Observations sur le défilé militaire chinois

Par : Lisa |  Mots clés : défilé militaire
French.china.org.cn | Mis à jour le 13-10-2015

Passage des hélicoptères au-dessus de la place Tian'anmen.

Pourquoi ce refus de Washington et Tokyo ?

Le fait que le Japon ait décliné l'invitation de Beijing montre que les frictions entre le gouvernement d'Abe et la Chine sont de nature stratégique et s'inscrivent dans la durée. Si, d'une part, un conflit ou une divergence de vues opposait la Chine et les États-Unis, le Japon n'hésiterait pas à se ranger du côté de l'Oncle Sam, comme il l'avait déjà fait à propos des questions sur la mer de Chine méridionale ou la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures (AIIB). D'autre part, si un conflit d'intérêt stratégique devait éclater entre nos deux pays, le Japon ne chercherait certainement pas à trouver un compromis. Nous ne devons plus nous bercer d'illusions : désormais, il n'est plus possible d'appliquer le principe consistant à mettre de côté les litiges territoriaux pour exploiter les ressources en commun. Pourtant, ce sont les intérêts fondamentaux de toute l'Asie qui sont en jeu ! En effet, l'amitié sino-japonaise est un préalable à la garantie de la paix sur le continent asiatique. Mais l'histoire dépasse parfois le cadre de la volonté humaine. Ainsi, les relations sino-japonaises dépendent dans une large mesure de l'état des relations sino-américaines. Si un différend apparaissait entre la Chine et les États-Unis, le Japon prendrait parti pour les États-Unis. Et il est fort possible qu'un tel problème surgisse à l'heure actuelle. Par conséquent, comment surmonter les défis que pose le Japon ? C'est une vieille question toujours d'actualité pour la Chine.

De même, en refusant de venir à Beijing, le président Obama a envoyé un signal clair. Il serait fantaisie d'affirmer que Washington a décliné l'invitation de la Chine par crainte d'offenser le Japon. Effectivement, le Japon est pour les États-Unis son troisième partenaire commercial et son deuxième (voire premier) créancier. De fait, à l'heure où les États-Unis opèrent leur « retour en Asie », le Japon représente leur meilleur allié dans la région. Toutefois, les raisons de l'absence américaine au défilé de Beijing sont à chercher au-delà de cette soi-disant volonté de ne pas froisser le Japon. Car n'oublions pas : les États-Unis ont actuellement 100 000 soldats stationnés au Japon. En réalité, ce sont eux qui guident la politique étrangère du Japon. Le livre américain intitulé Le Chrysanthème et le sabre a décrit les Japonais comme étant un peuple qui opprime les faibles et craint les forts. En conséquence, les États-Unis, pays le plus puissant au monde, n'ont pas peur de s'attirer les foudres du Japon. S'ils ne sont pas venus à Beijing, c'est uniquement parce qu'ils ne voulaient pas saluer les progrès de la Chine sur le plan militaire.

Tenir une parade est un moyen particulier de célébrer une victoire passée, puisque la cérémonie dévoile nécessairement le potentiel militaire du pays organisateur. Selon le quartier général de l'armée chinoise, 84 % des armes et équipements qui ont défilé étaient présentés pour la première fois au grand public. D'un point de vue objectif, cette démonstration de force a un effet dissuasif sur les éventuels adversaires. De nos jours, la Chine est peut-être le seul pays ayant la force suffisante pour défier l'hégémonie américaine (sans pour autant avoir l'intention de le faire, cela étant une autre histoire). Alors, pour quelle raison le président américain aurait-il pu vouloir siéger aux côtés du président chinois en pareil moment ?

Peut-être parce que ce sont les États-Unis qui se sont taillé la part du lion sur la croissance chinoise pendant la trentaine d'années de réforme et d'ouverture. Alors que la Chine, autrefois « usine du monde », est devenue la deuxième entité économique de la planète, les États-Unis, premier investisseur et actionnaire, sont devenus le principal bénéficiaire des profits générés par le progrès économique de la Chine. Prenons l'exemple des portables Apple : la Chine, « usine » qui les fabrique, ne se fait que 1,8 % de marge sur les ventes, tandis que les États-Unis empochent 58,5 % des bénéfices. Néanmoins, la Chine, maintenant deuxième puissance économique mondiale, dérange de plus en plus les États-Unis, notamment parce que Beijing maintient fermement sa souveraineté financière, phénomène que je vais décrire ci-après.

Et les pays européens alors ?

Ce n'est pas non plus un hasard si les pays européens n'ont pas envoyé de hauts représentants à Beijing.

Tout le monde peut manifestement voir l'alliance militaire tissée entre les États-Unis et le Japon. En revanche, leurs liens étroits dans le secteur des finances échappent souvent à l'œil des médias. Pourtant, cette coalition financière est à la base du front uni établi par les deux pays. En comparaison, les relations entre l'UE et les États-Unis ne font pas le poids. Après tout, l'UE a émis sa propre monnaie, l'euro.

L'Europe s'inquiète, d'une part, de voir l'Organisation de coopération de Shang-hai, avec la Chine et la Russie en tête de file, évoluer en un rival de l'OTAN. Mais ce qu'elle craignait le plus en répondant positivement à l'invitation de la Chine, c'est encore d'offenser les États-Unis et le Japon, notamment parce qu'un défilé militaire est une cérémonie hautement symbolique. Ainsi, sous divers prétextes tels que son opposition à l'annexion de la Crimée par la Russie, son soutien aux sanctions économiques imposées à la Russie ou encore la présence de M. Poutine à Beijing, les hauts dirigeants européens ont décliné l'invitation. À vrai dire, le comportement de l'Europe s'est révélé conforme à son état actuel, à sa position et à sa puissance : par ses actes, l'UE a démontré qu'elle est toujours un « géant économique » mais un « nain politique ». Cinq pays européens ont chacun mandaté un émissaire spécial : la France, l'Italie et la Hongrie ont envoyé leur ministre des Affaires étrangères ; les Pays-Bas ont dépêché leur ministre d'État ; le Royaume-Uni a envoyé son ancien ministre de la Justice. L'Allemagne, elle, a été représentée par son ambassadeur en Chine. Une sorte d'« option sans option » révélant l'embarras de l'Europe qui manque encore d'une vision stratégique globale à long terme. D'un côté, elle veut maintenir ses relations avec la Chine, mais de l'autre, elle ne veut pas que ces relations portent atteinte d'une certaine façon aux bons rapports qu'elle entretient avec les États-Unis et le Japon. Par conséquent, il me semble que les envoyés spéciaux des pays européens avaient pour mission principale d'expliquer à Beijing pourquoi leur chef d'État avait décidé de ne pas venir.

En fait, les pays européens ont déjà fait leur choix entre la Chine et les États-Unis. Bien qu'ils n'aient pas envoyé leur chef d'État à Beijing le 3 septembre, ils ont manifesté leur soutien actif à l'AIIB initiée par la Chine. Ces deux prises de position, apparemment contradictoires, sont conformes à la logique et aux intérêts de l'Europe. Il faut savoir que sur le plan politique, et plus particulièrement militaire, l'UE est fortement contenue par les États-Unis. À ce jour, elle n'ose pas lever son embargo sur les ventes d'armes à la Chine appliqué depuis un quart de siècle, en raison de l'opposition de Washington sur cette question. Toutefois, de nombreux pays européens ont adhéré à l'AIIB, en dépit de l'avis contraire des États-Unis et du Japon, car ce sujet engageait les intérêts primordiaux de l'Europe.

Dans le monde d'aujourd'hui, les alliances financières prévalent sur les alliances militaires. À l'ère nucléaire, les puissances disposant de l'arme de destruction massive ne craignent pas d'être militairement marginalisée par la communauté internationale. C'est la raison pour laquelle la Russie a envoyé son armée en Crimée, en dépit des vives protestations formulées par tout l'Occident, y compris l'OTAN. En contraste, sur le plan financier, s'observe une interdépendance croissante entre les pays. L'Europe, avec l'euro, et la Chine, avec le yuan, affichent de plus en plus d'intérêts communs en termes financiers. Et l'attachement de l'Europe pour l'AIIB est étroitement lié à la proposition chinoise de construire « une Ceinture et une Route ». Comme l'a dit l'ancien premier ministre français Dominique de Villepin, « c'est actuellement, dans notre monde, l'unique plan économique viable à même d'apporter de gros profits à l'Europe ». Il est évident pour l'Europe que renforcer sa coopération avec la Chine est en adéquation avec ses intérêts à long terme, à condition de ne pas se mettre en froid avec les États-Unis et le Japon.

Les observateurs ont remarqué la forte volatilité des bourses à travers le monde, notamment celle de Shanghai, à la veille du défilé militaire à Beijing. Le taux de change de la monnaie chinoise a aussi connu des fluctuations. Au premier regard, il n'y a pas de lien entre ces deux phénomènes, mais cette « coïncidence » révèle pourtant le rôle de plus en plus majeur que joue la finance dans notre conjoncture mondiale. En un certain sens, la finance supplante les considérations telles que territoire, ressources et marchés pour devenir, dans les relations internationales, un « champ de bataille » aussi crucial que le potentiel militaire d'un pays.

Revenons à la fin de juin 2015, moment où l'AIIB, sous les auspices de la Chine, a été officiellement fondée à Beijing. Cet événement est lourd de sens, puisque presque tous les grands pays occidentaux, excepté les États-Unis, le Japon et le Canada, sont devenus membres de cette nouvelle banque.

L'importance croissante de la souveraineté financière

Dans le monde d'aujourd'hui, pour pouvoir proclamer sa souveraineté financière, un État doit être totalement indépendant vis-à-vis des États-Unis. Selon cette définition, les pays membres de l'Organisation de coopération de Shang-hai, et en particulier la Chine et la Russie qui en forment le noyau, sont les rares à disposer de cette souveraineté financière. L'Europe, notamment les pays de la zone euro, malgré leur monnaie propre, sont tout au plus semi-indépendants.

Aux XVIIIe et XIXe siècles, à l'époque coloniale, en vue d'étendre son territoire, un empire envahissait, dominait et pillait les ressources d'autres terres. Après la Seconde Guerre mondiale, les colonies ont successivement acquis leur indépendance, de sorte que le colonialisme a été banni. Les grandes puissances ne se disputaient plus que les ressources et les marchés. Mais bientôt, guerre et instabilité sont venues déchirer les pays et régions riches en ressources, et notamment en gisements pétroliers, comme l'Irak, la Libye, le Soudan, l'Égypte et la Syrie.

De nos jours, la finance constitue un puissant levier stratégique pour les grands pays du globe. Si l'on dit qu'un pays organise un défilé militaire à dessein de démontrer à tous sa détermination à sauvegarder sa sécurité nationale, l'importance accordée à la sécurité financière est devenue un « rideau de fer invisible » vital pour tous les pays. Le monde actuel est ainsi divisé en deux systèmes diamétralement opposés : d'un côté, les États dominés par les États-Unis et les conglomérats financiers internationaux ; de l'autre, les pays conservant leur indépendance financière.

Il y a un point que beaucoup de chercheurs chinois n'ont pas saisi : les États-Unis ne recourent plus à la guerre pour régner sur un État, mais pour avoir la mainmise sur le système financier de ce dernier. Aux XVIIIe et XIXe siècles, on contrôlait un pays en le colonisant ; au XXe siècle, en s'impliquant dans ses sources d'énergie, ses marchés et ses investissements ; au XXIe siècle, c'est à travers la finance, principalement. Si un pays s'aligne sur le reste du monde et ouvre son mécanisme financier aux autres pays, dès lors, les États-Unis peuvent facilement dompter ce pays. Preuves en sont la crise de la livre sterling et la crise financière asiatique qui avaient éclaté à la fin du siècle dernier. Et si les problèmes se multiplient ces derniers temps entre la Chine et les États-Unis, c'est probablement parce que la Chine maintient sans cesse sa souveraineté financière.

Nous nous sommes longtemps demandé pourquoi les États-Unis voulaient déclencher une « révolution de couleur » chez leur allié l'Égypte, ainsi qu'en Libye pour y renverser le dictateur qu'ils avaient auparavant toujours soutenu. Les raisons sont assez simples. Dirigée par le dictateur Mouammar Kadhafi, la Libye a toujours administré elle-même ses finances et ses ressources pétrolières. Sur le plan politique, Kadhafi ne représentait pas une menace pour le monde occidental mené par les États-Unis. Au contraire, en tous points, il défendait les intérêts de l'Occident et n'avait que peu d'égard envers la Chine. (Par exemple, sous les années Kadhafi, la Libye est l'unique pays africain à n'avoir envoyé qu'un vice-ministre des Affaires étrangères participer au Sommet de Beijing du Forum sur la coopération sino-africaine. Kadhafi est aussi l'unique dirigeant d'un pays ayant noué des relations diplomatiques officielles avec la Chine à avoir reçu ouvertement Chen Shui-bian, partisan de l'indépendance de Taiwan.) Mais les États-Unis ne tolèrent pas que quelqu'un gère une partie du secteur financier et énergétique à leur place. Idem en Égypte. À partir du moment où un dictateur contrôle à lui seul les finances et les ressources, il est impitoyablement renversé, soi-disant au nom de la démocratie. Pour ne pas avoir d'ennui avec les États-Unis, il suffit de renoncer à sa souveraineté financière. Alors, même un dictateur pire que le précédent peut bénéficier de la protection américaine.

Un pays engagé dans une guerre ne peut vaincre l'ennemi que si sa force militaire concorde avec sa force financière. Avant la première guerre sino-japonaise (1894-1895), l'opinion publique mondiale (dictée par les puissances occidentales, bien entendu) était d'avis que la Chine l'emporterait, car son potentiel économique ainsi que la capacité de ses flottes de combat étaient supérieurs à ceux du Japon. Toutefois, l'empire des Qing a perdu la guerre, précisément parce qu'il manquait de financements. L'impératrice douairière Cixi avait refusé catégoriquement de remettre à la marine chinoise la part du budget militaire qu'elle avait détournée pour bâtir le Palais d'été. Résultat : les armes et autres équipements manquaient pour remporter le duel. L'argent joue donc un rôle essentiel dans la guerre, ce qu'avait très bien compris le Japon. Durant la guerre russo-japonaise, le Japon a obtenu 200 millions de dollars de la part de Jacob Schiff, un banquier américain issu d'une famille juive qui haïssait le tsar antisémite Nicolas II. La Russie, de son côté, n'a pas eu cette chance de bénéficier d'une aide monétaire.

Par conséquent, en analysant en parallèle l'AIIB et le défilé militaire, deux épisodes qui ne semblent en rien reliés, l'on discerne la véritable tendance que suit le monde actuel, à savoir une scission suivant le principe de la souveraineté financière. La Chine a peut-être perdu les alliances militaires qu'elle avait hier, mais elle a marqué un point important dans la construction d'un front uni financier.

Seulement, à ce jour, les pays indépendants sur le plan financier se comptent sur les doigts d'une main. L'Europe est à demi indépendante, tandis que le Japon et les nombreux pays totalement absents au défilé militaire de Beijing sont généralement sous l'emprise des États-Unis. À partir de là, ce défilé militaire peut être considéré comme une pierre de touche : il permet à la Chine de distinguer les pays qui seront ses amis et ceux qui risquent d'être, potentiellement, ses adversaires, voire ses ennemis…

*ZHENG RUOLIN est correspondant à Paris pour le quotidien Wen Hui Bao.

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