Xi Jinping ravive l’esprit de la coopération sino-française

Le président chinois Xi Jinping effectue une tournée européenne du 5 au 10 mai qui le conduira d’abord en France, puis en Serbie, et en Hongrie. Il s’agit de sa première visite en Europe depuis 2019. 

En cinq années, le monde a connu des bouleversements profonds et la tectonique des plaques de la géopolitique mondiale a subi des déplacements majeurs avec le conflit en Ukraine et la multiplication des tensions régionales. La pandémie a fragilisé les chaînes d’approvisionnement et de production et l’économie mondiale peine à s’en remettre. Les menaces de « découplage » avec la Chine se sont accentuées sur fond de guerre commerciale avec les Etats-Unis. M. Xi entame sa tournée dans un contexte difficile et il lui faudra rassurer ses partenaires européens, notamment lors de la rencontre prévue à Paris avec la présidente de l’UE, Ursula von der Leyen, aux côtés de M. Macron. 

La Chine, un partenaire essentiel 

Les visites de hauts responsables de l’UE et de dirigeants de pays européens en Chine depuis 2023 n’ont pas pu remettre les relations sur les bons rails et rétablir la confiance. La visite de M. Macron en Chine du 5 au 8 avril 2023 avait néanmoins permis la relance des échanges humains et de la coopération économique. 

La France est le troisième partenaire commercial de la Chine dans l’UE, avec un volume total d’échanges bilatéraux de 78,9 milliards de dollars en 2023. La Chine est également devenue le premier partenaire commercial de la France en Asie. La Chine est donc un partenaire commercial essentiel, mais elle représente aussi le premier déficit bilatéral de la France. Ce déficit restait toujours au-delà de la barre des 40 milliards de dollars en 2023, en baisse cependant grâce une reprise des exportations du secteur aéronautique et pharmaceutique. Le besoin de rééquilibrer les échanges « par le haut », une antienne que la diplomatie française serine depuis plus de dix ans, constitue toujours un objectif prioritaire. Cela signifie que la France doit exporter en Chine des biens et services qui constituent les points forts de la spécialisation française, à savoir les secteurs de l’agroalimentaire, de la santé et des cosmétiques, de la ville durable et certaines niches numériques. 

Les investissements croisés France-Chine ont par ailleurs connu une augmentation forte, mais dissymétrique, ces dernières années. Le stock des investissements directs étrangers (IDE) français en Chine représente trois fois environ le stock des IDE chinois en France, même s’il faut noter que les flux d’investissements chinois sont les plus dynamiques. 

Lors de sa deuxième visite d’Etat en Chine, M. Macron avait participé à l’ouverture de la Foire internationale des importations de Chine à Shanghai le 5 novembre 2019, où il avait tenu des propos qui résumaient les attentes de la France. « Aujourd’hui comme hier, la Chine a besoin de son ouverture au monde comme le monde a besoin de son ouverture », avait-il dit. Le lendemain, le 6 novembre 2019, était lancé l’Appel de Pékin sur la conservation de la biodiversité et le changement climatique. C’est sur ce volet que la coopération bilatérale peut se rééquilibrer « par le haut ». La France et la Chine poursuivent en effet désormais un agenda ambitieux avec trois priorités principales : la lutte contre le changement climatique, la préservation de l’environnement et de la biodiversité, la promotion d’un développement urbain durable. 

Un exemple d’avancée notable a été l’inauguration en marge du Dialogue de haut niveau sur les échanges humains le 23 novembre 2023 du Centre virtuel de neutralité carbone, lors de la visite en Chine de Catherine Colonna, Ministre de l’Europe et des affaires étrangères Ce centre vise à valoriser les travaux menés conjointement par des chercheurs français et chinois. 

L’enjeu des technologies énergétiques

Les technologies énergétiques constituent l’un des domaines clés de la coopération entre la Chine et la France. Au cours de ces 60 dernières années, les deux parties ont su tirer parti de leurs avantages respectifs et progresser ensemble dans la recherche et l’innovation. Toutes deux ont établi un modèle exemplaire de collaboration scientifique et industrielle internationale dans les domaines de l’énergie nucléaire civile et du développement des ressources pétrolières et gazières. Le point d’orgue de la coopération technologique en matière d’énergie nucléaire sino-française reste à ce jour la centrale nucléaire de Daya Bay (Guangdong), la première centrale nucléaire commerciale avec un premier réacteur d’une capacité d’un million de kW. Mis en service dans la première moitié des années 1990, les deux réacteurs de cette centrale ont jeté des bases solides pour la construction et le développement ultérieurs du par énergétique nucléaire en Chine. 

La coopération et les investissements touchent désormais de plus en plus le secteur des énergies nouvelles, au centre de toutes les convoitises en raison de son immense potentiel et des politiques climatiques mises en place dans l’UE. 

Le partenariat entre les deux pays a dans ce domaine aussi commencé très tôt. L’Eco-Cité de Caidian à Wuhan est un projet emblématique dans le développement durable initié il y a dix ans. L’objectif est d’en faire un lieu de de vie conçu selon les principes de la coopération sino-française, à savoir sobre en carbone, écologiquement viable et modèle d’innovation industrielle. 

Autre exemple, le parc éolien de Charmont-sous-Barbuise, dans l’Aube, le seul projet européen de la CGNEE, filiale de la société China General Nuclear Power Corporation (CGN), avec six turbines pour une puissance installée totale de 12 MW. Elles ont été mises en service en mai 2010 et peuvent fournir de l’électricité à 7 500 foyers. Dix ans plus tard, c’était au tour de la Chine de s’ouvrir à des capitaux étrangers pour réaliser des parcs éoliens en mer. En mars 2020, la société China Energy avait ainsi annoncé la création d’une co-entreprise avec EDF pour développer conjointement le parc éolien offshore de Dongtai (Jiangsu). 

En mai 2023, M. Macron a officialisé l’installation prochaine dans la région de Dunkerque de la société chinoise XTC New Energy pour la production et de recyclage de matériaux de cathodes de batteries. Et très récemment, en avril 2024, TotalEnergies et le conglomérat chinois SINOPEC ont conclu un protocole d’accord pour développer conjointement une unité de production de carburant aérien durable (Sustainable Aviation Fuel ou SAF) au sein d’une raffinerie de SINOPEC en Chine. D’une capacité annuelle de 230 000 tonnes de SAF par an, elle traitera des déchets ou des résidus locaux issus de l’économie circulaire (huiles de cuisson usagées et graisses animales). Il s’agit d’un dernier exemple de collaboration dans le domaine des énergies nouvelles et du développement durable qui en annonce bien d’autres, notamment en termes de collaboration sino-française en pays tiers (principalement en Afrique), sachant que la visite d’Etat du président chinois s’accompagnera de signature de contrats et de projets de partenariat. 

Les symboles de la diplomatie de chefs d’Etat 

Le rééquilibrage « par le haut » des relations bilatérales peut aussi s’entendre comme une occasion de mettre en exergue la diplomatie de chefs d’Etat. M. Macron avait été reçu par M. Xi à Guangzhou le 7 avril 2023 lors de sa troisième visite en Chine dans le cadre informel du Jardin des Pins, situé au pied du mont Baiyun, avec ses pavillons et ses cascades.

Au cours de leur visite en France, Xi Jinping et Peng Liyuan prendront le chemin des Hautes-Pyrénées, plus précisément, le col du Tourmalet, notamment connu pour sa mythique étape du Tour de France et haut lieu de la culture sportive française. Ils y seront reçus par Emmanuel et Brigitte Macron.

Il faut s’attendre à ce que ces moments de détente en montagne soient l’occasion pour les deux chefs d’Etat de renouer avec ce que M. Xi appelle « l’esprit de la coopération sino-française ». Dans une tribune signée et publiée par le Figaro le jour de son arrivée en France, intitulée « Faire rayonner l’esprit présidant à l'établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France et promouvoir ensemble la paix et le développement dans le monde », M. Xi fait en effet passer trois messages à la France. D’abord, la Chine veillera à valoriser les acquis et à bâtir l’avenir des relations sino-françaises « pour faire progresser sans cesse le partenariat global stratégique sino-français et apporter une nouvelle contribution au renforcement de la coopération dans le monde. » Ensuite, que la Chine élargira son ouverture de haut niveau pour approfondir sa coopération avec la France et les autres pays du monde. Enfin, que la Chine travaillera avec la France à renforcer la communication et la coordination pour préserver la paix et la stabilité dans le monde. « A une nouvelle croisée des chemins historique, nous sommes sur un nouveau point de départ », conclut-il, tendant ainsi la main de l’amitié à la France. 

Par Jacques Fourrier (l’auteur est un journaliste et commentateur français qui vit Chine depuis les années 1990)

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