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L’impact géopolitique du Brexit

French.china.org.cn | Mis à jour le 13. 02. 2020 | Mots clés : UE,Brexit

Le Royaume-Uni a officiellement quitté l'Union européenne (UE) le 31 janvier, mettant fin à 47 années d'adhésion. Le Brexit est un événement majeur en Europe, et il aura de nombreuses répercussions importantes sur l'intégration européenne et la géopolitique du bloc. 

Un revers majeur dans l'intégration européenne

Le processus d'intégration européenne a commencé dans les années 1950. De la Communauté européenne du charbon et de l’acier au Marché commun, et de la Communauté européenne à l'Union européenne actuelle, l’envergure de l’UE n’a cessé de croître accueillant en son sein jusqu’à 28 pays. C’est de loin l'exemple le plus réussi d'intégration régionale dans le monde. L'UE a cependant connu des crises ces dernières années. La crise de la dette souveraine, la crise ukrainienne, la crise des réfugiés, l'impact des attaques terroristes internationales et la récession économique prolongée de la plupart des Etats membres ont contribué au déclin de l'UE dans les affaires internationales. Le départ du Royaume-Uni a complètement brisé le « mythe » de l’indestructibilité de l'intégration européenne.

Ce qui est plus grave, c'est la crise psychologique de la population des pays de l'UE. Des instituts ont effectué des sondages d'opinion qui montrent que près de la moitié de la population est disposée à imiter l’exemple du référendum britannique pour décider ou non de quitter l'UE. Une enquête réalisée en mai 2016 par ICM Research a révélé que près d'un tiers des Allemands voteraient pour la sortie de l'Allemagne de l'UE. Cela montre que les Allemands, dont le pays est plus grand Etat membre de l'UE, sont également sceptiques à l'égard de l'Europe.

Cette crise de confiance a provoqué une vague populiste en Europe, et les forces d'extrême droite de nombreux Etats membres de l'UE ont pris de l’essor et même le pouvoir, bouleversant la situation politique traditionnelle. Le cap du développement de l'UE est devenu flou et le rythme de l'intégration a ralenti ou a même été stoppé. L'influence dans les affaires internationales d'une UE qui vit une crise de confiance avec la sortie du Royaume-Uni ne peut que s'affaiblir.

La France renforce sa position dans l'UE

Le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne sont les trois principaux pays européens et les trois principaux pays de l'Union européenne, mais depuis longtemps, ils n'ont pas été en mesure de former une « troïka » pour progresser ensemble. La position à rebours du courant dominant du Royaume-Uni a entravé et créé des obstacles à l’« axe franco-allemand » qui fait avancer l'UE. Les pays d’Europe du Nord comme le Royaume-Uni et les Pays-Bas se retrouvent sur les principales questions importantes et constituent une « opposition » qui rivalise au « courant dominant » de l’Union européenne. 

La sortie du Royaume-Uni a rompu l'équilibre des pouvoirs entre les îles britanniques et le continent européen, et le centre de gravité de l’UE s'est déplacé vers le continent européen, avec pour résultat d’accroître le statut de la France. La France a toujours été un promoteur actif de l'intégration européenne, et l'avancement de l'UE est indissociable des deux « moteurs » que sont France et l'Allemagne. Ces dernières années, la position de la France dans l’UE s’est affaiblie en raison notamment de la récession économique, tandis que le rôle de l'Allemagne sous la direction d’Angela Merkel est devenu important, générant un déséquilibre en termes d’influence entre les deux pays. Mme Merkel a décidé en 2018 de ne pas se représenter et le parti au pouvoir fait face à une crise politique. Ainsi, la position de l'Allemagne au sein de l'UE s’est soudainement réduite, et la sortie du Royaume-Uni de l’UE a permis au statut de la France de s’affirmer. A l'heure actuelle, la France est le seul pays doté de l’arme nucléaire dans l'UE et le seul membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU. M. Macron, élu président il y a deux ans, est un homme politique capable et responsable qui a activement encouragé la construction européenne et promu les réformes en France. Il faut ajouter à cela qu’une nouvelle équipe dirigeante est actuellement à la tête de l'UE. Le président du Conseil européen, l'ancien premier ministre belge Charles Michel, mais aussi la présidente de la Commission européenne, l'ancienne ministre allemande de la Défense Ursula von der Leyen, et la présidente de la Banque centrale européenne et ancienne ministre française des Finances Christine Lagarde apprécient M. Macron. On peut ainsi constater que le leadership de la France au sein de l'Union européenne connaît un renforcement sans précédent.

La deuxième conséquence du basculement du centre de gravité de la puissance de l'UE est le statut proéminent des Etats membres d'Europe centrale et orientale, en particulier de la Pologne. Après l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale à l'UE, en raison de divergences d'opinions politiques avec les pays d'Europe occidentale, une confrontation entre la « nouvelle Europe » et la « vieille Europe » s’est constituée au sein du bloc. La « nouvelle Europe » (c'est-à-dire les membres d’Europe centrale et orientale) n'occupait cependant pas une position dominante et son poids dans le processus décisionnel de l'UE est relativement faible. Après la sortie du Royaume-Uni, le statut des membres d'Europe centrale et orientale a pris de l’importance, et la Pologne considère même qu’elle pourra constituer à l’avenir une « troïka » de l’UE avec la France et l'Allemagne. La Pologne est pleinement confiante parce que son potentiel économique est énorme, avec un taux de croissance économique de 5,1 % en 2018, se classant troisième parmi les Etats membres de l'UE. La Pologne est également la plus grande économie des marchés émergents d'Europe. Plus important encore, comme le Royaume-Uni, elle considère les Etats-Unis comme un protecteur et peut servir de porte-parole des Etats-Unis dans l'UE. Dans cette perspective, après la sortie du Royaume-Uni, l'opposition au sein de l'UE pourrait se renforcer. Le 3 février, M. Macron s'est rendu en Pologne et a appelé la France, l'Allemagne et la Pologne à entamer un dialogue pour discuter du modèle de coopération et du cap politique post-Brexit de l'UE. La Pologne devrait entrer dans le cercle décisionnel de l'UE en tant que représentant de la « Nouvelle Europe ».

Une indépendance accrue de l'UE

L'objectif de l'UE depuis sa naissance est de parvenir à l'autosuffisance et à l'autonomie grâce à des efforts conjoints, et sa tendance à l'indépendance est devenue de plus en plus apparente au cours de son processus d'intégration. Qu’il s’agisse de réaliser l’Euro, la monnaie unique, de promouvoir une diplomatie unifiée ou d’établir une alliance de défense, la signification centrale est d’accroître l’indépendance et l’autonomie de l’Europe. En tant que représentant des Etats-Unis, le Royaume-Uni a toujours joué un rôle de pierre d'achoppement dans l’UE, refusant de participer à la zone euro, de signer le traité de Schengen, entravant l'intégration politique européenne et s'opposant à la construction d'une défense européenne autonome. La sortie du Royaume-Uni a levé une barrière majeure au sein du bloc et éliminé le plus grand obstacle à la construction d’une défense européenne autonome et à l'approfondissement de l'intégration politique européenne. La future indépendance de l'UE sera renforcée, ce qui se manifestera principalement dans les trois grandes questions que sont la construction de défense autonome, l’arme nucléaire et les relations avec la Russie.

Premièrement, le rythme de la construction d’une défense européenne autonome va s'accélérer. L'alliance de défense est un élément important de l'intégration européenne, mais en raison de la pierre d'achoppement britannique, le plan de défense autonome a progressé lentement. En 2018, M. Macron a de nouveau proposé la formation d'une armée européenne. Avec la suppression de cet obstacle qu’est le Royaume-Uni, la mise en œuvre de ce plan devrait s'accélérer.

Deuxièmement, le Brexit effectué, la France, en tant que seule puissance nucléaire de l'UE, tentera de s'appuyer sur sa force nucléaire pour diriger la stratégie autonome de l'Europe. M. Macron a déclaré dans un discours à l’Ecole de Guerre le 7 février que la sécurité européenne « dépend inévitablement de la capacité des Européens à agir de manière autonome » et que l'Europe « a une politique de dissuasion nucléaire unifiée ». M. Macron a ajouté que face à la compétition dans les armes nucléaires, les forces nucléaires françaises joueront un rôle central dans cette stratégie. Certains commentateurs ont souligné qu'avec la reprise de la course mondiale aux armements nucléaires, la tentative de la France d'utiliser sa force nucléaire pour diriger la défense européenne et participer aux négociations internationales sur le contrôle des armements avait attiré l'attention de toutes les parties.

Troisièmement, les relations UE-Russie s’orientent vers la détente. Après la crise en Ukraine, les relations entre l'Ouest et la Russie s’étaient détériorées. L’attitude à l’Ouest n'est cependant pas cohérente : les Etats-Unis veulent la mise à mort de la Russie, tandis que la France et l'Allemagne tentent de mettre la Russie sur les rails de la sécurité européenne. L'année dernière, M. Poutine s'est rendu en France et les relations franco-russes ont repris. A la fin de l'année, la France, l'Allemagne, la Russie et l'Ukraine ont organisé un sommet dit « format Normandie » pour résoudre la crise ukrainienne. La distance s’est élargie entre l’UE et les Etats-Unis à l’égard des mesures de pression exercées sur la Russie, ce qui met en évidence la tonalité indépendante de la politique extérieure de l’UE. 

Les relations UE-Etats-Unis deviennent plus tendues

Le Royaume-Uni entretient depuis longtemps une relation privilégiée avec les Etats-Unis. En tant que membre de l'UE, le Royaume-Uni était la courroie de transmission entre les Etats-Unis et l’UE. La Grande-Bretagne étant sortie de l'UE, les Etats-Unis ont perdu un puissant levier d'influence et de contrôle de l'UE par le biais du Royaume-Uni. M. Trump a tenté de minimiser le rôle de l'intégration européenne et secrètement encouragé certains pays à créer des divisions au sein de l'UE.

La sortie du Royaume Uni et la proéminence de la France ont compliqué et tendu les relations UE-Etats-Unis. L'OTAN est le signe de l'alliance entre l'Europe et les Etats-Unis, mais M. Macron l’a critiquée en parlant de « mort cérébrale de l'OTAN ». Le Groupe des Sept (G7), une autre plateforme de coopération entre l’Europe et les Etats-Unis, est menacée d’implosion. Après la prise de fonction de M. Trump, les trois sommets du G7 ont été à chaque fois le théâtre de querelles et n'ont abouti à aucun consensus. Cela montre clairement que l'alliance traditionnelle entre l'Europe et les Etats-Unis est devenue insoutenable.

Après le Brexit, les Etats-Unis ont jeté leur dévolu sur les pays d'Europe centrale et orientale, s'efforçant de faire jouer à la « nouvelle Europe » un rôle de porte-parole et de jeter les bases d'une éventuelle scission de l'UE. Les pays d'Europe centrale et orientale considèrent la Russie comme un ennemi de longue date et doivent davantage compter sur les Etats-Unis pour assurer leur propre sécurité. Le Brexit aura par conséquent un impact significatif sur les rapports de force dans l’UE, sur les relations américano-européennes ainsi que sur les relations russo-européennes et américano-russes.


Par Shen Xiaoquan, chercheur au Centre de recherche des questions mondiales de l’Agence de presse Xinhua.

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Source:french.china.org.cn