L'incontournable Kashgar
Lisa Carducci
Place de la mosquée (Photo de Lisa Carducci)
« Qui n'a pas vu Kashgar n'a pas vu le Xinjiang » est un dicton que je ne peux éviter de répéter.
Kashgar partage 888 km de frontière avec l'Afghanistan, le Tadjikistan et le Pakistan. On la visite en partie à cause de son célèbre Grand Bazar international de l'Asie du Centre et de l'Ouest qui offre des fruits secs et des noix, des instruments de musique des ethnies locales, des produits de bois ou d'étain, des vêtements et textiles, des tapis de soie, une pléthore de modèles de foulards et écharpes et même une série de « masques » de fantaisie pour les femmes musulmanes qui préfèrent ne couvrir que leur figure. On y trouve des commerçants de toutes les ethnies et même des pays voisins. Négocier à l'amiable un prix convenable est un des charmes de ce bazar absolument typique et fort intéressant. Et l'on en sort rarement les mains vides !
Kashgar signifie « lieu riche en jade ». La population de cette ville se compose de 92 % d'Ouigours, et 8 % de Han, Tadjiks et Ouzbeks principalement. J'ai été étonnée de la propreté de Kashgar, bien qu'elle soit restée comme on peut l'imaginer à l'époque de la Route de la soie. On y voit peu de voitures, quelques motos, des autobus petits et rarement bondés, des ânes tirant une charrette. Presque toutes les femmes portent un voile ou un foulard, et plusieurs ont choisi de porter le chador (drap qui enveloppe le corps) ou la jilbab (robe ample et longue). Les hommes, pour leur part, portent un dubba (petit chapeau quadrangulaire) tissé, ou un bonnet blanc crocheté. Quand on y arrive d'une autre ville du Xinjiang, on a l'impression de s'être endormi en Chine et de se réveiller dans un pays d'Afrique du Nord ou du Moyen-Orient. Kashgar est incontournable.
La tombe de la « concubine parfumée », Rong Fei Iparhan, est un des sites touristiques principaux de Kashgar. Un grand bâtiment nommé « tombe de Apak Hoja » en l'honneur du célèbre fils de Yusuf Hoja, le premier à y avoir été inhumé, abrite cinquante-huit tombes des membres de la famille des puissants régents de Kashgar. Hommes, femmes et enfants sont identifiables à la dimension des tombeaux, et ceux-ci sont recouverts de tapis, couvertures ou soieries et personnalisés par la décoration.
L'appellation de « concubine parfumée » vient du fait que Rong Fei aimait prendre des bains parfumés de fleurs de shazao (jujubes de sable), ce qui laissait sur sa peau un arôme. Elle était la sœur cadette du régent de Kashgar, qui l'a mariée à l'empereur Qianlong des Qing en signe d'alliance. Elle a vécu vingt-huit ans à Beijing avec l'empereur, qui non seulement l'emmenait toujours dans ses tournées d'inspection mais avait appris la langue ouigoure en sa compagnie. Elle est décédée de maladie à l'âge de 55 ans en 1788. On dit aussi qu'elle n'aimait pas l'empereur et ennuyait tellement sa belle-mère que celle-ci l'a finalement confinée à la solitude, ce qui aurait entrainé sa mort.
Le char qui a ramené deux coffrets, l'un contenant la dépouille, l'autre les effets personnels de la concubine parfumée, est aussi exposé dans un coin de cet étrange cimetière qui remonte à 1640. Il aura fallu trois ans et demi à cent-vingt-quatre personnes pour rapporter ces coffrets. Pourtant, parmi les tombeaux de l'Est des Qing, dans la province du Hebei, on peut remarquer celui de Rong Fei, et si l'on en croit cette interprétation, seuls les vêtements et les coiffes de la concubine seraient retournés dans son Xinjiang natal après sa mort, tandis que sa dépouille serait au Hebei.
Derrière ce monument se trouve un cimetière musulman ordinaire où les familles des défunts viennent entretenir les tombes tous les mercredis.
La mosquée voisine, toute en bois et en brique, remonte à 122 ans. Elle est maintenant inactive et protégée par l'État.
En me promenant dans les rues, j'ai surpris une femme qui s'adonnait à la prière dans sa boutique, répondant à l'appel de tous les minarets de la ville.
La mosquée Id Kah de Kashgar est la plus grande de Chine, la plus influente, et sa réputation s'étend au monde entier. Elle est aussi la plus représentative de l'architecture musulmane au pays. Le vendredi, six à sept-mille fidèles s'y rendent ; les jours ordinaires, environ deux-mille* à chacune des cinq séances quotidiennes de salat, et lors des fêtes importantes, elle en accueille jusqu'à huit-mille. Sa vaste place, entourée de musées, restaurants, boutiques diverses, déborde toujours d'activité : promenade, conversation, repos et commerce. Le marché voisin regorge de fruits rares en Chine comme les figues.
Kashgar est belle, dynamique, sympathique. Ses ressources culturelles sont nombreuses ; elle a de quoi satisfaire les touristes en mal d'exotisme et saura laisser un excellent souvenir.
* L'orthographe rectifiée (1990) s'applique dans ce texte.
(Extrait modifié de Ces gens merveilleux du Xinjiang, Beijing, FLP, 2008.)