Dans les années 1950, alors que l'esclavage, le servage et la traite des Noirs avaient été complètement rejetés par la civilisation moderne, la société tibétaine demeurait encore et toujours sous la domination du servage féodal théocratique. Ce dernier enrayait brutalement la dignité de l'humanité, violait gravement les droits fondamentaux de l'Homme, entravait radicalement le développement social du Tibet, et allait complètement à l'encontre des tendances progressistes chinoise et mondiale.
– Unité du temporel et du spirituel, suprématie du pouvoir religieux : un représentant typique de la théocratie
Dans l'ancien Tibet, le pouvoir religieux était suprême et à l'abri du pouvoir politique tout en contrôlant celui-ci. Ils s'associaient pour défendre ensemble la domination des trois catégories seigneuriales (dignitaires des autorités gouvernementales, nobles et moines de couches supérieures). Selon les statistiques, avant la réforme démocratique de 1959, le Tibet comptait un total de 2 676 monastères qui abritaient 114 925 moines. Ceux-ci représentaient environ un quart de la population masculine, et leur proportion, rarissime dans le monde, dépassait de loin celle du clergé médiéval européen. Sous la théocratie, la religion était salie par le servage féodal, si bien que les temples, plutôt que d'être simplement des lieux paisibles entièrement consacrés aux services bouddhiques, étaient des bastions de domination qui endossaient de multiples rôles, dont celui de lieux de culte, celui du contrôle du pouvoir d'une localité, celui de l'exploitation économique, celui du stockage des forces armées et celui du jugement judiciaire. Certains temples allaient jusqu'à créer un tribunal illégal équipé de menottes, de chaînes, de bâtons, et autres atroces instruments de torture servant à arracher les yeux ou les tendons, et où les méthodes de punition des serfs étaient extrêmement cruelles. Selon une lettre du gouvernement local du Tibet rédigée au début des années 1950, pour fêter l'anniversaire du XIVe dalaï-lama, tout le personnel de Gyumé Dra-tsang doit réciter les canons bouddhistes. « Pour réaliser cette pratique bouddhiste, nous avons besoin en urgence d'une paire d'intestins humides, de deux crânes humains, de sang de plusieurs sortes, et d'une peau humaine pour les offrir en guise de sacrifices. Il faut nous les apporter sur-le-champ. » Parmi les trois catégories de seigneurs, les moines de couches supérieures étaient ceux qui accordaient le plus de prêts à intérêt, soit environ 80% de la totalité.
Du fait qu'une grande part de la population ne procréait ni ne produisait d'une part, et faisait l'objet du pressurement par la théocratie d'une autre part, les ressources sociales souffraient d'une grave pénurie et la croissance démographique stagnait. Selon les Notes postérieures sur les événements du Tibet (Xizang Houji), un des volumes des Hauts faits militaires impériaux (Shengwuji), ouvrage rédigé au milieu du XIXe siècle, le Bureau des affaires frontalières a recensé, la 2e année du règne de l'empereur Qianlong des Qing (1737), les régions tibétaines sous la juridiction du dalaï-lama et du panchenlama, où il dénombrait plus de 316 200 lamas, alors que la population du Tibet (sans le Qamdo d'aujourd'hui) de cette époque-là s'élevait à quelque 1,09 million de personnes. De cette année-là jusqu'au début des années 1950, la population tibétaine s'est toujours maintenue au niveau d'un million, à savoir qu'elle n'augmenta quasiment pas pendant deux siècles.
Tirer profit de la religion pour intensifier son contrôle sur la société était une caractéristique majeure de la théocratie. Li Youyi est un célèbre tibétologue qui a travaillé au Tibet dans les années 1940 en tant que fonctionnaire à l'office de la Commission des affaires mongoles et tibétaines relevant du gouvernement national à Lhasa. Dans sa mémoire Ce qui est mystérieux et ce qui ne l'est plus au Tibet, il a soupiré : « Les serfs tibétains souffrent d'une exploitation et d'une oppression tellement cruelles, alors pourquoi ne se révoltent-ils pas ? Je leur ai déjà posé la question. Mais, à ma grande surprise, ils m'ont répondu : “C'est la loi du karma.” Ils sont persuadés que leur souffrance dans la vie présente est due au mal commis dans une vie antérieure et qu'elle leur permettra de purger leurs péchés et de se réincarner dans une meilleure position dans la vie postérieure. Telles sont les instructions que leur donnent les lamas. Pourtant, les Tibétains n'en doutent jamais. » Selon Li Youyi, c'est ce carcan spirituel qui a fait que « les serfs accumulent des bienfaits durant toute leur vie pour leur existence postérieure et croient que les coups de fouet des nobles leur permettent de purger leurs péchés ». Le Britannique Charles Bell, qui avait vécu au Tibet, a écrit ceci dans sa Biographie du XIIIe dalaï-lama : « Est-ce que cela ne vous regarde pas si vous devenez un homme ou un cochon dans votre vie postérieure ? Le dalaï-lama vous assure une bonne réincarnation pour devenir un homme, un haut fonctionnaire, ou, encore mieux, un grand lama dans un pays gouverné par le bouddhisme. » Et d'ajouter : « Sans nul doute, les lamas adoptent cette pression spirituelle dans le but de maintenir leur influence et de conserver le pouvoir entre leurs mains. »
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