[A A] |
LIU SHIZHAO*
Je suis parti de Changzhou à vélo et je pédale vers le sud-est en direction de Wuxi. Entre Zhenjiang et Hangzhou, le Grand Canal prend le nom de « Canal au sud du Yangtsé », la plus importante partie de ce canal étant constituée de la section de Wuxi qui s'étale sur 40,8 km. À l'époque où l'empereur Yangdi de la dynastie des Sui (581-618) faisait creuser le Grand Canal, cette section de Wuxi existait déjà. C'est sous le règne de l'empereur Yangdi des Sui qu'elle fut élargie. Vers la fin de la dynastie des Qing (1644-1911), le marché du riz de Wuxi devint le plus important des quatre principaux marchés du riz du pays. Les navires de transport de céréales se concentraient sur le canal près de Huangbudun à Wuxi, d'où ils prenaient ensuite la direction du Nord. Aujourd'hui, ce marché du riz a disparu, mais le canal demeure.
Wuxi sans marché du riz
Wuxi est entourée de canaux. Depuis le sommet du mont Huishan situé à l'ouest de la ville, une vue magnifique s'ouvre sur l'arrivée du Grand Canal aux abords de la zone urbaine. Les monts Xishan et Huishan sont des attractions locales.
Aux petites heures du matin, on peut y voir un certain nombre de citoyens qui font leur exercice en s'élevant au pas gymnastique vers le mont Huishan, comme ils le faisaient il y a plus de 30 ans. Pour ma part, je suis arrivé ici à 4 h du matin. Des habitants du coin se préparaient à l'ascension en allumant leurs lampes de poche. Il s'agit d'atteindre le sommet Ermao pour assister au lever du soleil. Il y a déjà beaucoup de personnes présentes qui s'adonnent à toutes sortes de sports. Puis le soleil se lève majestueusement, faisant miroiter le canal comme une ceinture argentée qui ceint la ville.
Aujourd'hui, un fin crachin humecte le mont. Je pédale lentement le long du canal en tenant d'une main mon parapluie. J'aimerais visiter la rue Beitang, celle qui autrefois abritait le marché du riz, ainsi que Huangbudun, l'île située sur le canal dans le prolongement de cette rue.
Au bord du canal, on voit que la digue se borde d'espaces verts, les balustrades sont impeccables, tout est parfaitement aménagé. Les maisons d'autrefois ont été remplacées par de hauts immeubles. Sur la rue Beitang, aucun vestige ne suggère l'ancien quai où s'alignaient les boutiques des marchands de riz. Seul révèle la prospérité d'antan ce portique de pierre récemment installé sur lequel on peut lire « marché du riz de Wuxi ». Au bord de la rue, une rangée de maisons vétustes aux murs couverts d'écriteaux de mise en garde : « Maisons délabrées, ne pas approcher ! » Si les boutiques et le quai du riz de l'époque avaient pu être conservés, ils témoigneraient de l'âge d'or de cette région et l'on pourrait mieux se représenter les scènes de la vie quotidienne d'antan. Malheureusement, mon imagination est livrée à elle-même et tourne à vide.
Huangbudun est une petite île qui trône sur le canal. Des empereurs, des lettrés et des mandarins célèbres laissèrent ici leur trace : Fuchai, roi du Royaume Wu de la période des Printemps et Automnes (770-476 av. J.-C.), Wen Tianxiang, mandarin de l'époque des Song du Sud (1127-1279), Hai Rui, mandarin de l'époque des Ming (1368-1644), les empereurs Kangxi et Qianlong de la dynastie Qing. Aujourd'hui, pavillons et kiosques se dressent encore ça et là, mais les barques de bois qui autrefois se tenaient ancrées au bord du canal ont disparu. Elles ont été remplacées par des bateaux motorisés ; le mode de vie d'ici, qui autrefois dépendait du canal et des barques, s'est transformé. Aujourd'hui, la seule navigation qui reste active est celle des bateaux de plaisance qui proposent des circuits aux touristes.
Je m'embarque. Depuis la jonque j'immortalise le profil du pont Qingming. Construit à la fin du XVIe siècle, sous le règne de l'empereur Wanli des Ming, ce pont est l'emblème du quartier touristique et forme l'un des points les plus pittoresques des paysages du canal. Ce pont en pierre ainsi que quelques maisons qui l'entourent ont conservé jusqu'à aujourd'hui leur cachet ancien, en un contraste frappant avec les bars et les boutiques modernes qui se multiplient le long du canal.
Suzhou se transforme
De Wuxi, je poursuis ma route en direction du sud-est pour rejoindre Suzhou. « À minuit, du temple du moine "Montagne froide" près de Gusu, le son d'une cloche parvient jusqu'au bateau du voyageur », disent les vers d'un poème célèbre écrit par le poète Zhang Ji sous la dynastie des Tang (618-907). Gusu est l'ancien nom de Suzhou, ville typique des paysages du sud du Yangtsé. Ici, le meilleur moyen de transport reste le vélo.
Depuis mon premier voyage à Suzhou qui remonte à 1982, j'ai dû visiter la ville sept ou huit fois. À chaque fois, j'ai loué un vélo pour parcourir ses ruelles.
Le canal de Suzhou entoure la ville comme une ceinture de jade. La bande de protection qui préserve son aspect original forme une sorte de couloir vert reliant entre eux les sites historiques de la ville.
Sillonnant les petites rues sur mon vélo, je ne vois plus les bateaux qu'employaient autrefois les habitants pour circuler sur les nombreux canaux de la ville. Seuls demeurent les bateaux de plaisance qui transportent visiteurs et touristes. Un lotissement résidentiel vient de sortir de terre. Ces villas nouvellement construites présentent un style compatible avec celui de l'architecture de cette région de lacs et de rivières. Des maisons aux tuiles grises et aux murs blancs, qui s'harmonisent avec la ville ancienne.
À Suzhou, l'atelier Yishizhai propose la gravure de sceaux de bronze ou de pierre. Voici déjà 35 ans, j'interviewais Qian Rongchu, maître graveur sigillaire, un des fondateurs de l'atelier. Cette fois-ci, je visite la salle d'exposition de Cai Tinghui, lui aussi maître graveur. Celui-ci me confie que son père, Cai Jinshi avait le même maître que Qian Rongchu et qu'ils avaient fondé ensemble l'atelier Yishizhai. Les œuvres de Cai Tinghui poursuivent la tradition et développent l'art des anciens maîtres. Son but est de mettre au point un style nouveau qui combinera les caractéristiques et les codes chromatiques des paysages traditionnels. Les gravures exposées dans la salle d'exposition s'inspirent de tableaux célèbres dans l'histoire de la peinture chinoise ; il s'agit d'œuvres créées par Cai Tinghui pendant ses nombreuses années de pratique. Il pense qu'à la fin de sa carrière il aura gravé une centaine de tableaux. Chaque œuvre s'inscrit dans une durée différente : de deux à trois mois de travail pour les plus simples, et jusqu'à deux ou trois ans pour les plus complexes. Aujourd'hui, il n'en est qu'au tiers de son projet.
Le canal ancien qui rythme le centre-ville historique de Suzhou est un lieu de loisir pour ses habitants ; aux environs de la ville, sur la section de Suzhou du canal au sud du Jiangsu, les travaux d'aménagement du 3e niveau de la voie navigable ont passé les tests de contrôle voici déjà quelques années. Il est désormais ouvert à la navigation de navires de grande capacité qui transportent des milliers de tonnes de marchandises. Un accroissement spectaculaire de la capacité du transport fluvial du delta du Yangtsé et du canal Beijing-Hangzhou.
Renaissance des bourgs millénaires
Toujours à vélo dans cette région du sud du Yangtsé, je progresse toujours plus vers l'intérieur de cette région où rivières, lacs et bras morts se constituent en réseau aquatique. L'eau est partout, et les villages et bourgs anciens nichés dans ses recoins deviennent, en vertu des besoins des touristes, des attractions. Les plus célèbres d'entre eux sont Tongli, Luzhi, Zhouzhuang, Shengze, Zhenze, Wuzhen, Nanxun, Xitang, Tangqi... Je les ai tous parcourus autrefois. Cette fois je n'ai pas le loisir de m'arrêter partout, mais je décide pourtant d'en revisiter quelques-uns.
Zhouzhuang s'étend au sud-est de Suzhou. Je l'avais visité dans les années 1980 ; à l'époque, j'étais venu par le bateau qui relie en une heure Kunshan à Zhouzhuang. Ce soir-là, j'avais été hébergé dans les locaux de l'administration du bourg, où j'ai dormi sur un bureau. Aujourd'hui, les ponts ont été reconstruits et la route mène directement au centre de la bourgade. Toutes sortes d'hôtels s'offrent au choix des touristes. Comme le tourisme se développe ici depuis longtemps, Zhouzhuang voit passer chaque année un grand nombre de touristes. Lors des fêtes et jours fériés, le bourg déborde de monde, certains affirmant même qu'il est devenu trop commercial. Pourtant, les habitants n'abandonnent pas leur maison et continuent de mener leur vie paisible. L'administration locale a entamé une réflexion sur l'avenir du bourg. Un nouveau mode de développement est à l'étude : il se base sur une mise en commun des potentiels touristiques des villages et bourgs voisins.
*LIU SHIZHAO est ancien photographe de People's China.
Source: La Chine au Présent |
|
||