Sociopolitologue, enseignant à l'Université de Yaoundé II et coordonnateur scientifique de la Fondation Paul Ango Ela de géopolitique en Afrique centrale, le Dr Mathias Eric Owona Nguini, fait une analyse froide de la coopération entre la Chine et l'Afrique, depuis la politique des réformes et d'ouverture initiée par les autorités de Beijing il y a trente ans.
Question : Trente ans depuis la politique de réforme et d'ouverture initiée par les autorités de Beijing, quelle évaluation faites-vous de la coopération entre ce pays d'Asie et le continent noir ?
Réponse : La coopération entre la Chine et l'Afrique présente des perspectives intéressantes. D'autant plus que la Chine a proposé une formule diplomatique nouvelle résumée dans la méthode "gagnant-gagnant", qui vient finaliser une nouvelle approche de la relation que la Chine a avec l'Afrique. Les dirigeants chinois avaient compris à l'époque qu'il y avait la nécessité pour la Chine de développer son champ d'action international et qu'une coopération intensifiée avec les pays africains pouvait leur offrir de nouvelles possibilités de valoriser l'immense potentiel de la Chine.
Q : Concrètement, comment cette coopération s'est-elle définie ?
R : Cette coopération a comporté des éléments proprement idéologiques et politiques à travers lesquels essayait de propager son modèle de nationalisme révolutionnaire et émancipateur.
Elle a aussi comporté la volonté pour la Chine d'indiquer la dimension tiermondiste de son action. La dimension d'un pays qui, comme les pays africains, a été à certains moments précis de son histoire confronté à la nécessité de combattre l'occupation étrangère et les tentatives de colonisation.
La Chine a également dans cette coopération mis en oeuvre un certain nombre d'éléments économiques en apportant son savoir- faire et sa capacité d'opération à la réalisation d'un certain nombre de projets d'infrastructures dans les chemins de fer, dans la construction de routes, de grands monuments et bâtiments tels que des palais de la culture ou des palais réservés aux institutions gouvernementales.
Q : Est-ce que l'objectif visé n'était surtout pas d'accéder aux matières premières africaines ?
R : En effet, la Chine a également développé de plus en plus une coopération qui se situait dans la perspective de lui permettre d'accéder comme toutes les puissances émergentes et en voie de forte industrialisation à des ressources de matières premières. C'est peut-être cet aspect qui a créé depuis lors quelques malentendus avec les pays africains.
Mais en réalité, on ne peut pas reprocher à la Chine de vouloir également, comme d'autres ont pu le faire avant elle, se créer des marchés pour les matières premières. Il s'agit plutôt pour les pays africains de faire valoir leurs capacités de négociation en parvenant, mieux que dans les relations avec les pays occidentaux, à tirer de la Chine des choses positives.
Et il est possible de tirer beaucoup de choses positives de la Chine, parce que c'est un pays qui ne peut avoir strictement le même regard que l'Occident sur l'Afrique, ne serait-ce que pour la seule raison que la Chine n'a pas eu une expérience coloniale en Afrique. Il peut y avoir un certain nombre de limites dans ce partenariat, mais c'est un partenariat également qui est porteur de promesses.
Q : Vous voulez dire que c'est modèle pour les pays africains ?
R : La Chine peut être un modèle pour les pays africains, tout en tenant compte de la spécificité des situations. Toutes choses étant égales par ailleurs, toutes proportions gardées donc, la Chine peut représenter pour l'Afrique la voie d'une collectivité nationale et d'une civilisation qui a essayé de redorer son blason, en mettant en place une organisation collective puissante de construire son émancipation politique et économique.
Avec des résultats prégnants, quelles que soient les préventions que les concurrents internationaux de la Chine, notamment les puissances occidentales, ont pu avoir du modèle chinois. Aujourd'hui, le modèle chinois représente une incontestable capacité en terme économique. C'est ce qui est la marque de la réussite incontestable de la politique de réforme et d'ouverture engagée à la fin des années 1970.
Bien entendu, comme dans toute expérience historique, la modernisation de la Chine aux plans politique, économique, social et institutionnel n'est pas terminé. Mais, on peut penser qu'avec la perspicacité qui a pu caractériser les dirigeants chinois, ils sauront s'adapter aux futures contradictions et secousses que la Chine connaîtra précisément en raison de sa modernisation fulgurante.
Q : L'un des reproches faits à la Chine concerne le manque de transfert de technologies à l'égard de ses partenaires africains. Cela ne limite-t-il l'efficacité de la coopération ?
R : A supposer même qu'une telle accusation soit fondée, quand elle vient des puissances occidentales, elle est particulièrement de mauvaise foi. Parce que les Occidentaux, avec un courant de relations beaucoup plus fort avec les sociétés africaines, n'ont jamais promis le transfert de technologies.
La coopération entre la Chine et l'Afrique commence à nouveau. Elle peut certainement présenter des imperfections, mais comme je l'ai dit plus haut, c'est aux pays africains de faire valoir leurs capacités de négociation pour arriver à avoir une certaine forme de transfert de technologies, pour que précisément la relation avec la Chine ne reproduise pas les imperfections qu'on a pu constater dans la relation entre la Chine et les pays occidentaux.
Je crois qu'il est trop tôt, dans la perspective de la nouvelle coopération engagée avec une Chine en position d'émergence mondiale et l'Afrique, de considérer qu'il n'y aura pas de transfert de technologies. Il faudra attendre encore une ou deux décennies pour pouvoir mieux mesurer si la Chine s'est engagée dans une simple voie qui consiste à trouver des débouchés pour satisfaire ses besoins en matières premières ou si elle met en place une coopération qui est capable également d'apporter du savoir-faire à ses partenaires.
Q : Pensez-vous qu'elle reçoit plus qu'elle ne donne au continent africain ?
R : Si la Chine reçoit plus qu'elle ne donne, c'est simplement peut-être parce que les Africains ne sont pas suffisamment structurés et ne développent pas une perspective commune d'action vis-à-vis de la Chine. Ils font précisément un certain nombre d'erreurs stratégiques du même type que celles qu'ils ont pu faire face à l'Occident.
Si les Africains étaient capables de mieux se structurer, particulièrement en développant des liens d'intégration régionale, ils pourraient mieux peser dans le partenariat vis-à-vis de la Chine.
Pour pouvoir bénéficier du transfert de technologies que les Chinois pourraient apporter à l'Afrique, il faut aussi savoir s'inspirer de quelques réformes institutionnelles qui ont pu être conduites par le système politique chinois pour améliorer et moderniser la gestion économique et sociale de la Chine.
C'est donc aux Africains de créer également un cadre d'incitation qui fasse que la Chine ait intérêt à leur transférer ne serait-ce qu'une partie de son savoir-faire technologique. Parce que cela pourrait permettre à la Chine de développer son potentiel de déploiement à l'extérieur, de développer de nouveaux territoires de délocalisation qui permettraient à l'industrie chinoise de mieux pénétrer le monde.
Q : Au Cameroun, quelles sont les réalisations les plus marquantes de cette coopération avec la Chine ?
R : Les réalisations les plus marquantes de la coopération chinoise sont incontestablement la construction de certaines grandes infrastructures, telles que la construction du barrage de Lagdo, d'un impressionnant Palais des congrès à Yaoundé, la construction récente d'un véritable joyau architectural qui est le nouveau Palais des sports de Warda toujours dans la capitale.
Il y a aussi la coopération médicale que la Chine a développée depuis les années soixante-dix avec le Cameroun. Il y a enfin la coopération sur le plan de l'achat des matériels militaires chinois et de la formation d'un certain nombre de soldats camerounais.
Maintenant, il faut que le Cameroun en tant qu'Etat sache mobiliser l'impressionnant potentiel de la Chine pour justement pouvoir en tirer quelque chose en terme de savoir-faire. Nous avons intérêt à coopérer avec la Chine dans certains domaines technologiques particuliers, même de manière limitée. Par exemple, en ce qui concerne la maîtrise de la métallurgie, le savoir-faire textile, la riziculture. La Chine peut nous donner un certain nombre de principes de base qui peuvent nous être utiles pour créer de nouvelles activités génératrices de croissance, voire de développement. |