Une amitié forgée à travers l'art

Par : Vivienne |  Mots clés : Kenya
French.china.org.cn | Mis à jour le 07-06-2023

À Kahawa West, en banlieue de Nairobi, capitale du Kenya, une gigantesque fresque murale a fait son apparition sur un mur communautaire. Cette œuvre impressionnante, mesurant 3,6 mètres de large et 2,4 mètres de haut, est constituée de 54 grands carreaux de céramique et dépeint l’image d’Ayub Ogada. Elle attire inévitablement le regard des passants, qui ne peuvent s’empêcher de se demander qui est ce bonhomme. 

M. Ogada est décédé il y a un peu plus de quatre ans. À son apogée, il était reconnu comme un virtuose contemporain de nyatiti, une lyre ancestrale originaire du Kenya, un excellent joueur de djembé et un auteur-compositeur-interprète de renom. S’il est célèbre dans le monde occidental, son nom reste méconnu de la jeunesse kényane. C’est précisément cette situation que le photographe et artiste chinois Qi Lin espère changer à travers son initiative de street art. 

Un ami de cœur 

M. Qi a été envoyé au Kenya en 2011 par son entreprise AVIC International pour un projet d’enseignement professionnel. Le photographe dans la quarantaine a rencontré M. Ogada pour la première fois en 2012 à l’African Heritage House de Nairobi où le musicien se produisait. « J’étais époustouflé par ce vieil homme, vêtu de son costume traditionnel, jouant de la nyatiti et chantant d’une voix langoureuse, différente de toute la musique africaine moderne que j’avais entendue auparavant », partage M. Qi avec CHINAFRIQUE. C’est à cette occasion qu’il a capturé la photo emblématique du musicien, avec en toile de fond la vaste savane du Parc national de Nairobi et les Ngong Hills. L’année suivante, M. Ogada a été invité à jouer lors de son mariage. De cette rencontre est née une amitié profonde et durable. 

Même après avoir quitté le Kenya en 2015 pour accompagner sa femme et poursuivre sa carrière de photographe indépendant à l’étranger, M. Qi n’a jamais négligé l’importance de son amitié avec le musicien. Chaque fois qu’il revenait dans ce pays d’Afrique de l’Est, il ne manquait pas de lui rendre visite. En apprenant sa disparition en 2019, l’artiste chinois a eu le cœur brisé. « M. Ogada ne représente pas que lui-même, mais toute la culture africaine. Sa disparition est une perte pour la musique traditionnelle au Kenya dans son ensemble », affirme M. Qi. Il regrette cependant que les Kényans et les médias n’aient pas accordé à cette disparition l’importance qu’elle méritait. 

En 2022, lors de son retour au Kenya, M. Qi a eu l’idée d’imprimer la photo de son ami sur un mur carrelé de la communauté kényane, pour commémorer le troisième anniversaire de son décès. Il espère ainsi attirer l’attention de la jeunesse sur le musicien disparu. « Aujourd’hui, la plupart des photos sont rarement imprimées. J’ai voulu explorer de nouveaux supports pour les conserver pendant une plus longue durée », explique-t-il. « Les carreaux étant durables, tant que le mur ne sera pas détruit, la fresque pourra demeurer et continuer d’inspirer. » 

Pour concrétiser son projet, il a collaboré avec des artisans céramiques du groupe industriel chinois KEDA, qui a implanté la plus grande usine de carrelage est-africaine au Kenya, pour imprimer la photo sur les carreaux. Après avoir obtenu l’approbation de la communauté pour l’utilisation du mur, M. Qi a travaillé avec une équipe d’AVIC International pour l’installation du carrelage mural, qui a duré deux semaines. 

Un an après l’achèvement des travaux, la fresque murale ne cesse de gagner en popularité parmi le grand public et même des organisations internationales, comme la Fondation Gates, la Fondation Ford et l’ONU. Encouragé par ce succès, M. Qi envisage désormais de collaborer avec des institutions d’art moderne en Afrique de l’Est pour développer d’autres projets artistiques utilisant la céramique, dans l’espoir d’impliquer davantage d’artistes kényans. 

L’expérience de Qi Lin au Kenya 

L’Afrique a toujours exercé une influence prépondérante sur Qi Lin, une fascination héritée de sa famille. Son grand-père maternel faisait partie d’une mission médicale chinoise envoyée en Somalie il y a plus d’un demi-siècle. Sa mère, également médecin, a été dépêchée au Népal pendant sa guerre civile de 2001 à 2003. Dès son plus jeune âge, M. Qi a été nourri par les récits inoubliables de son grand-père relatant ses expériences sur le continent africain. Cependant, son décès en 2015 a laissé un vide, ne subsistant que quelques photographies. « Je regrette profondément cette perte, et c’est à ce moment-là que j’ai décidé de saisir, à travers mon objectif, ma propre histoire, celle de ma mère et celles de ressortissants chinois en Afrique », confie-t-il à CHINAFRIQUE. 

Ces derniers constituent l’un de ses principaux sujets photographiques. Il indique qu’une proportion importante des Chinois sur le continent travaille sur des projets d’infrastructures et vit en communauté. Les médias locaux et occidentaux ont souvent un accès difficile à ce groupe qui est peu enclin à traiter avec eux, ce qui conduit parfois à des reportages partiaux. De leur côté, les médias chinois se concentrent plutôt sur des événements majeurs qui marquent les relations sino-africaines. M. Qi vise donc à combler ce vide en proposant un récit plus authentique de la vie quotidienne de ce groupe.  

« En venant ici, on réalise que chaque Chinois a sa propre histoire. Ils tissent, à leur manière, un lien unique avec les locaux. C’est là que réside l’essence des liens sino-africains, bien au-delà des sphères économiques et politiques », fait-il savoir. 

En plus de la communauté chinoise, M. Qi se focalise également sur la société kényane en constante mutation. Depuis 2011, il a été témoin de l’essor fulgurant du pays et de l’impact considérable de la collision de diverses cultures sur les coutumes traditionnelles du Kenya. « Je suis ici depuis longtemps, et pourtant je continue de découvrir des aspects surprenants du pays qui enrichissent ma connaissance », affirme M. Qi. 

Au cours de la dernière décennie, M. Qi a visité une quarantaine des 47 comtés du Kenya. Sa première visite marquante dans le comté de Turkana en 2014, considéré comme l’un des berceaux de l’humanité, l’a profondément touché. Il a parcouru 700 km pendant deux mois à dos de chameau, malgré les risques. Ce voyage l’a amené à repenser son rapport au monde, comme s’il sortait d’un rêve mêlant réalité et virtualité. Depuis cette expérience, il est retourné dans le nord du pays à cinq reprises, constatant l’impact des conflits tribaux, de la désertification, du changement climatique et de la perte des traditions sur une région largement méconnue du reste du monde. 

Cette année, M. Qi prévoit de publier un livre de photos relatant son expérience à dos de chameau. S’il ne sait pas encore combien de temps il restera au Kenya cette fois-ci, il est persuadé que son histoire avec ce pays est loin d’être finie. 


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Source: Chinafrique
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