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La localité de Penja, située à
quelque 70 km de Douala, la métropole économique camerounaise, a
acquis une nouvelle réputation comme terroir d'un grand cru de
poivre. Sans attendre l'aboutissement du processus d'indication
géographique en cours, producteurs et consommateurs ont consacré le
label : "le poivre de Penja", adoubé par le ministère de
l'Agriculture et du Développement rural et l'Organisation africaine
de la propriété intellectuelle (OAPI).
Sur place, c'est un petit cercle
évalué à 280 producteurs indépendants dont une pognée de grands
qui, à côté de la Société des plantations de Haut Penja (PHP, à
capitaux français), émerge peu à peu de l'anonymat pour se muer
doucement en une caste de seigneurs de la terre. Pour eux, plus que
tout autre produit agricole en ce moment au Cameroun, du cacao au
café, en passant par le palmier à huile, l'hévéa ou encore le
coton, "le poivre fait vivre son homme".
D'après Salomon Kengni,
vice-président du Groupement des producteurs, la culture de ce
poivre s'étend sur un rayon de 60 km, de Mombo à Tombel, dans le
département du Moungo dans la région du Littoral dont Douala est le
chef-lieu. C'est une région de climat équatorial et de terres
volcaniques, donc un sol particulièrement fertile, riche et
équilibré, qui offre au poivre une saveur et un arôme particuliers,
puis un caractère boisé et piquant.
"Le Cameroun a la meilleure qualité
du poivre du monde, non pas parce que nous en sommes les plus
grands spécialistes, mais simplement parce que nous avons la chance
d'avoir de très bons sols et un bon climat", explique Justin Fouda
Ayissi, expert de la filière employé à PHP.
Introduite au Cameroun à l'époque
coloniale, la première exportation étant située en 1958, à
l'initiative du Français Antoine Decré, la culture du poivre
s'étend aussi vers d'autres régions telles que Sangmélima dans le
Sud du pays, ajoute-il.
IMPACT COMMERCIAL GRANDISSANT
Le bénéfice de cette culture est
d'autant attractif qu'au fil du temps les prix ne cessent
d'augmenter, du fait d'une demande en forte croissance. "Ce que le
Cameroun produit ne représente rien par rapport à la demande. La
demande est largement supérieure à l'offre", a souligné Fouda
Ayissi.
Avec une production nationale
estimée à environ 300 tonnes par an, le Cameroun ne tire pour
l'instant pas avantage de la réputation de cru exceptionnel de son
poivre à l'impact commercial grandissant pour intégrer le
classement des grands pays producteurs dominé par le Vietnam depuis
plus de dix ans, suivi de l'Inde, du Brésil, de l'Indonésie, de la
Malaisie et de la Chine.
Mais, entre 7.000 et 7.500 francs
CFA (14 et 15 USD) le prix du kilo board champ actuellement contre
1.500 francs (3 USD) par le passé, c'est comme une manne pour les
producteurs qui se voient privilégiés par rapport par exemple aux
cacaoculteurs rémunérés 800 ou 850 francs (1,6 USD ou 1,7 USD) le
kilo et aux caféiculteurs, payés quant à eux 650 francs (1,3
USD).
La bouture de poivrier s'acquiert
localement entre 1.000 et 1.200 francs CFA (2 et 2,4 USD), selon
Fouda Ayissi.
DEFIS AUX EXPLOITATIONS
Cette culture, qui engendre de
nombreux défis pour les exploitations, intègre encore peu les
équipements modernes pour un rendement plus optimal. "Investir dans
le poivre coûte cher, il faut compter de l'ordre de 3 millions et
demi par hectare, sans crédit bancaire. Nous avons des problèmes
phytosanitaires : il y a des ravageurs qu'on n'arrive pas à
soigner, parce que les produits ne sont pas souvent homologués", a
confié à Xinhua René Claude Metomo Elogo, directeur des plantations
Metomo et président du Groupement des producteurs de poivre de
Penja.
"Nous avons aussi d'autres
problèmes en termes de formation, s'agissant de ceux qui
s'implantent dans la culture, parce que la culture étant chère à
mettre en place, il vaut mieux être bien formé pour conduire une
exploitation de poivrier", poursuit ce propriétaire d'une
plantation de 38 hectares qui fournit environ 38 tonnes l'an.
"Pour investir dans le poivre, il
faut être courageux, parce que le poivrier pousse très lentement.
C'est un investissement à long terme. Il faut attendre quatre à
cinq ans pour commencer à gagner de l'argent. Donc, il faut suer
pour gagner son pain", affirme encore Metomo Elogo. Néanmoins, "dès
que vous avez fait les sacrifices nécessaires, je pense que vous
pouvez vivre tranquille quand même".
L'activité attire une main-d'œuvre
qui augmente en période de récolte. Gérant d'une plantation de 16
hectares avec en vue de s'étendre à 50 hectares, propriété d'un
ex-responsable de l'armée camerounaise converti dans
l'agro-industrie, le colonel Edouard Etonde Ekoto, poursuivi par la
justice pour des accusations de détournement de fonds publics,
Salomon Kengni annonce un effectif de 30 à 35 personnes, pour un
salaire mensuel de 30.000 à 40.000 francs CFA (60 à 80 USD)
chacun.
"Cette année, note-t-il, a été
rude. D'ordinaire, nous commençons le petit tri en décembre, mais
cette année, ce n'est que ce mois qu'on a effectivement commencé
les récoltes, à cause des aléas climatiques. Au lieu de novembre ou
décembre, c'est maintenant que les pluies qui permettent de lancer
les récoltes viennent tomber".
PROJET DE CENTRE DE
CONDITIONNEMENT
Avec le processus d'identification
géographique en cours, des perspectives plus prometteuses se
dessinent. "Sur le plan institutionnel, le ministre de
l'Agriculture a mis en place un comité national des indications
géographiques", se réjouit Metomo Elogo.
A travers ce processus qui requiert
comme conditions essentielles la qualité et la traçabilité du
produit, le groupement des producteurs projette la mise en place
d'un centre de conditionnement. "Ça veut dire que tout le poivre
produit ici sera conditionné à Penja, dans l'aire géographique et
de manière à ce que la traçabilité soit suivie et ce que les
usurpations - parce que nous avons beaucoup d'imitations - soient
contrôlées", explique son président.
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