Observations sur le défilé militaire chinois

Par : Lisa |  Mots clés : défilé militaire
French.china.org.cn | Mis à jour le 13-10-2015

Défilé des véhicules porte-missiles sol-air.

Défilé des véhicules porte-missiles sol-air.

Qu'impliquait le défilé militaire qui a eu lieu le 3 septembre à Beijing et quelles sont les observations que l'on peut en tirer sur le plan géopolitique ? Analyse.

ZHENG RUOLIN*

La Chine est un pays particulièrement attaché à ses coutumes. Par tradition, elle organise, tous les cinq ou dix ans, une parade militaire en célébration de la Fête nationale le 1er octobre. Mais cette année, c'est le 70e anniversaire de la victoire de la Guerre de résistance contre l'agression japonaise que le gouvernement chinois a décidé de célébrer solennellement, en tenant un grand défilé militaire auquel furent invités des dirigeants et troupes étrangers. C'est là un événement rompant avec l'ordinaire, qui reflète amplement les préoccupations et les inquiétudes de la Chine vis-à-vis du devenir de la situation internationale ainsi que de l'évolution de ses relations avec le Japon et les États-Unis. Il montre aussi que l'ordre mondial d'aujourd'hui semble s'orienter vers une nouvelle bipolarité. Durant les deux décennies qui ont suivi la guerre froide, ni le « monde unipolaire » dominé par les États-Unis, redouté par le plus grand nombre, ni le « monde multipolaire », prédit et espéré par les stratèges de diverses nationalités, n'ont émergé. En revanche, une tendance à la « quasi-guerre froide » se fait de plus en plus sentir, la planète se divisant cette fois-ci sur le plan financier.

Aujourd'hui, une fois de plus, l'histoire est à la croisée des chemins. Quelle route empruntera notre monde ? C'est un problème qui affectera notre sort à tous comme celui des générations futures. Par conséquent, il nous faut considérer avec attention ce moment historique.

Pourquoi le défilé militaire ?

Les raisons qui ont poussé la Chine à prendre cette décision sont très claires. Le gouvernement de Shinzo Abe suit manifestement la tendance du révisionnisme et du négationnisme, c'est-à-dire qu'il nie ou passe sous silence les atrocités de la guerre déclenchée par le Japon et les crimes commis par les militaires japonais à cette époque. La politicienne japonaise Junko Mihara est allée jusqu'à prôner ouvertement, le 16 mars dernier, le concept Hakkō ichiu (« tout le monde sous un même toit »), slogan utilisé par l'Empire du Japon sous la Seconde Guerre mondiale pour glorifier la « guerre de la Grande Asie orientale ». Ces termes connotent encore la guerre d'agression que le Japon a menée et son ambition passée de dominer le monde. Ils sont d'ailleurs interdits dans les documents officiels. Difficile de nos jours d'imaginer un parlementaire allemand osant prétendre que les peuples germaniques forment effectivement la « meilleure nation du monde ». Pourtant, c'est ce genre de phénomène qui a lieu au Japon. Le premier ministre japonais Abe a reconnu publiquement qu'il n'avait pas lu la Déclaration de Potsdam, le document qui précise que le Japon est à l'origine de la guerre et qui exhorte ce dernier à se rendre officiellement. Shinzo Abe a déclaré le 14 août dernier, veille de la date anniversaire de la reddition du Japon : « Nous ne devons pas laisser nos enfants, petits-enfants et les générations suivantes, qui n'ont rien à voir avec la guerre, être prédestinés à s'excuser. » Ses propos, qui visent à rejeter la responsabilité du Japon face à la guerre, sont révélateurs des vraies intentions du gouvernement japonais. Aussi, en dépit de l'opposition publique, le gouvernement d'Abe a fait adopter un projet de loi sur la sécurité qui octroie au pays le droit d'envoyer des troupes à l'étranger. Contraire aux dispositions de la Constitution pacifiste du Japon, l'entrée en vigueur de ce texte constitue un premier pas sur la voie du militarisme. Cela prouve que le spectre du Hakkō ichiu ne hante plus seulement le milieu idéologique, mais guide également l'exercice du pouvoir. Victime dans le passé de la barbarie des militaristes japonais, naturellement, la Chine se tient aujourd'hui sur ses gardes.

Alors que le militarisme fait son grand retour au Japon, les États-Unis, le pays hégémonique par excellence, s'inquiètent de la montée historique de la Chine. D'où la collaboration nippo-américaine qui naît pour contenir les actions de la Chine. Dans ce contexte, la Chine doit faire très attention aux messages qu'elle délivre, pour éviter tout malentendu avec l'étranger. On peut donc dire, en quelque sorte, que la tenue de ce grand défilé militaire était la seule option possible pour avertir toute nation belliqueuse potentielle qu'elle perdrait face à la Chine.

Il faut souligner que la Guerre de résistance contre l'agression japonaise fut le premier conflit remporté par le peuple chinois face à des forces étrangères depuis la Guerre de l'Opium de 1840. Par conséquent, cette parade militaire, organisée à ce moment historique, revêtait deux fonctions : unir plus étroitement le peuple et rehausser son moral ; rappeler à la communauté internationale le rôle considérable qu'a joué le théâtre de batailles d'Extrême-Orient dans l'issue victorieuse de la Seconde Guerre mondiale. Dans ces conditions, dire que ce défilé prenait pour cible un pays en particulier serait tout bonnement mesquin. Au contraire, l'objectif était de prévenir tout agresseur potentiel que le peuple chinois se tient prêt, si nécessaire, à défendre résolument son pays.

Depuis l'avènement de l'époque moderne, le Japon tente de barrer la route à la Chine. De la première à la seconde guerre sino-japonaise, le Japon a enrayé manu militari le processus d'industrialisation enclenché en Chine. Actuellement, à l'heure où la troisième industrialisation touche à sa fin en Chine, l'orientation stratégique du Japon envers la Chine constitue un problème qu'il ne faut pas prendre à la légère.

Bien que le Japon ait ratifié, après la guerre, une Constitution pacifiste (l'État renonçant à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation), il conserve son modèle impérial, symbole de la guerre. Cette situation n'est pas sans influence sur le Japon d'aujourd'hui. Presque tout l'arsenal de guerre du Japon reste intact. Par rapport à l'Allemagne, où le nazisme a été éradiqué, le Japon garde pour l'essentiel son ancienne organisation sociale, y compris ses chaînes de production d'armement. D'ailleurs, Nissan, Mitsubishi et d'autres entreprises, qui avaient soutenu la guerre en fournissant du matériel militaire, opèrent toujours sur les marchés aujourd'hui.

Le procès de Tokyo n'est pas comparable à celui de Nuremberg, mené de manière beaucoup plus approfondie. La grande majorité des crimes commis par les militaires japonais ne furent pas jugés. La fameuse opération « Golden Lily » fut à peine mise en cause. Elle avait pour but, grosso modo, de piller les richesses de la Chine et des pays d'Asie du Sud-Est pour que celles-ci soient réinvesties en faveur de l'expansion militaire du Japon. Selon le livre Gold Warriors : America's Secret Recovery of Yamashita's Gold, co-écrit par Sterling et Peggy Seagrave puis publié en 2005 après 18 années d'enquêtes, le Japon pilla l'équivalent de 100 milliards de dollars. Ce vol est resté impuni après la guerre (une partie du butin a été récupérée par la CIA et a servi de source de financement pour la guerre froide). Ainsi le Japon en a-t-il profité de son côté pour réécrire l'histoire à sa guise et nier ses crimes de guerre perpétrés pendant la Seconde Guerre mondiale.

Plus triste encore : le Hakkō ichiu, concept qui prônait la supériorité de la nation japonaise et l'expansionnisme militaire de l'Empire, n'a pas été totalement démantelé comme le nazisme.

Tout cela est à mettre en lien avec l'attitude des États-Unis qui défendent le Japon, potentiel allié, depuis la guerre froide. Désormais, nous devons sommer les autorités japonaises de reconsidérer cette période de leur histoire, de procéder à un examen de conscience plus approfondi et de présenter des excuses sincères. C'est une condition préalable à la paix future en Asie.

Avouons que le Japon est doué pour se présenter sous un jour favorable. En soulignant que sa Constitution pacifiste a été élaborée après la guerre par les forces d'occupation, et que ses villes Hiroshima et Nagasaki ont été rasées par la bombe atomique, le Japon a réussi à faire croire à l'opinion publique, en Europe et ailleurs, qu'il était une victime plutôt qu'un coupable dans la guerre. Résultat : nombre de peuples dans le monde se positionnent en faveur du Japon. La Chine doit prêter une grande vigilance à ce phénomène pour s'y opposer vivement.

Le défilé militaire à l'occasion de la Journée de la victoire de la Guerre de résistance contre l'agression japonaise était également un moyen de faire connaître aux peuples du monde entier, notamment aux Occidentaux, les réalités suivantes :

Premièrement, depuis 70 ans que la guerre est finie, les autorités japonaises n'ont jamais formulé de vive voix des excuses sincères à la Chine, ni admis explicitement que le Japon est celui qui avait déclenché le conflit. De même, elles s'obstinent à nier les abominables exactions commises par leur armée en Chine, notamment le massacre de Nanjing, les attaques bactériologiques de l'Unité 731 et l'asservissement de « femmes de réconfort » pour les soldats japonais. Peu conscients de la violence extrême de cette guerre, des membres du gouvernement et de la Diète japonaise s'entêtent à effectuer des visites au sanctuaire Yasukuni, lequel rend hommage aux Japonais tombés dans la guerre, dont plusieurs criminels de la Seconde Guerre mondiale condamnés à mort. Deuxièmement, avec le soutien tacite des États-Unis, le Japon continue de revendiquer des terres à tous ses pays voisins : les îles Kouriles à la Russie, les îles Dokdo à la Corée du Sud et les îles Diaoyu à la Chine. Les îles Ryu Kyu sont également source de problèmes. À titre de comparaison, bien que l'Allemagne eût perdu 120 000 km² de territoire après la Seconde Guerre mondiale, elle n'est pas impliquée aujourd'hui dans des contentieux territoriaux avec les pays limitrophes. Dans ce contexte-là, le gouvernement au pouvoir cherche encore à modifier la Constitution pacifiste japonaise, ce qui pousse les pays voisins à se poser sérieusement cette question : le Japon a-t-il vraiment renoncé à son plan d'expansion militaire ?

Après avoir pris la décision d'organiser une parade militaire pour le 70e anniversaire de la fin de la guerre, la Chine a adressé des invitations à 51 pays, dont le Japon, preuve que cet événement était avant tout un sincère appel au maintien de la paix. Hormis le Japon et les États-Unis, les 49 autres États ont répondu positivement. Le désintérêt du Japon et des États-Unis ainsi que l'absence des chefs des États européens aux commémorations mettent en évidence le fait que le monde actuel se scinde de plus en plus nettement en deux camps : d'un côté, la Chine, la Russie et le reste des BRICS ainsi que des pays en développement en Asie, en Afrique et en Amérique latine ; de l'autre, les États-Unis, le Japon, les membres de l'UE, l'Australie et autres pays développés. L'interrogation suivante vient donc à l'esprit : cette situation est-elle la phase embryonnaire d'une nouvelle guerre froide ?

Tout amateur de bridge sait qu'il a pris une bonne carte lorsque son adversaire se sent mal à l'aise lors du pli. Dans ce « jeu » des 51 invitations, celle du Japon était justement une très bonne carte. Cela rappelle l'invitation que le président Chirac avait fait parvenir en 2004 au chancelier allemand Gerhard Schröder à l'occasion du 60e anniversaire du débarquement en Normandie. En cette année importante, la France et l'Allemagne avaient tourné une page de leur histoire. Il va sans dire qu'à l'époque, l'Allemagne avait déjà reconnu l'ensemble des crimes commis par les Nazis pendant la guerre et avait présenté ses profondes excuses à tous les pays qu'elle avait envahis. Si le Japon avait répondu présent à l'invitation de la Chine, il aurait dû faire le point sur son attitude pendant la guerre et demander pardon expressément aux pays victimes. Ainsi, la Chine tendait au Japon un « rameau d'olivier ». Échec et mat pour le Japon...

Si les politiciens japonais avaient fait preuve d'assez de sagesse et d'audace, ils auraient sauté sur cette occasion historique. Mais à vrai dire, le Japon n'était pas en mesure d'accepter ce « rameau d'olivier ». D'une part, pour l'heure, on ne peut pas dire de ce pays qu'il soit véritablement indépendant. L'influence qu'exercent les États-Unis sur la politique étrangère du Japon se mesure à tous les étages et joue même un rôle déterminant dans les affaires politiques intérieures nippones. N'avez-vous pas remarqué que presque tous les hommes politiques japonais plaidant pour l'amitié nippo-chinoise ont été ostracisés ? La politique étrangère du Japon, en particulier sur les affaires qui ont trait à la Chine, obéit aux vues des États-Unis : c'est un fait qui saute aux yeux ! Si le Japon avait, en quelque sorte, repris confiance en lui dans les années 1970-1980, époque de plein essor économique, les Accords du Plaza conclus avec les États-Unis l'avaient cependant rejeté sans tarder dans une stagnation économique prolongée, de sorte qu'aujourd'hui, le Japon n'a plus le courage, ni même la volonté, de dire « non » à Washington. Depuis la fin du siècle dernier, le Japon est une « Angleterre asiatique » au service des États-Unis.

D'autre part, comme signalé précédemment, le Japon n'a pas procédé à un examen de conscience approfondi sur son passé. Preuve en est lorsque la société et les milieux politiques japonais contestent et réécrivent l'histoire du procès de Tokyo.

Suivez China.org.cn sur Twitter et Facebook pour rejoindre la conversation.
1   2    


Les dernières réactions            Nombre total de réactions: 0
Sans commentaire.
Voir les commentaires
Votre commentaire
Pseudonyme   Anonyme
Retournez en haut de la page