entre la Chine et les puissances occidentales, suscitant de vives réactions de tous les pays à travers le monde. Il a également ravivé notre enthousiasme pour l’apprentissage du français, car nous rêvions de contribuer un jour à cette grande cause.
Étudier en France
Au début des années 1970, afin d’accélérer la formation de spécialistes en langues étrangères et en diplomatie, le ministère des Affaires étrangères a décidé d’admettre sur concours des diplômés de l’Institut des Langues étrangères de Beijing et de les envoyer étudier à l’étranger. Parmi les 56 personnes sélectionnées, sept étudiants en français, dont moi, ont été choisis pour étudier en France pendant trois ans. Après avoir étudié dans une école internationale de langue et de culture françaises à Paris, nous avons poursuivi notre scolarité à l’Université Rennes 2, avant de faire un stage à l’ambassade.
Ce qui m’a particulièrement impressionné à cette époque, c’est l’accueil chaleureux de l’Université Rennes 2. Des responsables nous ont accueillis personnellement à la gare, et des journalistes et photographes du journal local Ouest-France étaient présents, pour documenter notre arrivée. De plus, le président de l’université a spécialement organisé un dîner de bienvenue pour nous.
Situé à Rennes, capitale de la Bretagne, dans le nord-ouest de la France, cet établissement d’enseignement supérieur a accueilli une centaine de boursiers chinois après l’établissement des relations diplomatiques sino-françaises en 1964.
Au cours de nos études à l’Université Rennes 2, un de nos professeurs nous a conseillé d’étudier de nombreux classiques de la littérature française comme Le Tartuffe de Molière, Les Confessions et Du Contrat Social de Jean-Jacques Rousseau, Les Misérables de Victor Hugo, La Comédie humaine d’Honoré de Balzac, Le Rouge et le Noir de Stendhal, Germinal d’Émile Zola ou encore Les Mains sales de Sartre.
Nous avons aussi visité des monuments historiques tels que le Mur des Fédérés, ce qui nous a permis d’apprécier la riche histoire et la culture profonde de la France, ainsi que l’impact de ses mouvements sociaux sur la civilisation.
Nous avons été touchés par la gentillesse des habitants et par la patience de nos enseignants français, qui exprimaient leur admiration pour la civilisation et la culture chinoises ainsi que pour l’esprit indépendant du peuple chinois.
Lancement des timbres commémoratifs du 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France émis par China Post et La Poste à Paris, le 18 octobre 2024
Une visite importante
Dans les années 1970, les dirigeants chinois et français ont commencé à effectuer des visites mutuelles fréquentes. En septembre 1973, le président Georges Pompidou est devenu le premier chef d’État français à effectuer une visite d’État officielle en Chine. Du 12 au 17 mai 1975, Deng Xiaoping, alors vice-Premier ministre chinois, a effectué la première visite officielle en France d’un dirigeant chinois. J’ai été chargé par l’ambassade de Chine en France de travailler en tant qu’agent de liaison à l’Hôtel Marigny, où Deng Xiaoping a séjourné, et j’ai eu l’honneur d’assister à cette visite historique.
En considérant cet événement comme une visite de retour après le voyage en Chine du président Pompidou, la France a reçu Deng Xiaoping avec les honneurs réservés à un chef d’État. Plusieurs hauts fonctionnaires français l’ont accueilli à l’Aéroport d’Orly, et un tapis rouge a été déroulé du tarmac au salon d’Honneur. Accompagné du Premier ministre français Jacques Chirac, Deng Xiaoping a marché vers le drapeau de la Garde républicaine française, au son des hymnes nationaux chinois et français, puis a passé en revue la garde d’honneur avec le général Jean Favreau, alors gouverneur militaire de Paris.
Selon le protocole, une allocution à l’aéroport n’est prononcée que lors de la visite en France d’un chef d’État. Cependant, cette tradition a été brisée par la visite de Deng Xiaoping. Dans la salle d’Honneur de l’aéroport, M. Chirac a d’abord prononcé une allocution de bienvenue chaleureuse, exprimant sa joie d’accueillir le vice-Premier ministre chinois sur le sol français. Au nom du gouvernement et du peuple français, il a salué la visite de Deng Xiaoping en France, représentant du gouvernement et du peuple chinois.
Lors de son discours, Deng Xiaoping a déclaré que la France était un pays où il avait vécu dans sa jeunesse et qu’il avait été impressionné par l’hospitalité du peuple français. Il a exprimé sa grande satisfaction de revisiter cette terre et s’est réjoui du développement continu des relations sino-françaises à la suite de l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays en 1964. Il a aussi fait part de sa conviction que cette visite renforcerait certainement la compréhension mutuelle entre les deux pays.
La France a également pris des dispositions particulières en ce qui concerne les pourparlers. Deng Xiaoping a eu un entretien officiel avec M. Chirac, suivi de deux entretiens avec le président Valéry Giscard d’Estaing. En général, le président français n’effectue qu’un seul entretien. Par ailleurs, trois grands banquets de bienvenue ont été organisés : l’un à l’Hôtel du ministre des Affaires étrangères en présence de M. Chirac et de son épouse ; un autre au Palais de l’Élysée, en présence du président Giscard d’Estaing ; et le dernier au Palais Bourbon, en présence du président de l’Assemblée nationale française, Edgar Faure, et de son épouse.
Pendant son séjour en France, Deng Xiaoping a visité de nombreux endroits, notamment le château de Versailles, le Centre de Marcoule du Commissariat à l’Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives, la Société des automobiles Marius Berliet à Lyon, une grande ferme privée et un musée archéologique. L’opinion publique française a hautement apprécié cette visite, la considérant comme un événement majeur dans les relations franco-chinoises, tout aussi important que la visite du président Pompidou en Chine en 1973. Lors de sa visite en Provence, le Premier ministre Jacques Chirac s’est spécialement déplacé pour le recevoir et organiser un banquet de bienvenue.
Après cette visite, les dirigeants chinois et français ont convenu que les ministres des Affaires étrangères des deux pays se consulteraient en temps opportun sur les grandes questions internationales, et ont créé une commission mixte sur l’économie et le commerce. Ce mécanisme de consultation politique, ainsi que cette forme de coopération économique et commerciale, sont des premières dans les relations entre la Chine et les pays occidentaux, constituant une base solide pour la coopération bilatérale dans de nombreux domaines, notamment l’énergie nucléaire, la chimie et les transports.
Travailler à l’ambassade
J’ai commencé à travailler officiellement à l’ambassade de la République populaire de Chine en France en 1976. La troisième session plénière du 11e Comité central du Parti communiste chinois (PCC) a déclenché le processus de réforme et d’ouverture de la Chine. Pendant mon temps à l’ambassade, j’ai été témoin du développement vigoureux des relations sino-françaises.
Après le décès du Premier ministre Zhou Enlai, la France a proposé, en signe de grand respect, d’accrocher une plaque commémorative dans l’appartement où il avait vécu sous le pseudonyme de Wu Hao. Il s’agit d’une petite auberge privée située au 17 rue Godefroy à Paris, qui abritait autrefois la branche européenne du PCC. Aujourd’hui, cet endroit est très prisé par les touristes chinois.
Au cours de mes cinq années à l’ambassade, la confiance politique mutuelle entre la Chine et la France n’a cessé de se renforcer et les visites de haut niveau étaient fréquentes. Les vice-Premiers ministres Fang Yi et Gu Mu, ainsi que la vice-présidente du Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale (APN) Deng Yingchao ont successivement visité la France, tandis que le président Valéry Giscard d’Estaing, le Premier ministre
Raymond Barre et le maire de Paris Jacques Chirac se sont successivement rendus en Chine. Par ailleurs, la Chine a envoyé de nombreuses délégations ministérielles en France, visant à renforcer la compréhension mutuelle et la coopération amicale entre les deux pays, ainsi qu’à s’inspirer de la technologie de pointe et des expériences de développement de la France.
De bonnes relations politiques ont stimulé la coopération entre les deux parties dans de nombreux domaines, entraînant une augmentation considérable du volume commercial. Pendant cette période, les principaux équipements que la Chine a importés de la France comprenaient des équipements de contrôle du trafic aérien, des équipements de transmission haute tension de 500 kv, des centrales thermiques de 600 000 kW, des équipements liés à l’extraction du charbon, des moteurs diesel de 3 000 ch, des camions lourds de plus de 20 tonnes, des hélicoptères Dauphin et des équipements destinés à l’usine d’engrais et à l’usine chimique.
En 1981, j’ai été muté au département du protocole du ministère chinois des Affaires étrangères. En 1985, je suis retourné travailler à l’ambassade de Chine en France. Durant cette période, les relations sino-françaises se développaient de manière régulière.
En novembre 1987, à l’invitation du président français François Mitterrand, le président chinois Li Xiannian a effectué une visite réussie en France. Il s’agissait de la première visite d’État en France d’un président de la République populaire de Chine depuis l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays. La visite s’est déroulée dans une atmosphère extrêmement chaleureuse et amicale.
À la fin des années 1980 et au début des années 1990, la situation internationale a subi un changement brutal, et les relations sino-françaises ont reculé pour diverses raisons. Ce n’est qu’au milieu des années 1990 que les relations bilatérales ont repris la voie du développement normal.
Du 8 au 12 septembre 1994, à l’invitation du président Mitterrand, le président Jiang Zemin a effectué une visite d’État en France. L’importance politique de cette visite, couronnée de succès, réside dans le fait qu’elle a brisé les restrictions imposées par les Communautés européennes aux visites réciproques des chefs d’État avec la Chine, rétablissant pleinement les échanges normaux entre la Chine et la France. Les médias français considèrent cette visite marquant la fin de la politique occidentale visant à exclure la Chine et le retour de la France sur la voie de l’amitié et de la coopération avec la Chine, comme proposé par le général de Gaulle.
Depuis des générations, les dirigeants chinois traitent les relations sino-françaises avec une vision stratégique et à long terme, cherchant à élargir le consensus et à approfondir la coopération. Le 16 mai 1997, les deux pays ont publié la Déclaration conjointe sino-française, décidant d’établir un partenariat global tourné vers le XXIe siècle, définissant l’orientation pour le développement durable des relations d’amitié et de coopération entre la Chine et la France.
Un nouveau chapitre
La France, en tant que puissance européenne dotée d’une position politique exceptionnelle, joue toujours le rôle de leader dans la construction de l’intégration européenne. Face à l’instabilité mondiale et aux changements majeurs inédits depuis un siècle, la Chine et la France partagent encore de nombreux points communs. Elles sauvegardent leur indépendance nationale et leur dignité nationale, préservent le multilatéralisme en s’opposant à l’unilatéralisme, insistent sur l’importance du rôle des Nations unies, luttent contre le terrorisme et maintiennent la paix mondiale.
En mars 2019, la visite d’État en France du président chinois Xi Jinping a porté ses fruits. Les deux parties ont publié une déclaration conjointe sur la sauvegarde du multilatéralisme et le perfectionnement de la gouvernance mondiale, ouvrant un nouveau chapitre du partenariat global stratégique entre la Chine et la France.
Du 5 au 7 avril 2023, le président français Emmanuel Macron, à la tête d’une large délégation, a effectué une visite d’État en Chine, après plus de trois ans d’absence. Il s’agissait de la première visite en Chine d’un chef d’État européen après les sessions annuelles de l’APN et de la Conférence consultative politique du peuple chinois en 2023, marquant la reprise complète des échanges extérieurs de la Chine. Pendant cette visite, les deux chefs d’État ont eu des échanges amicaux, approfondis et de haute qualité à Beijing et à Guangzhou (Guangdong), parvenant à une série de consensus stratégiques, définissant ainsi l’orientation de la coopération sino-française aux niveaux bilatéral, sino-européen et mondial.
À l’occasion du 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques sino-françaises, je souhaite sincèrement que, pour les 60 prochaines années, l’amitié entre les deux peuples continue de se renforcer, que la coopération dans divers domaines ne cesse de s’approfondir, et que les relations sino-françaises atteignent de nouveaux sommets.
*DONG JINYI est ancien ambassadeur de la République populaire de Chine en Italie et à Saint-Marin, ancien ambassadeur de la République populaire de Chine en Confédération de Suisse.
(Le texte est édité à partir d’une interview de Dong Jinyi accordée à China Newsweek, et sa version française est autorisée par l’auteur.)