[A A] |
Depuis au moins une décennie, les présidents et premiers ministres des pays européens saluent de tout cœur le Nouvel An lunaire chinois ; les deux derniers présidents espagnols l’ont fait via les réseaux sociaux et en janvier 2021, le maire de Séville a accueilli l’année du Buffle avec un discours télévisé en chinois. De plus, ces dernières années, la maire de Barcelone a organisé plusieurs célébrations de rue, affichant des bannières colorées ornées de caractères chinois. Ces réjouissances reflètent l’importance pour l’Europe de sa communauté d’entrepreneurs chinois, en particulier pour l’Espagne, qui compte 228 000 Chinois. Le festival du Nouvel An chinois fait désormais partie de la vie à Barcelone et partout ailleurs en Espagne.
Des Nouvel An divers et variés
L’importance du Nouvel An chinois m’a frappé pour la première fois dans le quartier universitaire animé de l’arrondissement de Haidian à Beijing, à la fin de 1986. Cet arrondissement abrite de nombreuses universités chinoises de premier plan, notamment l’Université Tsinghua, l’Université des langues et cultures de Beijing et l’Université de Pékin, dont j’ai ciré les bancs dans la seconde moitié des années 1980. J’ai vécu personnellement les célébrations de l’année du Lapin à Kunming, la cité du printemps éternel, peu de temps avant d’escalader le mont Emei en janvier 1987 – une façon exaltante de commencer l’année. Je me souviens également avoir célébré l’année du Serpent en 1989 au sein d’une famille chinoise à Hangzhou.
J’ai fêté l’année du Tigre en janvier 1998 avec d’éminents universitaires du programme Pacific Rim à l’Université de Californie à San Diego. Un natif du Jiangsu, dans l’est de la Chine, m’a invité au rassemblement de la fête du Printemps. Notre hôte nous a demandé de cuisiner un repas ensemble, une expérience de partage parfaite. Quelques jours plus tard, un professeur thaïlandais d’origine chinoise m’a convié à d’autres activités du Nouvel An chinois et, plus généralement, de la culture chinoise, dans le mythique quartier chinois de San Francisco.
En 1999, j’ai eu le plaisir de donner des conférences aux étudiants de l’Académie diplomatique du Kazakhstan sur l’importance de la Chine pour l’Europe, sur la pertinence de l’apprentissage du chinois et sur les fondements de la culture chinoise, y compris la signification de l’année naissante du Lapin. Comme le Kazakhstan avait établi des relations avec la Chine, les hommes d’affaires et les entrepreneurs chinois formaient une communauté visible à Almaty. Mais aucun de mes étudiants ne s’était encore rendu sur le territoire de leur gigantesque voisin. Cette expérience très enrichissante m’a amené à me demander si les échanges commerciaux et culturels le long de l’ancienne Route de la Soie pourraient un jour être relancés.
En Europe, j’ai beaucoup de souvenirs du Nouvel An chinois, cette fête que je chéris, mais l’un d’entre eux se démarque particulièrement par son caractère inattendu. Fin janvier 2017, alors que je m’éloignais de l’Institut de recherche Dialogue des civilisations à Berlin, après avoir échangé des points de vue sur l’initiative « la Ceinture et la Route » et son potentiel pour l’Europe, je suis passé par la porte de Brandebourg, au cœur de la capitale allemande. Là, je suis tombé sur un groupe de jeunes diplômés de la province du Fujian et un couple de touristes malais et indonésiens discutant joyeusement dans un mandarin fluide, se réjouissant de l’arrivée de l’année du Coq. Je figure sur leurs photos du festival du Nouvel An. Notre souhait commun était que les fêtes du calendrier lunaire chinois puissent unir les gens aux quatre coins du continent eurasien. J’ai exhorté mes nouveaux amis à visiter l’Espagne, qui abrite l’une des communautés chinoises les plus dynamiques d’Europe.
La fête du Printemps en Espagne
Après avoir célébré le Nouvel An chinois pendant six années consécutives, Madrid organise sa septième fête. Le district d’Usera en est traditionnellement l’épicentre. Sa place principale – bordée de magasins, de restaurants, d’agences immobilières, de magasins d’informatique, d’auto-écoles, d’agences de voyage et de coiffeurs appartenant à des Chinois, et ornée de panneaux colorés dans les deux langues – est son centre névralgique. Tout comme la capitale espagnole, les grandes et les petites villes du pays célèbrent le Nouvel An chinois. Les flamboyantes parades, orchestrées par diverses associations professionnelles chinoises et hispano-chinoises, mettent en scène des danseurs portant d’énormes et étonnants masques de dragons et de lions, sautant et faisant des cabrioles au rythme des tambours, des pétards et des gongs.
Ces célébrations ont gagné en variété et en couleurs au fil des ans, notamment avec des démonstrations de kung-fu de style Shaolin, de taijiquan et de qigong, et des peintures de sucre typiques de la Chine du Sud-Ouest, exposées sur divers étals de nourriture. Des groupes de flamenco sino-espagnols sont également présents, flanqués des drapeaux et des bannières des académies de langue chinoise des deux pays. Mais cet enthousiasme ne se limite pas aux rues : il faut noter qu’environ 50 000 personnes apprennent le chinois en Espagne. Et depuis plusieurs années, comme l’affirme Beijing, l’Espagne présente le plus grand nombre d’inscrits européens aux examens HSK, les tests internationaux standardisés qui évaluent la maîtrise de la langue chinoise.
Des moments mémorables
Dans la sphère publique, on se souvient que le FC Barcelone, dans lequel a longtemps joué Lionel Messi, la superstar mondiale du football, publie depuis cinq ans ses vœux du Nouvel An chinois sur les réseaux sociaux, en chinois. En outre, Ada Colau, la maire de la ville, a conduit le plus grand cortège du Nouvel An chinois à ce jour. Et cet enthousiasme se reflète dans des célébrations privées organisées à l’initiative de citoyens. À cet égard, je me souviens en particulier de l’année du Dragon en février 2000, lorsque j’ai accueilli une délégation d’universitaires de Beijing et du Sichuan, en échange dans des universités espagnoles. Ensemble, nous avons préparé des jiaozi (raviolis chinois), puis nous avons dégusté du délicieux tofu, du porc à la sauce aigre-douce et d’autres plats traditionnels chinois, arrosés de bière chinoise Tsingtao, de maotai (un alcool blanc) et de vin rouge Great Wall. Nous avons porté des toasts à notre amitié, à nos familles, à nos pays d’origine, et, bien sûr, aux échanges universitaires et à la prospérité. Avec le recul, ces toasts s’inscrivaient dans le contexte de l’histoire au sens large : l’Europe venait de lancer l’euro et la Chine n’était qu’à quelques mois de rejoindre l’Organisation mondiale du commerce.
Nous avons fêté l’année de la Chèvre en février 2015 avec des amis chiliens au restaurant catalan près du Camp Nou (le plus grand stade de football d’Europe, sous les auspices duquel opère un éminent groupe d’entrepreneurs et d’étudiants chinois). Pour l’année du Chien en février 2018, j’ai emmené de la famille d’Allemagne et de Russie au cortège principal à travers le centre-ville de Barcelone jusqu’à l’emblématique Arc de Triomphe. Quelques heures plus tard, nous avons couronné la journée avec une fabuleuse fondue mongole dans un restaurant du Sichuan. Habitants et visiteurs ont tous rapporté chez eux le souvenir d’une Barcelone multiculturelle, dont la communauté chinoise est une facette essentielle. Celle-ci l’est également dans le reste de l’Espagne.
Les célébrations de 2022 sont, comme l’année dernière, limitées par la pandémie, qui finira par disparaître, tôt ou tard. À présent, il est important d’analyser les choses dans une perspective plus large et d’apprécier le Nouvel An chinois et la civilisation chinoise dans un cadre plus vaste.
Rappelons-nous que la Route maritime de la Soie a atteint l’Europe occidentale environ un demi-millénaire plus tôt que nous ne le pensions. Les tessons de céramique chinoise découverts en divers endroits d’Espagne, entre autres à Saragosse, Almería et Valence, remontent aux dynasties des Tang (618-907) et des Song (960-1279), témoignant ainsi de l’existence de liens commerciaux et culturels très anciens entre la Chine et l’Europe occidentale. À l’aune des célébrations du Nouvel An chinois, de tels liens refont surface par des manifestations concrètes, directes et dynamiques.
*AUGUSTO SOTO est directeur du projet Dialogue avec la Chine.
Source:La Chine au Présent |