Pour l'industrie nucléaire mondiale, la crise au Japon va entraîner une hausse des coûts, une annulation de projets ainsi qu'une extrême vigilance, mettant probablement fin à une décennie de croissance exponentielle.
La catastrophe en cours sur le site de la centrale de Fukushima exploitée par Tokyo Electric Power Co n'a pas éclaté depuis une semaine que déjà les dirigeants à travers le monde adaptent leur stratégie, provoquant une hausse des coûts et réduisant les possibilités de financement de projets jusqu'alors considérés comme le meilleur moyen de réduire les émissions de carbone.
La secrétaire d'État Hillary Clinton a fait part mercredi de sa préoccupation quant aux risques de l'industrie nucléaire, quelques jours après le dépôt d'une demande d'évaluation de la situation par des sénateurs américains. Les États-Unis dépendent de l'énergie nucléaire pour 20 % de leur électricité et jusqu'à présent, l'administration Obama s'est montrée plutôt favorable à son développement.
« Ce qui se passe au Japon soulève des questions sur les coûts et les risques associés à l'énergie nucléaire, et nous devons y répondre », a déclaré Mme Clinton sur MSNBC.
L'Allemagne est quant à elle allée plus loin, en fermant cette semaine sept de ses plus anciens réacteurs suite à la crise japonaise.
Ces actions vont sans aucun doute déclencher un effet domino à travers le monde, handicapant l'expansion des sociétés productrices d'électricité auxquelles était jusque-là promis un avenir prospère.
Jusqu'à récemment, il était en effet prévu de doubler le nombre de centrales nucléaires actuellement en activité dans le monde. On dénombre ainsi 477 propositions ou projets fermes, alors que 441 centrales sont aujourd'hui en service. La Chine, la Russie et l'Inde sont parmi les pays les plus intéressés, selon des données fournies par l'Association mondiale du nucléaire.
Cette prise de recul visant à vérifier la sécurité et sans doute à imposer de nouvelles réglementations devrait affecter l'activité de sociétés comme le groupe Shaw, constructeur de réacteurs, les producteurs d'uranium fournissant le combustible et enfin les entreprises spécialisées dans la tuyauterie et les instruments utilisés dans les centrales.
Les autres acteurs majeurs de la construction et de l'équipement nucléaire sont les sociétés privées Bectel Corp, General Electric , Babcock & Wilcox et Areva SA.
La vigilance des États-Unis
Selon les analystes, les entreprises américaines vont devoir s'accommoder d'une plus grande vigilance du gouvernement en ce qui concerne les demandes de permis de construire de nouvelles unités, et devront dépenser plus pour construire des centrales plus sûres.
De nouvelles réglementations pourraient bien remettre en question certains projets de centrales.
« Ici aux États-Unis, le problème résidera sans doute dans les dépenses non liées à la maintenance, mais à des améliorations de sécurité qui devront être effectuées sur des réacteurs ou des sites de stockage qui ne seront dès lors plus rentables, alors que d'autres modes de production d'électricité sont plus économiques et permettent un meilleur retour sur investissement », explique Kevin Book, directeur de recherche à ClearView Energy Partners, situé à Washington.
Une fois construite, une centrale nucléaire génère une énergie traditionnellement moins chère que celle issue du gaz naturel ou du charbon, deux marchés qui ont toujours été très volatiles au cours de l'histoire.
Mais même cet avantage est en train de disparaître. Le développement d'immenses champs d'exploitation des gaz de schistes en Amérique du Nord, dont on estime qu'ils sont susceptibles de fournir de l'énergie pour un siècle, ont fait chuter les prix du gaz naturel, une situation qui devrait perdurer pendant des années.
Le secrétaire américain à l'énergie Steven Chu a déclaré mercredi devant le Congrès que les organismes de contrôle américains allaient examiner la nécessité d'accroître les mesures de sécurité pour les projets de nouveaux réacteurs actuellement en cours.
Parmi les sociétés qui feront certainement l'objet d'une grande surveillance et d'une opposition du public, Barclays distingue Entergy Corp, qui exploite la centrale de Indian Point au nord de New York et Southern Co, qui attend toujours le permis de construire pour l'expansion de sa centrale Vogtle en Géorgie.
Pacific Gas et Electric and Edison International, deux sociétés exploitant des centrales en Californie, zone sismique par excellence, doivent s'attendre à un traitement beaucoup plus rigoureux de la part de la Commission de régulation nucléaire et à une opposition encore plus déterminée des groupes s'opposant à l'énergie nucléaire.
Gaz contre nucléaire
Selon les analystes, la construction d'une centrale alimentée au gaz naturel coûtant beaucoup moins cher que la construction d'une centrale nucléaire, les compagnies d'électricité souhaitant éviter les risques politiques et économiques liés à ce dernier choix pourraient bien choisir l'option du gaz.
Malgré la hausse attendue des coûts et les probables nouvelles réglementations, de nombreux dirigeants ont réaffirmé leur confiance dans la sécurité de leur industrie nucléaire et ont souligné la nécessité de produire de l'électricité d'origine nucléaire pour satisfaire la forte hausse de la demande mondiale.
Le Président russe Dmitry Medvedev, s'exprimant lors d'une réunion avec le Premier ministre turc Tayyip Erdogan, a déclaré mercredi que l'énergie nucléaire était sûre tant que les centrales sont construites au bon endroit, conçues et gérées correctement.
« La question que tout le monde pose est simple : l'énergie atomique est-elle sûre ? La réponse est claire : elle peut et elle l'est, mais il est nécessaire de prendre les bonnes décisions en ce qui concerne l'implantation des centrales, leur conception et leur exploitation », a déclaré Medvedev.
La Russie devrait construire la première centrale nucléaire de Turquie. Erdogan a confirmé l'intention de la Turquie de construire deux centrales nucléaires avec l'aide de la Russie et du Japon.
Le site proposé pour la construction de la centrale d'un coût de 20 milliards de dollars par le groupe public russe Rosatom est situé près de la ville littorale de Mersin, à 25 km d'une faille active.
Le Président français Nicolas Sarkozy a également déclaré mercredi que la crise japonaise ne devrait pas remettre en cause les projets nucléaires de son pays. La France est fortement dépendante de l'électricité nucléaire.
|