Lancement d’un projet majeur de coopération nucléaire sino-russe

Mercredi, le président chinois Xi Jinping et le président russe Vladimir Poutine ont participé à la cérémonie de mise en chantier de quatre réacteurs nucléaires avancés en Chine, alimentés par la technologie nucléaire russe de 3e génération.

D’après les observateurs, le lancement de la construction de ces quatre réacteurs nucléaires, qui constituent à ce jour le plus grand projet sino-russe en matière d’énergie nucléaire, marque un jalon dans la coopération énergétique nucléaire entre les deux pays, ainsi qu’une preuve supplémentaire de leur rapprochement face aux sanctions et restrictions croissantes imposées par les Etats-Unis.

La coopération nucléaire revêt une importance stratégique majeure du fait de sa relation directe à la sécurité énergétique et nationale, ainsi qu’à la gouvernance mondiale et aux défis comme les changements climatiques et la non-prolifération. La coopération entre les deux principales puissances nucléaires et membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU a une importance mondiale, notent les experts chinois.

Ces quatre réacteurs nucléaires, deux à la Centrale nucléaire de Tianwan dans la province orientale chinoise de Jiangsu et deux à la Centrale de Xudapu dans la province de Liaoning (nord-est), auront une capacité de production de 37,6 milliards de kilowattheures (kWh) par an et permettront de réduire les émissions de carbone de 30,68 millions de tonnes.

Cette mise en chantier fait passer de 19 à 23 le nombre de réacteurs nucléaires, dont la construction a été approuvée ou qui sont actuellement en cours de construction en Chine.

Coopération sino-russe

Au cours de la cérémonie, Xi Jinping a fait une proposition en trois points. Premièrement, il a appelé les deux parties à adhérer au principe de priorité à la sécurité, ainsi qu’à mettre en place un modèle pour la coopération mondiale en matière d’énergie nucléaire. Deuxièmement, il a suggéré que les deux pays approfondissent leur coopération scientifique et technologique en matière de coopération nucléaire en maintenant l’innovation comme force motrice. Troisièmement, il a appelé à adhérer à la collaboration stratégique pour promouvoir le développement coordonné du système de gouvernance du secteur mondial de l’énergie.

Au cours de la cérémonie, Vladimir Poutine a indiqué qu’en dehors de la construction de ces nouvelles centrales de Tianwan et Xudapu, tous les accords entre la Russie et la Chine accomplis au plus haut niveau avaient été mis en œuvre, avec un grand nombre d’autres initiatives majeures en cours.

Le président russe considère la coopération dans le développement nucléaire pacifique comme un élément important de l’ensemble du partenariat stratégique sino-russe, dont la nature est profonde, véritablement amicale et mutuellement bénéfique.

« Le lancement de la construction de ces quatre centrales démontre les résultats majeurs de la coopération dans la production d’équipements de pointe et l’innovation scientifique et technologique. Cela permettra de stimuler la coopération concrète entre les deux pays », a déclaré mardi le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian.

Lin Boqiang, le directeur du Centre de recherche en économie de l’énergie de Chine à l’Université de Xiamen, a expliqué mercredi que le lancement de ces quatre centrales nucléaires alimentées par la technologie russe en Chine serait une aubaine pour les exportations de la technologie nucléaire russe. D’autres pays pourraient en effet se montrer intéressés dans le développement de centrales nucléaires de 3e génération.

Même si elle ne représente que 2 % de la capacité installée, l’énergie nucléaire représente près de 5 % de l’électricité produite en Chine en 2020, montrant un avantage comparatif par rapport à l’énergie solaire et éolienne.

Toutefois, Lin Boqiang note qu’il existe un nombre limite − environ 150 − dans le nombre de réacteurs nucléaires que la Chine peut construire sur son territoire. Il existe à l’heure actuelle 49 centrales nucléaires en opération en Chine et ce nombre devrait passer à 75 unités d’ici 2025.

Fiable et durable

La coopération et le commerce énergétique entre la Chine et la Russie devraient permettre de fournir plus de dynamique à l’objectif des deux pays d’augmenter encore leur commerce bilatéral. La Chine et la Russie ambitionnent de porter le volume de leur commerce bilatéral à 200 milliards de dollars (164 milliards d’euros) d’ici 2024.

Dans un contexte de sanctions et de restrictions continues de la part des Etats-Unis à l’encontre de la Russie et de la Chine, la coopération sino-russe revêt une importance particulière.

« La coopération nucléaire sino-russe comporte une grande importance politique et stratégique. Elle est même plus stratégique que la coopération militaire », estime Yang Jin, un expert de l’Institut des études sur la Russie, l’Europe de l’Est et l’Asie centrale relevant de l’Académie des sciences sociales de Chine (ASSC).

Par le passé, la Chine s’est également engagée dans la coopération nucléaire avec certains pays occidentaux, incluant trois autres membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU : les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France.

« Cependant, du fait des limitations géographiques et de l’attitude changeante vis-à-vis de la Chine provoquée par les transitions de pouvoir politique en occident, certains projets de coopération avec des pays occidentaux ne sont pas vraiment durables et présentent de grandes incertitudes », note Yang Jin.

La coopération nucléaire sino-russe est bien plus durable et stable, du fait de la stabilité et de la constance politique des deux pays, de sorte que le niveau de coopération et la confiance mutuelle entre Beijing et Moscou dans ce domaine sont bien meilleurs que leurs liens avec l’Occident, explique le chercheur.

En matière de technologie nucléaire ou de capacité à utiliser de façon pacifique l’énergie nucléaire, la Chine et la Russie sont complémentaires et présentent des avantages uniques, ainsi qu’une plus grande fiabilité que d’autres pays dans ce domaine, font remarquer les experts.

« La Russie possède parmi les meilleures technologies mondiales et la Chine peut tirer parti de celles-ci pour remplacer la technologie américaine, étant donné la répression et les restrictions croissantes des Etats-Unis au cours de ces dernières années. Pour sa part, la Chine possède des fonds et quelques technologies à offrir à la Russie », affirme Li Xin, un expert en études eurasiatiques de l’Université de science politique et droit de Shanghai.

D’après lui, les avantages de la Chine résident dans la technologie spatiale et l’économie numérique, notamment le e-commerce.

Au cours de ces dernières années, la coopération bilatérale a accompli de grandes avancées dans le commerce du gaz naturel, le projet concernant le gaz naturel liquéfié de l’Arctique, la 5G, les services de l’infonuagique ou encore les transports intelligents.

Le commerce entre la Chine et la Russie a retrouvé une croissance positive sur les quatre premiers mois de cette année malgré les effets négatifs de la pandémie, avec un commerce entre janvier et avril atteignant les 40,21 milliards de dollars US, soit une augmentation de 19,8 % en glissement annuel, a indiqué la semaine dernière le ministère chinois du Commerce.

Avec l’amélioration du commerce, le ministère prévoit encore de nouveaux sommets pour le commerce bilatéral en 2021.

En plus de l’énergie et des ressources, le commerce en produits agroalimentaires, en volaille et en bœuf a enregistré une croissance majeure en 2020.

« Les restrictions lancées par les Etats-Unis et leurs alliés à l’encontre de la Chine et de la Russie ne pouvaient qu’échouer. La Chine et la Russie accompliront plus de développements avec ou sans la participation occidentale », affirme Yang Jin.

Concurrence internationale

La Chine est un terrain d’essai mondial pour les technologies nucléaires de 3e génération. L’évènement de mercredi place la technologie russe VVER-1200 en concurrence avec la technologie de 3e génération Hualong One développée par la Chine, ainsi que celles développées par la société américaine Westinghouse et l’européen Orano.

Lorsque les premières centrales utilisant les technologies nucléaires de 3e génération américaine (AP1000) et française (EPR) ont été installées en Chine, les deux projets ont subi des délais insupportables et coûté une fortune à leurs propriétaires, note Lin Boqiang.

« Le réacteur nucléaire utilisant la technologie chinoise Hualong One est jusqu’à présent le seul projet de réacteur 3e génération, qui a été achevé dans les temps. La question est désormais de savoir comment les unités VVER-1200 russes seront réalisées en Chine et s’il pourrait y avoir des délais », ajoute-t-il.

La coopération énergétique nucléaire est un secteur, qui nécessite une confiance stratégique. La coopération sino-russe en matière d’énergie nucléaire remonte aux années 1950 et les experts estiment que l’évènement de mercredi montre que la coopération entre la Chine et la Russie évolue avec le temps et continue de porter de nouveaux fruits.

En comparaison, le projet de coopération nucléaire de la Chine avec le Royaume-Uni à Hinkley Point n’a enregistré que peu de progrès.

Gouvernance mondiale

La coopération nucléaire entre la Chine et la Russie ne bénéficiera pas uniquement aux deux pays, mais contribuera également à la gouvernance mondiale dans les domaines de la lutte contre la crise énergétique et de la réduction des émissions de carbone. Elle apportera également des solutions plus équitables pour les questions de non-prolifération nucléaire.

Pour Yang Jin, un grand nombre de questions sensibles et de longue date touchant à l’énergie nucléaire, comme celles concernant l’Iran et la Corée du Nord, sont liées à l’utilisation pacifique de cette énergie. La coopération technologique entre la Chine et la Russie pourrait apporter plus de flexibilité pour aider ces pays à trouver des solutions plus justes, plutôt que de laisser les Etats-Unis utiliser leurs avantages technologiques et les sanctions pour faire pression sur les autres et provoquer des situations d’impasse ou de renversement.