Ebola : J'ai vu la mort de près - journal d'un médecin chinois en Guinée
Le 11 août la Chine a envoyé trois experts en contrôle des maladies en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia afin d'aider ces pays à lutter contre l'épidémie d'Ebola.
Cao Yang, l'un des médecins chinois déjà en mission humanitaire dans ces pays, est confronté au virus dans son travail quotidien. En mars, il a traité un patient souffrant d'une hémorragie qui a succombé au virus Ebola. Peu de temps après, il a été confirmé que les six membres du personnel médical, dont le collègue de Cao, qui avaient eu des contacts avec le patient avaient été contaminés par le virus.
Ce Chinois qui a vu la mort de près raconte dans son journal ce qu'il a vécu lors de sa quarantaine de 21 jours.
Le 24 mars : un texto brise le silence
A 10h00, j'ai reçu un texto envoyé par le gouvernement guinéen, avertissant ses citoyens de l'épidémie d'Ebola. D'après mes connaissances en médecine, ce virus est principalement présent en Afrique. Symptôme de fièvre hémorragique, transmission par simples contacts, pas de traitement efficace, mort rapide... Je me rappelle de maladies décrites dans des films d'horreur.
L'image d'un patient que nous avons traité il y a une semaine m'apparaît immédiatement. Son cas est très difficile à oublier.
C'était un lundi matin. Un homme de 41 ans est arrivé en se plaignant de douleurs à l'estomac, de vomissements de sang, de fièvre et d'asthénie. Je me souviens très bien que le jour de sa mort, son oeil gauche était aussi rouge que celui d'un lapin. Ce qui est difficile à comprendre, c'est qu'après lui avoir fait une injection dans la fesse gauche, si l'on n'exerçait pas une pression sur la piqûre le sang continuait de couler lentement, chose que je n'ai jamais vue durant ma carrière.
Deux médecins africains m'ont dit avoir des difficultés aujourd'hui lors d'une opération. L'un d'entre eux semble avoir de la fièvre. Un sentiment d'angoisse m'envahit. Est-ce qu'ils ont attrapé le virus Ebola? Et moi?
Le 26 mars : début de la quarantaine
Selon l'enquête, le corps du patient a été emmené par les membres de sa famille et enterré selon les traditions locales. Très rapidement, quatre membres de sa famille qui ont assisté aux funérailles ont présenté des symptômes similaires.
Ces quatre cas nous amènent à conclure que le virus devait être la cause du décès de notre patient.
En tant que médecin, je connais les risques auxquels sont exposés tous ceux ayant eu des contacts avec le patient. Moi qui ai vécu l'épidémie de SRAS, je m'efforce de me souvenir de tous les détails concernant l'hospitalisation du patient.
Je suis ainsi obligé d'en tirer la conclusion que je suis déjà contaminé par le virus. Heureusement, sept jours après la mort du patient, je n'ai encore développé aucun symptôme, mais cela ne m'empêche pas de m'inquiéter pour mes trois collègues guinéens.
Je n'ai pas d'autre choix pour le moment que d'imposer une quarantaine de 21 jours et de prier pour mes collègues.
Le 29 mars : six membres du personnel médical infectés par le virus Ebola
Un malheur ne vient jamais seul. Selon les résultats des analyses des membres du personnel médical ayant présenté des symptômes de la maladie, aucun des trois collègues de mon service n'est épargné -- tous positifs. Et le taux de mortalité d'Ebola est de 90%.
Par ailleurs, un médecin du service de gastroscopie, un autre du service de radiologie et une infirmière de la consultation sont infectés. Les trois personnes ont examiné et soigné le patient.
A cette nouvelle, j'ai le coeur lourd. Même moi, un chirurgien habitué à la mort, je commence inconsciemment à être attentif aux moindres changements dans mon corps.
Le matin, quand je me lave le visage, je vérifie que je n'ai pas une hémorragie de la conjonctive. Un léger mal de tête me rend nerveux, mon coeur commence à battre vite dès que ma température atteint les 36,9°C. Même une rougeur me fait penser au virus.
Le 1er avril : décès de mon ami et collègue Gassimou
Une autre mauvaise nouvelle : mon collègue Gassimou et l'infirmière Camara sont morts du virus. Mes yeux sont remplis de larmes.
Il y a une semaine, nous opérions ensemble, discutions de la maladie, parlions de l'avenir et profitions de notre amitié. Durant la quarantaine, je l'ai appelé pour l'encourager. Maintenant tout est fini.
Gassimou, mon collègue, mon meilleur ami africain. Quelques jours avant l'arrivée du patient, je lui ai demandé pourquoi il ne prenait pas de vacances après deux années de travail à l'hôpital.
Il m'a répondu qu'il souhaitait réaliser plusieurs rêves. Il voulait apprendre des médecins chinois pour améliorer ses compétences chirurgicales afin de pouvoir partir travailler dans un pays plus développé. Il voulait avoir cinq enfants avec sa femme, même s'ils avaient déjà un fils, une fille et un bébé pas encore né. Il voulait offrir une vie meilleure à sa famille en gagnant davantage d'argent. Il rêvait de revenir en Chine pour étudier, revoir son campus et ses professeurs.
Je lui ai alors dit "tu y arriveras". Ce ne sont pas des rêves intouchables, moi aussi j'ai des rêves similaires.
Mais aujourd'hui la maladie a pris sa vie. Il ne pourra jamais réaliser ses rêves et moi je garde un souvenir très douloureux de mon expérience humanitaire en Afrique.
Le 8 avril : reconnaissance
Aujourd'hui cela fait 21 jours depuis mon dernier contact avec le patient. Quel bonheur que je sois toujours sain et sauf !
Pour mes parents, rien n'est plus important au monde que le moment où je prends ma température. Chaque matin à 5h00, ils attendent devant l'ordinateur que je prenne ma température avant de me coucher. Une minute de retard ou une légère hausse de ma température les inquiètent.
Ma femme est tombée malade après avoir appris la mort de mes collègues à cause du stress et de l'inquiétude. "J'ai attrapé la maladie par téléphone", a-t-elle plaisanté avant d'ajouter "J'aimerais pouvoir être malade à ta place".
Le 14 avril : fin de la quarantaine
La période de quarantaine prend fin aujourd'hui.
J'ai vraiment de la chance d'avoir échappé au virus Ebola. Au cours des 21 jours, j'ai ressenti la peur, le chagrin, l'émotion et le réconfort. Qu'il est beau d'être vivant.
Pendant ce temps, j'ai perdu plusieurs collègues, mais j'ai aussi été ému par l'amour de ma famille. J'ai réfléchi au sens de la vie. Dans la vie, il faut avoir de la détermination, savoir chérir, être optimiste...
Mon histoire prend fin ici, mais l'épidémie sévit encore sur le continent. Lorsque des médecins chinois en mission humanitaire sont placés en quarantaine, tout ce que j'ai vécu refait surface. Peut-être que c'est le défit devant lequel la cause humanitaire nous place. J'espère que mes collègues chinois remporteront la bataille contre l'épidémie.
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