Le refus d'entrée aux Etats-Unis d'un chercheur français aggrave les tensions entre Paris et Washington
Le refus d'entrée suivi de l'expulsion début mars d'un chercheur français du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), accusé par les Etats-Unis d'être en possession "d'informations confidentielles", a accru les tensions entre les deux pays, provoquant des réactions vives tant officielles que civiles en France.
"J'ai appris avec préoccupation qu'un chercheur français", en mission pour le CNRS, "qui se rendait à une conférence près de Houston s'est vu interdire l'entrée sur le territoire américain avant d'en être expulsé" parce qu'il avait exprimé une "opinion personnelle" sur la politique américaine en matière de recherche, a affirmé le ministre chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche Philippe Baptiste, cité mercredi par le quotidien français Le Figaro.
Selon lui, les autorités américaines auraient pris cette décision après avoir découvert sur le téléphone du chercheur des messages échangés avec des collègues et amis dans lesquels il exprimait une opinion personnelle critique à l'égard de la politique scientifique menée par l'administration Trump.
"La liberté d'opinion, la recherche libre et les libertés académiques sont des valeurs que nous continuerons à revendiquer fièrement. Je défendrai la possibilité pour tous les chercheurs français d'y être fidèles, dans le respect de la loi", a ajouté le ministre.
Cependant, le ministère américain de la Sécurité intérieure a rejeté l'idée que cette expulsion soit liée à des critiques politiques visant l'administration Trump. D'après un porte-parole, le chercheur aurait enfreint un accord de confidentialité en possédant des informations sensibles obtenues sans autorisation et aurait tenté de les dissimuler. Ce même porte-parole a affirmé que toute suggestion selon laquelle cette expulsion aurait des motifs politiques est "manifestement fausse".
Selon des médias français, des messages critiques à l'égard du traitement réservé aux scientifiques par l'administration Trump auraient été retrouvés. On reprocherait au chercheur des échanges "qui traduisent une haine envers Trump et peuvent être qualifiés de terrorisme". Ses appareils professionnels et personnels ont été saisis et il a été renvoyé en Europe le 10 mars. Une enquête menée par le FBI aurait été ouverte à son encontre, mais les charges auraient finalement été abandonnées.
En France, l'incident a suscité de vives réactions. Le Quai d'Orsay a rappelé que les Etats-Unis disposent pleinement du droit de réguler l'entrée des ressortissants étrangers sur leur territoire, mais a déploré cette situation. Il a réaffirmé la volonté de la France de promouvoir la liberté d'expression et son engagement en faveur de la coopération universitaire et scientifique.
"Sur fond de soupçon de terrorisme, l'administration Trump menace les libertés académiques", a commenté également le quotidien français Libération, rappelant que ce chercheur français n'est pas un cas isolé. Un chercheur indien, un étudiant palestinien, ainsi qu'une médecin libanaise ont également été arrêtés, menacés d'expulsion ou interdits d'entrer sur le territoire américain récemment.
Sur son compte X, l'analyste géopolitique Louis Duclos s'indigne : "Les Etats-Unis ne représentent plus la liberté [...] Non seulement c'est une atteinte grave à la liberté d'expression, mais cela risque de créer un précédent inquiétant dans le milieu scientifique".
Cet épisode survient dans un contexte déjà tendu entre la communauté scientifique et l'administration Trump, qui pratique des coupes budgétaires importantes et impose des censures sur certains projets de recherche financés par le gouvernement fédéral.
Face à cette situation, le ministère français de l'Enseignement supérieur et de la Recherche a dit souhaiter accueillir "un certain nombre de chercheurs américains reconnus" qui "s'interrogent déjà sur leur avenir aux Etats-Unis", a rapporté récemment Libération.
Ainsi, dans le cadre du programme intitulé "Safe place for science", l'université d'Aix-Marseille prévoit un budget pouvant atteindre 15 millions d'euros, en partenariat avec des institutions locales, afin d'accueillir une quinzaine de chercheurs américains. De son côté, l'Université Paris Sciences & Lettres (PSL) accueillera plus de 30 chercheurs américains confrontés à des difficultés de financement de leurs recherches, selon le quotidien La Tribune.