Avec la Compétition immersive, le Festival de Cannes ambitionne d'élargir les horizons du cinéma (REPORTAGE)
Pour la deuxième année consécutive, le Festival de Cannes organise la Compétition immersive, une section qui regroupe des œuvres utilisant de nouvelles technologies pour offrir des expériences immersives. Avec cette initiative, le festival - qui est "l'épicentre" autoproclamé de l'industrie cinématographique - cherche à "ouvrir la voie à des expériences narratives inédites" et ainsi, à "élargir les horizons du cinéma traditionnel".
La Compétition immersive de la 78e édition du Festival de Cannes, qui a ouvert ses portes le 14 mai, présente neuf œuvres en compétition, deux œuvres hors compétition ainsi qu'une sélection Focus, avec cinq créations du Luxembourg. Pour apprécier ces projets immersifs, qui ont recours aux nouvelles technologies telles que l'intelligence artificielle (IA), la réalité virtuelle, la réalité augmentée ou le vidéo mapping, les spectateurs doivent entrer dans des salles décorées et couvertes de toiles noires installées à l'hôtel Carlton et, le plus souvent, revêtir un casque.
Parmi les œuvres en compétition, "Beyond The Vivid Unknown" est une installation générée par l'IA. Elle réinvente le film révolutionnaire "Koyaanisqatsi" de Godfrey Reggio, sorti en 1982, sous forme d'un système vivant qui utilise l'apprentissage automatique génératif et la vision par ordinateur en temps réel pour suivre et réagir à la présence des spectateurs. Au fur et à mesure que les participants se déplacent dans l'espace, l'installation évolue, des paysages vierges à l'aurore de l'humanité, jusqu'au chaos d'un futur proche... Elle reflète l'enchevêtrement entre l'humanité et la technologie et implique le spectateur dans le récit.
"Nous vivons à une époque où la technologie évolue, donc je veux profiter de cette occasion pour expérimenter tous les outils et tester de nouvelles idées et de nouvelles façons pour créer des expériences actives", a expliqué l'artiste américain John Fitzgerald, co-réalisateurde cette œuvre immersive. "Ainsi, on n'est pas simplement un spectateur passif assis et regardant quelque chose sur l'écran, mais on peut conduire la narration avec son propre corps et se donner une nouvelle façon de se sentir lié à l'histoire."
Toutefois, en créant la Compétition immersive, le Festival de Cannes n'ambitionne pas "de promouvoir des technologies en particulier, mais plutôt une nouvelle forme artistique, dont le trait commun est de s'affranchir de l'écran cinématographique, pour essayer de développer de nouvelles histoires qui prennent souvent place dans un espace en trois dimensions et qui développent de nouvelles formes d'interaction", a déclaré Elie Levasseur, responsable de la section immersive au Festival de Cannes.
Selon lui, cette forme artistique "modifie le rapport établi entre le spectateur et l'œuvre, mais aussi les possibilités de narration pour les artistes". Par exemple, cela permet de développer des œuvres où "les spectateurs incarnent un personnage dans l'histoire, ce qui n'est pas possible au cinéma (traditionnel)", a-t-il ajouté.
Cette année, pour sélectionner les œuvres parmi les 174 projets que leurs auteurs ont présentés à la compétition, deux critères ont été considérés comme fondamentaux : la nécessité de rester narratives et d'inclure des formats différents du cinéma traditionnel. "Si c'est pour faire la même chose que le cinéma avec de nouvelles technologies, ça ne nous intéresse pas beaucoup", a affirmé M. Levasseur, qui a distingué par ailleurs une nouvelle tendance pour cette deuxième édition de la Compétition immersive : "Dès l'appel à projets, on a remarqué qu'il y avait beaucoup plus d'œuvres qui utilisaient l'intelligence artificielle." Finalement, sur les 9 œuvres sélectionnées en compétition cette année, il y en a 4 utilisant l'IA, y compris le projet "tAxI", dont le titre fait déjà référence bien évidemment à l'intelligence artificielle.
Malgré un certain progrès, le marché de la création immersive est loin d'être mature. "Aujourd'hui, il n'y a pas encore suffisamment d'œuvres immersives, ou il n'y a pas un marché suffisamment établi pour qu'on ait déjà inventé ce qui pourrait être le lieu spécifique pour diffuser ces œuvres immersives", a confié M. Levasseur à Xinhua lors d'une interview. Heureusement, en attendant que ces lieux arrivent, beaucoup de lieux de substitution sont apparus, comme en témoigne "le nombre croissant de musées et de lieux culturels qui ouvrent leurs portes à la programmation d'œuvres immersives".
D'ailleurs, le Festival de Cannes joue activement un rôle dans cette nouvelle vague de l'industrie cinématographique en créant cette année un "Village Innovation" dans le Marché du film. Un espace d'environ 1000 mètres carrés est dédié à une programmation diversifiée, des discussions sur l'IA générative aux démonstrations de production virtuelle en direct, en passant par des présentations de contenus immersifs. De plus, un "Réseau de producteurs" (Producers Network) est installé pour "mettre les œuvres en compétition en relation avec des curateurs de musée ou des programmateurs de lieux culturels pour qu'ils diffusent ces œuvres-là", selon M. Levasseur.
Comme acteur dynamique du secteur immersif, le réalisateur français Pierre-Alain Giraud est confiant en ce qui concerne le marché futur. "Maintenant, il y a beaucoup de distributeurs, comme MK2 en France, qui essaient de proposer de nouveaux lieux immersifs, et je pense qu'il y a un intérêt de la part du monde du cinéma pour trouver de nouvelles façons d'amener les gens au cinéma et de transformer un endroit qu'ils connaissent en un espace immersif", s'est félicité M. Giraux, le co-créateur de l'œuvre immersive "Noire" qui a remporté le Prix de la meilleure œuvre immersive à Cannes l'année dernière. Pour lui, le grand marché potentiel de certains pays comme la Chine permet aussi d'entrevoir une perspective optimiste pour le futur.
"Au début, quand le cinéma a été inventé, il n'y avait pas de salle de cinéma et le film était présenté dans des cafés, des foires et dans des lieux qui n'étaient pas appropriés pour la diffusion... Le cinéma, lui aussi, a mis un certain temps avant d'être reconnu comme le septième art", a rappelé M. Levasseur. "Je pense que la création immersive vit le même moment, et qu'aujourd'hui, c'est à nous d'essayer de voir ce qu'il y a derrière les technologies et de prendre conscience du potentiel artistique de cette création", a-t-il affirmé.








