De retour de Chine où, avec le président du Sénat, plusieurs sénateurs et une délégation de la Fondation Prospective et Innovation, nous avons rencontré parmi de nombreuses personnalités, MM. Hu Jintao, le président de la République, Wen Jiabao, le Premier ministre et Liu Qi, le président du Comité d'organisation des jeux olympiques (Cojob), j'ai pu mesurer les dégâts générés par les incidents occasionnés lors du passage de la flamme olympique à Paris et par certaines autres initiatives inopportunes comme celle du maire de la capitale à l'égard du dalaï-lama. La déception a été à la hauteur de l'amitié, considérable.
Seuls ceux qui ignorent tout de la relation spéciale qui unit la France à la Chine, et qui sont souvent les mêmes qui ont été à l'origine des troubles à Paris, ont pu être surpris par la réaction populaire. Les Chinois n'oublient pas que le général de Gaulle a été le premier chef d'Etat d'une puissance occidentale à reconnaître diplomatiquement la Chine populaire en 1964. Ils n'oublient pas, non plus, que la France a, dans l'entre deux guerres, accueilli nombre de leurs futurs responsables comme Zhou Enlai ou Deng Xiaoping à un moment où leur pays s'enfonçait dans la guerre civile. Ils n'oublient pas, enfin, que la France porte depuis plus de deux siècles la flamme des valeurs universelles.
C'est cette France là qu'apprécient les Chinois, celle qui ne juge pas sur les apparences, celle qui engage le dialogue lorsque survient un différend au lieu de fustiger ses partenaires. Les amis doivent pouvoir se parler, notamment dans les moments difficiles. Mais si l'amitié a ses exigences, elle a aussi ses devoirs qui sont le respect et le dialogue. Fort heureusement, l'amitié franco-chinoise est suffisamment solide pour ne pas se défaire au premier accroc. Pour autant, il serait irresponsable de ne pas tirer les leçons de cet épisode qui vient nous rappeler le danger qu'il y a à plaquer des concepts occidentaux sur une réalité différente. Il est de plus en plus difficile de « voler vers l'Orient compliqué avec des idées simples ».
Nous assistons aujourd'hui à une véritable renaissance chinoise à mesure que la Chine retrouve son statut de puissance de premier plan qu'elle avait perdu au XIXème siècle et, avec lui, la dignité d'une civilisation multimillénaire. A ce moment crucial pour eux, les Chinois sont particulièrement sensibles aux manifestations d'hostilité à leur encontre. Ils savent que leur retour sur le devant de la scène crée un sentiment de crainte à l'Ouest du fait des délocalisations industrielles, de la pression exercée sur les prix des matières premières et des produits alimentaires et de l'émergence de leur nouvelle puissance politique et militaire. Ils n'ignorent pas que certains pourraient avoir intérêt à transformer cette crainte en peur pour tenter, à tort, de leur barrer la route.
Notre responsabilité à nous, les amis de la Chine, est d'accompagner cette renaissance chinoise et de gérer de manière collective les conséquences de cette « redistribution des cartes » sans pareil depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. La Chine a fait le choix du développement pacifique à travers son intégration dans l'économie mondiale, lui donner le sentiment qu'elle n'est pas la bienvenue et qu'elle constitue une menace serait la plus grande faute que nous pourrions commettre à son égard. Avec le partenariat stratégique global, nous avons choisi la voix de la coopération amicale.
L'Histoire de l'Europe nous a vacciné à jamais des politiques de repli nationaliste, ceci d'autant plus que l'ouverture de la Chine constitue pour nous une formidable opportunité de développement économique. La Chine reste, en effet, confrontée à de graves problèmes de pauvreté, de déséquilibres territoriaux, d'approvisionnement énergétique et de pollution. Elle a besoin du savoir-faire des sociétés européennes pour conforter sa croissance mais elle peut aussi participer à la nôtre en investissant massivement dans notre économie ses excédents commerciaux.
Pour autant, rien ne serait plus réducteur que de ramener la relation sino européenne à des statistiques commerciales. Au-delà de l'inestimable enrichissement que nous procure le dialogue avec la culture chinoise pour promouvoir un monde de diversité, nous avons en partage le même refus de l'unilatéralisme. La Chine et France sont aujourd'hui parmi les plus ardents défenseurs de l'émergence d'un monde multipolaire et du respect du droit international à travers, en particulier, le respect des prérogatives de l'ONU. Notre relation est donc aussi fondée sur des valeurs communes.
L'avantage de l'amitié, c'est qu'elle n'a pas de sens sans la franchise. C'est pourquoi je n'ai eu aucune difficulté pour aborder avec les autorités chinoises, en face à face, la question des droits de l'Homme et du Tibet. Au delà de nos légitimes convictions il faut aussi mesurer les avancées obtenues en Chine depuis une trentaine d'années. L'autonomie locale et les progrès dans la reconnaissance de la liberté de croyance religieuse sont, entre autres, à mes yeux, des signes favorables d'une évolution positive. C'est pourquoi je n'ai pu que me féliciter de l'annonce d'une ouverture d'un dialogue avec un représentant du dalaï-lama que le président de la République, Nicolas Sarkozy, appelait de ses vœux. Nos démarches allaient dans ce sens, nous avons été entendus. L'amitié n'est pas une impasse diplomatique, le respect n'est pas une faiblesse.
La Chine n'est pas une « démocratie occidentale », c'est une évidence qui n'échappe à personne, mais l'esprit démocratique ne lui est pas, pour autant, indifférent. Le paradoxe n'est, en fait, qu'apparent puisque chacun sait que le développement économique et social repose in fine sur la liberté individuelle, que cela a toujours été le cas, et que la Chine doit donc inventer sa propre voie pour assurer « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».
La première étape sur cette voie ne peut être, pour eux comme pour nous, que la stabilité : 1% des Français qui manifestent (600.000 personnes), c'est un problème national, 1% des Chinois qui s'agitent (13 millions de personnes) c'est un problème mondial ! Les Chinois savent que la France a confiance dans l'avenir de la Chine et que les Jeux olympiques de Pékin constitueront un moment important dans leur démarche d'ouverture. Voilà pourquoi les amis de la Chine souhaitent que les circonstances permettent de faire de cette manifestation une fête mondiale de l'amitié, de la jeunesse et de l'espoir d'un monde meilleur.
Jean-Pierre Raffarin
Ancien Premier ministre français
Sénateur de la Vienne
Source: Carnet de Jean-Pierre Raffarin: http://www.carnetjpr.com/
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