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Chang Zhenchen (à g.).
XU YING*
Chang Zhenchen rêvait dans son enfance de devenir ingénieur en mécanique agricole. Il est né en 1965 et approche aujourd'hui de la fin de sa carrière en tant qu'ingénieur en chef adjoint de la Société des véhicules ferroviaires de Changchun (SVFC).
Cette entreprise connue du grand public comprend pourtant un effectif de plus de 14 000 personnes. M. Chang est chef d'une équipe de recherche sur les systèmes de contrôle et de signalisation, c'est à dire l'équivalent du cerveau et du système nerveux du TGV.
En décembre 2012, le projet de développement du système de contrôle de train pour l'automotrice CRH5 mené par Chang Zhenchen a passé avec succès l'expertise finale. Le fruit de ses recherches a été breveté en juin 2014. Désormais, la Chine conçoit et fabrique ses propres « cerveaux » pour le TGV.
Sur les 17 000 km de voies à grande vitesse que compte la Chine, 1 800 rames automotrices transportent 910 millions de voyageurs par an. Par ailleurs, la Chine a commencé à exporter sa technologie à grande vitesse, se plaçant parmi les premiers fournisseurs de voies et de rames à grande vitesse au reste du monde.
L'industrie ferroviaire à grande vitesse se mondialise
Chang Zhenchen a travaillé dans l'automatisation agricole jusqu'en 2004, année au cours de laquelle il a bouclé ses études de doctorat. Il a ensuite rejoint la SVFC pour des recherches post-doctorat, où il allait finalement rester travailler pendant deux ans.
C'était l'année où était publié le Plan national du réseau ferroviaire à moyen et long terme, qui prévoyait la création d'un réseau de transport express de passagers d'une longueur de 12 000 km, avec la directive d'introduire des technologies étrangères d'avant-garde, pour une conception et une construction conjointes, suivie de l'émergence d'une technologie indigène.
La SVFC était alors en négociations avec le français Alstom pour créer une rame capable de rouler à 200 km/h. M. Chang était chargé d'étudier au plus vite les technologies ayant trait aux systèmes de contrôle. Afin de gagner du temps et comprendre rapidement la structure et les principes de la rame automotrice, Chang s'est proposé pour participer aux essais sur la Changbaishan.
Cette rame conjointement développée par la SVFC et le canadien Bombardier, représentait alors le dernier stade du progrès technique des TGV chinois, que l'on appelle ici sous le nom générique de China Railway High-speed (CRH). Ce projet, qui a coûté 100 millions de yuans pour une vitesse de circulation visée de 210 km/h, représentait une première étape dans le développement du TGV chinois.
Lors d'un essai conduit en septembre 2004, la Changbaishan a roulé à 254,5 km/h, un record pour l'époque, que M. Chang a jugé très encourageant. Mais il restait bien des défis à relever. Un jour, après la mise à jour des logiciels, le train a cessé de fonctionner. « On a fini par découvrir que les paramètres du diamètre des roues étaient incorrects, ce qui a provoqué l'immobilisation. Une erreur de 10 mm seulement ! », raconte M. Chang.
Ces 60 jours d'expérimentations destinés à lui fournir de meilleures connaissances de la structure et des principes d'une rame TGV lui ont fait prendre la mesure du retard de la Chine sur les pays développés dans plusieurs domaines de la cybernétique. « J'étais au bord du désespoir », se souvient-il.
La Changbaishan de création chinoise est entrée en service en février 2007 sur la ligne Shenyang-Dalian. Mais elle a dû traverser bien des difficultés. En 2012, l'exploitation de ce modèle a dû être suspendue en raison de l'interruption de l'approvisionnement en pièces détachées.
M. Chang explique que lors de la conception de l'automotrice CRH1, la première version du TGV chinois, on s'est basé plus ou moins sur la Changbaishan, notamment pour la motorisation et la décoration intérieure. C'est elle qui annonce l'arrivée du transport ferroviaire à grande vitesse en Chine.
En 2006, Chang Zhenchen a terminé ses études post-doctorales et décidé d'entrer à la SVFC, jugeant prometteur le développement des CRH.
Chang Zhenchen et son équipe.
Le patient déchiffrement des schémas techniques
En janvier 2007, M. Chang a conduit une équipe de six personnes dans l'usine de SESTO d'Alstom en Italie, où il devait recevoir deux mois de formation sur les systèmes de contrôle des trains. Leur mission était de faire connaissance avec la logique du système et les rapports entre interfaces du train et sous-systèmes. C'est là le centre névralgique des technologies de contrôle et de signalisation.
Une cruelle déception l'attendait : cette partie n'était pas comprise dans le plan de formation élaboré par Alstom pour ses partenaires chinois. Lisant et relisant les articles du contrat avec les Français, il finit par dénicher une clause stipulant qu'« après la formation, les stagiaires seront capables de modifier seuls les configurations du véhicule », sur laquelle il a pu baser son argumentaire et imposer ses vues à ses partenaires.
« Après maintes discussions sur le contenu du contrat, nous avons fini par obtenir les schémas logiques, un recueil de plus de 3 000 pages, illustrant l'intégralité des rapports logiques du réseau de contrôle d'un véhicule », explique M. Chang. Ces schémas allaient ouvrir à l'entreprise chinoise la mise au point d'une exploitation indépendante de ces systèmes. Pour la première fois M. Chang découvrait la partie la plus importante des techniques d'automotrice les plus avancées du monde. Mais son excitation fut de courte durée : lui et ses camarades ne comprenaient rien aux schémas rédigés en italien.
Comme ces schémas relevaient du secret commercial, il était hors de question de les confier à une société de traduction. C'est ainsi que les sept ingénieurs, qui ne connaissaient pas un mot d'italien, se sont retrouvés chacun armé d'un dictionnaire italien-chinois, à déchiffrer les schémas. Ce n'est qu'au bout de huit mois qu'ils sont finalement parvenus à débrouiller l'écheveau logique de la rame CRH5.
Le 18 avril 2007, l'automotrice CRH5 entrait en service sur la ligne Beijing-Harbin. Pour la sixième fois, le réseau ferré chinois accueillait un nouveau record de vitesse commerciale. Sur les axes les plus chargés, les trains circulent à des vitesses comprises entre 200 et 250 km/h et la Chine entrait dans l'ère du TGV. Depuis, les voies et les rames à grande vitesse se sont multipliées dans le pays. Chang Zhenchen, qui venait de rentrer d'Italie, fut chargé d'effectuer les essais des premiers CRH5. Du fait des particularités de conception d'Alstom qui ne tenaient pas compte de l'environnement opérationnel chinois, les rames nouvellement en service tombaient souvent en panne.
Souvent, le CRH5 partait de Harbin à 5h ou à 6h du matin mais n'arrivait à destination qu'à 23h. Ce n'était pas le moment de se reposer, l'équipe de M. Chang a dû se reconvertir dans la maintenance.
En huit mois d'analyses et d'essais, M. Chang et son équipe ont analysé les rapports logiques et découvert des erreurs de conception laissées par les Français, et formulé des propositions d'amélioration.
L'équipe a finalement mis cinq ans à peaufiner tous les réglages du réseau de contrôle du train qui se compose de milliers de logiciels, remplaçant un par un les logiciels étrangers. Conception, R&D, essais et remplacement, puis nouveaux essais, réglages statiques et réglages dynamiques...
L'atelier de fabrication de rames de la SVFC.
Chef de file mondial
Au printemps 2009, une autre ligne à grande vitesse accueillait le CRH5 entre Beijing et Taiyuan. Chang Zhenchen était toujours chargé des essais à bord des trains. Mais il dut être hospitalisé par deux fois pour cause d'épuisement.
C'était la période appelée « final stretch ». M. Chang et ses équipiers étaient déterminés à développer des systèmes de contrôle adaptés aux conditions géographiques différentes des nombreuses régions du pays.
Toujours au printemps 2009, la SVFC lançait le développement du CRH380CL, une rame capable de rouler à la vitesse de 380 km/h, un record mondial en vitesse commerciale. Aux yeux de M. Chang, ce projet représente un pas en avant vers un TGV 100 % chinois.
Fin 2010, la longueur des lignes de TGV atteignait 8 358 km, et près de 1 200 rames y circulaient par jour.
Alors que l'industrie des TGV progressait à marche forcée, un dramatique accident s'est produit le 23 juillet 2011 avec une collision de deux rames dans la province du Zhejiang qui a fait 40 morts et 172 blessés. Des reproches ont bien évidemment fusé de toutes parts.
« J'étais à Beijing où je m'occupais du service après-vente. L'accident m'a profondément choqué », se rappelle-t-il. Au début, tout le monde pensait que le problème venait du système de signalisation. M. Chang, concepteur en chef, s'est trouvé sur la sellette ; ses explications reprises par fragments ont fait l'objet d'attaques injustifiées. Mais finalement, les résultats de l'enquête ont montré que les causes de l'accident étaient principalement des erreurs humaines par des opérateurs locaux.
La SVFC a été blanchie de toute responsabilité, et pourtant l'entreprise a pris la décision de procéder à des vérifications complètes de ses systèmes de contrôle et élaboré des normes plus strictes encore.
Treize mois jour pour jour après l'accident, le 23 août 2012, le système de contrôle chinois a été enregistré par la Certification européenne à la sécurité internationale.
Désormais, les ingénieurs chinois travaillant à l'exploitation des CRH accordent une attention plus minutieuse que jamais à la sécurité et à la fiabilité des systèmes. Tous les systèmes conçus en Chine mettent un point d'honneur à viser la sécurité maximale en cas de panne. C'est-à-dire que quel que soit le type de panne, les systèmes doivent viser la sécurité des passagers », explique M. Chang.
Depuis 2012, la Chine s'est lancée dans une politique de conception locale de tous les systèmes principaux des TGV. À en croire M. Chang, les systèmes de contrôle des trains conçus en Chine présentent plusieurs particularités remarquables, comme des fonctions d'autodiagnostic complètes et des fonctions d'auto-contrôle. De plus, l'emploi et l'entretien sont facilités. Les clients peuvent changer de logiciel suivant leurs besoins, ce qui permet de réduire de beaucoup les coûts des équipements embarqués. Autre avantage, cela rend ces équipements de signalisation plus compétitifs sur les marchés internationaux.
À la fin de 2013, la longueur totale des lignes à grande vitesse en Chine était équivalente à celle de l'ensemble des autres pays cumulés, qui atteignait 11 605 km. En dix ans seulement, la Chine était donc partie de zéro pour atteindre la moitié du total mondial. Et les systèmes de contrôle et de signalisation, qui au début dépendaient entièrement des technologies étrangères, sont aujourd'hui entièrement indigènes.
Bien sûr, dans le contexte de la compétition technologique internationale acharnée, M. Chang et ses collègues ne peuvent pas se permettent de s'endormir sur leurs lauriers. Ils travaillent désormais au développement d'un système d'Ethernet industriel à large bande, qui fournira l'équivalent de 1 000 fois le débit actuel, qui permettra d'améliorer encore la transmission des signaux sur les TGV.
« Cette technique est encore en développement, même à l'étranger. J'espère que grâce aux efforts de notre équipe, nous deviendrons un chef de file international », conclut M. Chang.
*XU YING est journaliste de l'agence de presse Xinhua.
Source: french.china.org.cn |
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