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Interview: La vitesse du changement en Chine a été foudroyante

Depuis la politique d'ouverture, la transformation de la Chine a été un phénomène unique dans l'histoire de l'humanité par sa rapidité et par la large population, a notamment déclaré, dans une récente interview accordée à Xinhua, M. Pierre Calame, directeur de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l'Homme (FPH) et coordinateur général du Forum China-Europa, un dialogue des sociétés européenne et chinoise.

Pour lui, le monde actuel est entré dans une période de crise grave, et dans ce contexte, la qualité du dialogue entre Europe et Chine est devenue décisive.

Voici le texte intégral de cette interview :

XINHUA : Depuis votre première visite en Chine il y a 16 ans, vous avez fait au moins 35 voyages en Chine. On pourrait dire que vous êtes un fan de la Chine, pourtant vous dites souvent que vous n'aimez la Chine, Pourquoi?

Pierre Calame : A voir le nombre de fois où, depuis seize ans, je suis venu en Chine, on pourrait imaginer que j'ai une véritable passion pour ce pays et cette civilisation. Souvent, dans des forums internet, des internautes me demandent même avec une certaine suspicion : "pourquoi aimez-vous autant la Chine ? " C'est donc un peu par provocation que je leur réponds : "non, je n'aime pas la Chine ". Ou, plus exactement, je l'aime comme j'aime les différentes civilisations, celle d'Europe, celle d'Afrique, celle d'Amérique, celle de l'Inde qui sont autant d'expressions du génie humain et de sa capacité d'adaptation à une diversité de contextes.

Au début des années 90, la Chine n'était pas la puissance économique qu'elle est devenue aujourd'hui. Mais peu importe la puissance économique : pouvait-on imaginer que le monde de demain se construirait sans la Chine ? sans l'apport de la civilisation chinoise ? Pour la même raison, peut-on sérieusement imaginer que le monde de demain se construira sans l'Inde et la civilisation indienne ? Évidemment pas. C'est donc la raison et non la passion qui m'ont convaincu qu'il fallait à tout prix apprendre à travailler avec cette immense pays et cette grande civilisation qu'est la Chine, à comprendre son évolution, sa sensibilité, son mode de pensée, à découvrir les différents secteurs de la société chinoise.

Ainsi ma posture à l'égard de la Chine vient de mon sentiment d'être citoyen du monde et de l'engagement qui en découle : si nous voulons léguer un monde vivable à nos enfants, il faut apprendre à construire la paix dans un monde de diversité et à coopérer avec toutes les civilisations du monde dans une relation de respect et de franchise. Selon moi c'est la seule posture juste à l'égard de la Chine.

XINHUA : Vous avez réalisez il y a plus de vingte ans que l''on ne peut pas parler de l'avenir de la planète sans la Chine. Raison pour laquelle vous avez lancé en 2005 le forum China-Europa. Pourriez vous citer quelques exemples anecdotiques que vous connaissez lors de ces forums afin de nous montrer la nécessité de ces dialogues? :

Pierre Calame : Au fil des années, je suis devenu de plus en plus attentif au risque que représentait l'incompréhension de la société chinoise à l'égard de la société européenne et de la société européenne à l'égard de la société chinoise. J'ai pu constater le fossé entre les relations diplomatiques ou commerciales, très intenses et généralement bonnes, si l'on excepte les tensions qui ont marqué cette année 2008, et les malentendus profonds entre les deux sociétés.

C'est la raison pour laquelle, au départ, nous avons créé le forum China Europa. C'était en 2005. Plusieurs partenaires chinois m'avaient signalé que les intellectuels chinois portaient une attention croissante au processus de la construction européenne.

Beaucoup regardent avec curiosité la manière dont nous construisons le droit européen à partir des différentes traditions nationales, observent l'effort que nous faisons pour équilibrer efficacité économique et justice sociale, sont intrigués par ce vaste ensemble économique qui se construit petit à petit sans disposer pour autant d'une armée et d'un véritable pouvoir politique.

Pour certains, qui ne jurent que par la puissance américaine, cette Europe est l'expression d'un Occident en déclin. Pour d'autres, c'est là que s'invente le modèle d'une gestion mondiale pacifique et d'un développement durable. Face à ces questions, je n'ai pas cherché à approfondir ce qu'il y avait derrière cette curiosité à l'égard de l'Europe. C'était pour moi un devoir d'amitié que de simplement y répondre en fournissant à la société chinoise les meilleures informations possibles sur le processus historique de construction de l'Europe et sur les leçons que nous en tirions.

Mais il s'agit de leçons pour nous-mêmes, que nous partageons avec la Chine, ce ne sont pas des leçons que nous donnons à la Chine. Selon moi, chaque société a besoin de l'expérience des autres mais il lui faut trouver elle-même son propre chemin. Et c'est grâce au succès de ce premier forum que nous en sommes venus à une bien plus grande ambition : construire un dialogue global entre les deux sociétés.

Les secondes rencontres biennales du forum, en 2007, ont été la première expérience en vraie grandeur d'un tel dialogue. Là aussi, c'est le sentiment de nécessité qui m'a poussé et non un quelconque sentiment amoureux à l'égard de la Chine. J'ai été convaincu que l'incompréhension entre les deux sociétés donnerait naissance à des tentions qui se répercuteraient sur le plan diplomatique et sur le plan commercial.

Depuis le report du 11e sommet EU China, notre forum est reconnu comme absolument indispensable aussi bien en Europe qu'en Chine. Il faut se rendre compte en effet ce que représentent des tensions ou des brouilles diplomatique au moment même où la crise économique et financière devrait nous pousser à coopérer étroitement.

XINHUA : Cette année marque le 30ème anninversaire de la politique d'ouverture et de réforme de la Chine. Personnellement, est-ce que vous avez senti les changements lors de vos différentes visistes en Chine. Quelle est votre appréciation pour cette politique?

Pierre Calame : La vitesse du changement en Chine a été foudroyante. Depuis la politique d'ouverture, la transformation de la Chine a été, comme chacun le sait, un phénomène unique dans l'histoire de l'humanité par sa rapidité et par la large population qui était ainsi entraînée dans des changements de fond en comble. Pour moi qui suis venu régulièrement en Chine depuis le début des années 90, je trouve d'une année à l'autre la Chine profondément changée. J'ai connu Shenzhen quand c'était une zone franche nouvellement créée, je retrouve une métropole de dix millions d'habitants disposant d'un métro. C'est presque hallucinant.

Selon les chiffres mêmes de la Banque Mondiale, les deux tiers de la réduction de la pauvreté dans le monde entier sont dûs au développement de la Chine à elle toute seule.

A l'approche des Jeux Olympiques, on a vu les plantations fleurir aux environs de Pékin à une échelle impensable ailleurs qu'en Chine. Comment ne pas être impressionné par l'ampleur du changement et, pour moi dont le métier d'origine était l'organisation des villes et la planification urbaine, comment ne pas être impressionné par les formidables capacités d'organisation et de coordination que représente l'organisation, en si peu de temps, de villes gigantesques.

Je suis frappé par la lucidité des dirigeants chinois. Ils ne se masquent pas les très graves problèmes sur lesquels débouche le rapide développement chinois : la corruption massive, l'absorption des ressources publiques par la réalisation de grandes infrastructures à la rentabilité contestable, le fossé entre les riches et les pauvres, la destruction du tissu urbain ancien, les atteintes parfois irréparables et graves à l'environnement, à la qualité des eaux, des sols, de la biodiversité, les risques que fait courir à la santé et à l'environnement l'introduction massive des plantes génétiquement modifiées.

Je sais que toutes ces questions sont posées et débattues au plus haut niveau en Chine. Le problème n'est donc pas celui de la prise de conscience. Aucun pays sans doute n'aurait été capable de se développer pendant trente ans au rythme de la Chine et tous, s'ils en avaient été capables, auraient été confrontés aux immenses contradictions qui résultent d'un développement aussi rapide. La société chinoise et ses gouvernants auront-ils la même capacité à surmonter ces contradictions qu'ils ont montrée pour amener en trente ans la Chine d'un pays sous-développé à la première puissance de la planète ? c'est la grande question des prochaines décennies.

XINHUA : Comment voyez vous le futur rôle de la Chine sur la scène internationale en générale et l'avenir des relations sinoeuropéennes en particulier.

Pierre Calame : La société chinoise représente près du quart de l'humanité. La Chine représentait sans doute 30 % de l'ensemble de la production mondiale avant le 18e siècle. Une série de crises et de stagnations ont fait tomber cette proportion à 1 % au début du 20e siècle. L'extraordinaire développement connu depuis 1978 l'a ramenée à 6%, loin encore de la part que représente sa population.

La Chine est totalement impliquée dans la mondialisation, dans le système global d'échange. Elle est largement dépendante de l'extérieur pour son approvisionnement en matières premières et pour l'écoulement de ses produits. C'est donc un acteur mondial de première importance, bientôt le plus important du monde. Elle sait, je crois, qu'elle doit assumer les responsabilités qui sont les siennes dans une gestion pacifique de la planète.

Nous sommes entrés dans une période de crise grave. La crise financière est devenue maintenant une crise économique. Dans cette situation, deux scénarios contrastés sont possibles : ou bien, découvrant leur interdépendance, les grandes sociétés de la planète ont l'intelligence de coopérer ensemble pour créer un nouvel ordre économique et financier, monétaire et énergétique mondial. La crise alors aura permis à l'humanité de faire un pas considérable en avant. Mais l'autre scénario est malheureusement plus vraisemblable : chacun va essayer de s'en sortir tout seul.

Dans ce contexte, la qualité du dialogue entre Europe et Chine est devenue décisive. Si l'Europe et la Chine, conjointement, prennent l'initiative d'un dialogue entre les grandes régions du monde, dialogue que ne reflète pas l'actuel G20, si elles apprennent ensemble à dépasser la vision des souverainetés et des intérêts nationaux pour construire dans l'intérêt commun une réforme profonde du système, introduisant des régulations mondiales à la hauteur des interdépendances mondiales, elles auront joué un rôle historique décisif. Si notre Forum peut y contribuer, aussi modestement soit-il, il aura pleinement rempli son rôle.

Agence de presse Xinhua     2008/12/22

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