Le conflit russo-ukrainien a porté un coup dur au monde déjà éprouvé par l'épidémie de COVID-19. Cependant, certains aux Etats-Unis cherchent encore à mettre de l'huile sur le feu. Le 19 mai, une gigantesque enveloppe de 40 milliards de dollars a été débloquée par le Congrès américain en soutien à l'Ukraine, dont 6 milliards de dollars pour l'équiper en véhicules blindés et renforcer sa défense anti-aérienne.
Bien que ce conflit puisse s'avérer être une tragédie pour le monde, un groupe en profite déjà : le complexe militaro-industriel américain, Frankenstein dénoncé par le Président Eisenhower, dans son discours d'adieu de 1961, comme "la conjonction d'un establishment militaire considérable et d'une très importante industrie d'armement" dont "l'influence économique, politique et même spirituelle se fait sentir dans chaque ville, dans chaque assemblée législative, dans chaque service fédéral", et dont l'existence n'est niée par personne aux Etats-Unis.
LA GUERRE : SYNONYME DE MINE D'OR
Du 19e siècle à la fin de la Première Guerre mondiale, ayant saisi l'opportunité de la deuxième révolution industrielle, les Etats-Unis ont détrôné le Royaume-Uni pour devenir la première puissance industrielle dans le monde. Le pays avait ardemment besoin d'une force militaire capable de protéger ses intérêts expansionnistes à l'étranger, ce qui a jeté la base à l'émergence du C.M.I.
Durant la Seconde Guerre mondiale, les commandes des belligérants européens ont permis à des entreprises d'armement américaines de s'enrichir énormément. Parmi elles on trouve les futurs géants du secteur : Lockhead Martin, Raytheon Technologies, Boeing, Northrop Grumman et General Dynamics. Les parlementaires, soutenus par ces entreprises sous forme de dons politiques, tablaient sur elles pour créer des emplois et garder leur électorat dans leur circonscription. Ils résistaient donc mal aux sirènes de ces marchands d'armes et faisaient tout pour faire adopter des textes d'aides militaires, augmenter le budget pour l'armée, bref, tout pour faire tourner la machine de la guerre. Un triangle de fer, autrement dit une collusion institutionnelle, entre l'industrie de l'armement, l'Armée et le pouvoir politique a ainsi pris forme, et le C.M.I. a vu le jour.
Quand la guerre chaude s'est terminée, le C.M.I. a commencé à jouer la carte de la guerre froide. En exagérant la menace soviétique et diabolisant le communisme, il semait partout le sentiment d'insécurité et incitait à l'achat d'armes. Une nouvelle course aux armements a été lancée. Comme l'a dit un chercheur à l'époque, "lutter contre le communisme fait gonfler les profits, qui peuvent ensuite être réinvestis dans la lutte contre le communisme. Quel cercle vertueux !"
Le C.M.I. tournait au ralenti suite au vide créé par la dissolution de l'URSS et la fin de la guerre froide. Mais le répit n'a pas duré. En brandissant la bannière de la "démocratie" et des "droits de l'homme", il s'est maquillé en défenseur du "monde libre" pour lancer des guerres partout dans le monde. De la guerre en Irak justifiée par une éprouvette remplie de lessive en poudre à celle en Afghanistan en passant par les mises en scène de "casques blancs" en Syrie, le C.M.I. a fait des chaos sa vache à lait sans le moindre souci des souffrances qu'il a infligées à des centaines de millions de personnes dans le monde.
FAIRE FORTUNE AUX DEPENS DES ALLIES
Depuis 2008, les Etats-Unis n'ont cessé de pousser l'Ukraine à rejoindre l'UE et l'OTAN, faisant de lui une tête de pont anti-russe en Eurasie. Les systèmes de missiles américains installés à la frontière russo-ukrainienne, capables d'atteindre Moscou en quelques minutes, ont mis la Russie au pied du mur et rendu le conflit militaire inéluctable.
Après l'éclatement des conflits, Washington n'a rien fait pour apaiser la situation. Il n'a cessé, d'une part, d'appliquer de nouvelles salves de sanctions économiques et financières contre la Russie et d'autre part, de fournir des aides militaires massives à l'Ukraine. Les raisons en sont simples. Plus la guerre traîne, plus le C.M.I. peut faire fortune. Dans le sang et les décombres, les membres du C.M.I. ont vu des opportunités de ventes internationales. La diplomatie américaine a joué son rôle et les résultats sont au rendez-vous : Les pays d'Europe ont déboursé sans compter dans leurs livraisons de matériel militaire, et même l'Allemagne, historiquement réticente à fournir des armes à des belligérants dans des zones de conflit, a opéré un changement majeur dans sa stratégie et est devenue l'un des principaux exportateurs d'armes en Ukraine.
L'europe se bat tous les jours pour gérer les conséquences de la guerre : flambée des prix de l'énergie, rupture des chaînes d'approvisionnement, afflux migratoire... alors que de l'autre côté de l'Atlantique, les fabricants d'armes se frottent les mains pour décrocher les contrats de vente.
LES INTERETS AU-DESSUS DU PEUPLE
Au cours des 20 dernières années, les grands groupes d'armement ont dépensé au total 2,5 milliards de dollars sur le lobbying. Pendant les cinq dernières années, ils ont recruté en moyenne 700 personnes par an à cette fin, plus nombreuses que les parlementaires des deux chambres réunies. Il est monnaie courante que les anciens officiels de haut rang occupent des fonctions importantes dans les entreprises militaires.
Voilà pourquoi, en dépit de leurs divergences politiques, les démocrates et républicains ont toujours pu s'entendre sur le budget de la défense. Le 10 mars a été adopté un projet de loi de finances 2022 qui comprend une enveloppe faramineuse de 782 milliards de dollars dédiée à la défense, soit une hausse de 5,6% par rapport à l'année précédente. Les dépenses anti-COVID de 15,6 milliards de dollars ont été retirées, au moment où on comptait environ 80 millions de personnes contaminées et près d'un million de décès enregistrés dans le pays.
On ne peut s'empêcher de se demander comment est-il possible que les Etats-Unis, connus comme défenseur des droits de l'homme, n'ont pas d'argent pour protéger la santé de leur peuple alors qu'ils en ont suffisamment pour mener une guerre proxy dans un pays situé à des milliers de kilomètres de chez eux, sachant que ces dépenses militaires colossales auraient pu être investies dans la santé publique, la gestion des impacts du changement climatique et la réduction du niveau record d'inégalité des revenus.
Le C.M.I., aussi puissant soit-il, est-il capable de protéger la sécurité des Etats-Unis ? La réponse est évidemment non. Bien au contraire, il verrouille le système, prend en otage l'économie et externalise les problèmes intérieurs. Résultats : à l'extérieur, les Etats-Unis s'enlisent dans le bourbier de la guerre et provoquent une colère croissante des peuples du monde, et à l'intérieur, la prolifération des armes à feu sans cesse dénoncée perdure et la bannière étoilée mise en berne ne saurait empêcher des coups de fusil d'être tirés dans des campus.
De par son appétit insatiable pour le profit, le C.M.I. tourne comme une machine à mouvement perpétuel, spécialisée dans la production des misères. Aussi ardue soit-elle, une lutte contre cette machine à guerre vaut la peine d'être menée, car une chose est claire : toute nouvelle ruée vers l'or des dépenses de "défense" est un désastre pour chacun d'entre nous qui n'est pas partie prenante de ce complexe.
(Yi Da est un spécialiste chinois des relations internationales.)