Un très vieux rêve enfin réalisé
Lisa Carducci
Lorsque j'étais enfant, je rêvais de voir les pyramides d'Égypte ; puis, arrivée en Chine en 1991, j'ai commencé à rêver de voir le Taklimakan. Enfin ce désir est devenu réalité ! Comme je me trouvais ce jour-là à proximité du troisième plus grand désert du monde, j'ai demandé s'il y avait un endroit d'où je pourrais contempler le désert absolu, c'est-à-dire où je ne verrais que du sable, sans aucune végétation. Ce fut l'affaire d'un instant d'organiser cette randonnée. Après une demi-heure de route, je pouvais déjà apercevoir des dunes qui semblaient des montagnes à l'horizon. La voiture ne pouvait aller plus loin ; il fallait poursuivre à pied, à mon plus grand plaisir.
Au début, nous passions entre des herbes espacées hautes d'un mètre ; puis nous avons commencé à voir des ronces dans lesquelles ma jupe s'est accrochée. À un endroit il y avait un filet d'eau : on aurait dit un ruisseau qui essayait de naitre*. Un des hommes qui m'accompagnaient y a placé un tronc d'arbre mort et un gros bloc de sable durci afin que je puisse traverser facilement.
Puis, nous sommes parvenus au pied des dunes, où j'ai pris plusieurs photos, me disant que c'était une occasion unique et qui ne se représenterait sans doute jamais. J'ai alors remercié mes accompagnateurs de m'avoir amenée non pas au bord mais dans le désert, au-delà de mon désir. Surpris, on m'a alors demandé : « Vous ne voulez pas monter ? » À la fois étonnée et ravie de cette offre, j'ai tout de suite enlevé mes chaussures.
Il y avait trois dunes d'avant en arrière. J'ai grimpé la première rapidement, pieds nus dans le sable chaud. Le vent de surface me bombardait les chevilles de sable ; il me semblait recevoir un jet d'eau froide. Au sommet de la première dune, en prenant une photo de sa crête parfaitement taillée, j'ai remarqué que le vent brouillait le sommet de la dune la plus éloignée. Il fallait faire vite car une tempête se levait. Maintenant, c'était une fusillade d'aiguilles que je subissais.
Taklimakan (Photo de Lisa Carducci)
J'ai escaladé plus rapidement encore la deuxième dune. Il manquait quelques mètres avant le sommet quand le vent m'a projetée par terre. Pendant qu'on immortalisait ce moment en photo, j'étais déjà à moitié ensablée et je me demandais si je retrouverais mes chaussures laissées en bas sur le sable. Le vent est devenu si féroce que je n'ai pu monter davantage. La reine des dunes n'était plus qu'un nuage de sable informe qui semblait voir en moi une intruse. Impossible de photographier la marâtre qui me chassait : mon appareil rempli de poussière de sable ne fonctionnait plus !
La descente fut assez facile ; le talon enfoncé dans le sable, on se croirait dans un escalier mobile qu'une légère glissade accélère. Mes chaussures m'attendaient sagement ; je n'ai même pas eu à les vider. En bas de la pente, tout était d'un calme parfait.
Je n'en croyais pas mes yeux : non seulement j'avais « vu » le Taklimakan, mais j'y étais entrée. J'avais cependant l'impression d'avoir violé un lieu sacré, faute sanctionnée par le désastre qui me priverait pour le reste du voyage de mon appareil photo. Le nom Taklimakan signifie « Qui y entre n'en sort pas vivant ». Le désert n'a pas pris ma vie, mais il s'est bien vengé.
* L'orthographe rectifiée (1990) s'applique dans ce texte.
(Extrait modifié de Ces gens merveilleux du Xinjiang, Beijing, FLP, 2008.)