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Pour que sa fille apprenne le chinois, Kuai Yiping a employé les grands moyens : ouvrir elle-même une classe de chinois. Une initiative réussie, qui profite à tous les passionnés de cette langue orientale dans son quartier.
HU YUE, membre de la rédaction
Le 18 mars 2017, plus de 160 candidats arrivant de Genève et des villes voisines sont venus évaluer leur niveau de chinois en participant à l'épreuve du HSK 2017, dans le bâtiment principal Uni Mail de l'université de Genève. Parmi les candidats figuraient un père et sa fille, Fabrice et Sonia Gay. Avant le test, ils se sont adressé quelques mots d'encouragement, puis sont entrés ensemble dans la salle d'examen.
Lorsque nous les avons revus le 9 avril, nous avons appris la bonne nouvelle : tous deux ont atteint le niveau III. D'après Sonia, leurs bons résultats sont non seulement le fruit de leurs efforts, mais sont aussi largement dû à sa mère Kuai Yiping, qui les a soutenus avec ferveur. Originaire de la province chinoise du Hunan, celle-ci a mis en place des cours de chinois pour donner à sa fille la possibilité d'apprendre plus activement cette langue.
La force du destin
Kuai Yiping, âgée de 47 ans, travaille actuellement dans une société de logiciels à Genève, avec pour mission de développer des solutions dédiées au secteur financier. En 1995, après l'obtention de son master en chinois à l'université de Beijing, elle a décroché une bourse accordée par le gouvernement pour poursuivre ses études en France avec un diplôme d'études approfondies (DEA) ès lettres. Entre-temps, elle a rencontré son mari Fabrice Gay, de 5 ans son cadet.
Fabrice, alors étudiant en informatique de deuxième année, est tombé éperdument amoureux de cette fille chinoise hautement instruite, originaire d'un pays mystérieux. Ainsi sont-ils tombés dans les bras l'un de l'autre. Kuai Yiping a alors encouragé Fabrice à apprendre le chinois, tandis que Fabrice a conseillé à Kuai Yiping de changer de spécialité. Finalement, elle a accepté la proposition de son petit ami. Kuai Yiping a terminé le cycle normal d'études en informatique en seulement un an, puis a fini tous les cours de master connexes l'année suivante. Une fois son DEA en informatique en poche, elle a trouvé un poste dans la société de logiciels où elle travaille toujours, d'abord au siège à Paris, évoluant ainsi parmi l'élite informatique.
En 2008, Kuai Yiping a été envoyée au bureau de Genève, en manque de personnel. Dans ce contexte, Fabrice a choisi de démissionner pour la suivre. Ils se sont installés à Thonon, ville française au bord du lac Léman. Leur fille Sonia avait tout juste 5 ans à l'époque.
En allant travailler à Genève, ils faisaient aussi le choix d'une vie relativement calme, loin de l'agitation parisienne et moins affairée pour avoir plus de temps à consacrer à leur fille. Kuai Yiping regrettait en effet, les années passées, de ne pas avoir vu grandir Sonia. Après leur arrivée à Genève, Fabrice a retrouvé un emploi et ils ont investi leurs économies dans la construction d'une petite maison avec un jardinet. Ainsi débuta pour eux une vie paisible !
Kuai Yiping a investi beaucoup d'énergie dans l'éducation de sa fille. Sonia a commencé le violoncelle à l'âge de 7 ans, puis le piano à l'âge de 10, deux instruments pour lesquels elle a toujours eu du talent et qu'elle maîtrise aujourd'hui à la perfection. Toutefois, l'un des vœux de Kuai Yiping n'était toujours pas exaucé : que sa fille apprenne le chinois, sa langue maternelle.
Des cours de chinois pour sa fille
Sans environnement linguistique chinois, il était difficile pour Sonia de progresser dans cette langue. Une fois, alors que Kuai Yiping essayait de dialoguer en chinois avec sa fille dans le bus, Sonia lui a répondu en français, d'un ton agacé : « Maman, on est en France maintenant, donc est-ce que tu peux me parler en français ? » À ce moment-là, Kuai Yiping s'est aperçue qu'il n'est pas si facile pour les enfants d'apprendre une langue étrangère. Pour arriver à des résultats satisfaisants, il faut non seulement éveiller leur intérêt pour la langue en question, mais aussi leur offrir des opportunités de la pratiquer au quotidien.
Un jour de l'année 2014, Kuai Yiping a eu cette idée quelque peu saugrenue : « Et si j'ouvrais une classe de chinois pour ma fille ! » Comme elle était diplômée d'un master de chinois à l'université de Beijing, elle possédait un excellent niveau en mandarin et connaissait un certain nombre de procédés pédagogiques. De ce fait, elle a pris son courage à deux mains et a contacté le centre de loisirs ainsi que l'association communautaire de son quartier pour leur faire part de son idée de proposer un cours de chinois. L'objectif était de donner aux gens du quartier s'intéressant à cette langue l'occasion de l'apprendre presque gratuitement. Un projet qui a eu un succès inespéré !
Actuellement, Kuai Yiping compte une dizaine d'élèves, enfants comme adultes, qu'elle a répartis sur trois classes de niveaux différents. Chaque semaine, elle dispense un cours à chaque classe au centre de loisirs, le soir ou le week-end. Cependant, elle a peu à peu constaté qu'un cours par semaine est loin de répondre à la demande des élèves, désireux de progresser. Par conséquent, elle les invite aussi chez elle pour leur enseigner le chinois pendant 45 minutes, puis les laisse libres de s'amuser ensemble dans sa maison. Grâce à cette initiative, Sonia a rencontré un tas de partenaires linguistiques et amis en peu de temps. En parlant chinois et en jouant avec ses camarades pendant le cours de sa mère, elle a succombé progressivement au charme de la langue et de l'écriture chinoises.
« À l'origine, je souhaitais avant tout donner des cours de chinois à ma fille. Mais je ne pensais pas que j'obtiendrais des résultats aussi gratifiants après l'ouverture de ces classes », confie Kuai Yiping.
À ses yeux, chaque élève a sa propre personnalité, ce qui requiert donc l'emploi de méthodes d'enseignement diverses. Pour cette raison, Kuai Yiping a commencé à compiler ses astuces pédagogiques pour chaque type de caractères, afin de capter l'intérêt des élèves. Par ailleurs, elle invite ses élèves à participer au HSK, un examen qui lui permet d'évaluer les effets de son enseignement. De plus, lorsqu'ils réussissent cette épreuve, les élèves en retirent un sentiment d'accomplissement ainsi qu'une attestation officielle de leur niveau, utile pour leur avenir. Par exemple, un de ses élèves, Yael Massini, en passe de terminer ses années de lycée, a travaillé très dur l'an dernier pour finalement parvenir au niveau III du HSK 2017. Résultat : son score comptera comme points bonus au bac et il recevra, en prime, une bourse d'études.
Au-delà de la langue, la culture…
Pour que Sonia puisse parfaire son chinois, Kuai Yiping s'efforce de rentrer en Chine une fois tous les deux ans en compagnie de son mari et de sa fille. C'est l'occasion pour Kuai Yiping de rendre visite à sa mère, son frère et sa sœur restés au pays ; et pour Sonia, de faire l'expérience de la vie en Chine, pour mieux connaître et comprendre ce pays.
En mai 2016, ils ont fait le déplacement et en ont profité pour visiter la ville de Suzhou, qui a enchanté Sonia. Elle commente : « J'aime vraiment la Chine ! Les gens sont sympathiques et veulent chaque fois prendre une photo avec moi. » Pour une jeune fille de 14 ans, c'est appréciable de sembler ainsi sous les feux des projecteurs. Elle espère plus tard partir en Chine pour y étudier et y préparer sa carrière.
Nourrissant à présent cet objectif de partir en Chine, Sonia est plus disposée que jamais à étudier le chinois. Elle est reconnaissante du soutien et des efforts qu'a déployés sa mère pour l'amener à pratiquer cette langue. C'est peut-être cet amour maternel qui alimente le plus sa motivation aujourd'hui.
Quand nous avons demandé à Fabrice la raison qui l'avait poussé, lui, à apprendre le chinois, il avoue : « Dans mon temps, les garçons français se mettaient au chinois principalement dans l'espoir de rencontrer une jolie jeune fille chinoise. Les femmes chinoises sont tellement ravissantes ! C'est ce qui m'a motivé. » Une dernière phrase qui n'a pas manqué de faire sourire Kuai Yiping.
Selon cette dernière, l'essor économique chinois est venu s'ajouter au charme de la culture chinoise, de telle sorte qu'un nombre croissant de jeunes Occidentaux ont envie de prendre des cours de mandarin et de se rendre en Chine pour s'imprégner de l'atmosphère qui y règne. « Je m'attendais à voir beaucoup de candidats d'origine chinoise participer à cette épreuve du HSK à l'université de Genève, mais en réalité, la grande majorité d'entre eux étaient des Occidentaux, preuve que ceux-ci sont de plus en plus nombreux à s'intéresser au chinois et à la Chine », décrit Kuai Yiping, non sans fierté.
À l'avenir, Kuai Yiping compte poursuivre les cours de chinois à mi-temps. « Dans deux ans, quand notre situation financière sera meilleure, je démissionnerai peut-être de ma fonction actuelle pour me concentrer sur les cours, parce qu'enseigner ma langue maternelle est véritablement une source de joie dans ma vie », conclut-elle.
Source: La Chine au Présent |
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