ZOOM AFRIQUE : Le retrait des forces militaires françaises marque l'impasse du "néocolonialisme" au Sahel?
Dans leur respectif message du Nouvel An, plusieurs présidents ouest-africains ont sérieusement demandé le retrait rapide et total des forces militaires françaises à partir de leur pays, ce qui marque l'impasse du "néocolonialisme" au Sahel?
Dans son message du Nouvel An, le président ivoirien Alassane Ouattara a confirmé que les forces militaires françaises devraient commencer à se retirer de son pays en janvier, ce qui en fait le dernier pays à le faire.
Le même jour, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a déclaré que toutes les bases militaires étrangères dans son pays seraient fermées avant la fin de l'année 2025, fixant ainsi un calendrier définitif pour le retrait des forces étrangères.
Dans une récente allocution télévisée, le président tchadien Mahamat Idriss Déby Itno a annoncé que des retraits supplémentaires des forces françaises se poursuivraient jusqu'à leur retrait complet d'ici fin janvier 2025.
Après son retrait de Côte d'Ivoire, la France ne devrait plus compter de bases militaires permanentes en Afrique qu'au Gabon et à Djibouti.
Selon des analystes africains, le revirement des pays africains à l'égard de la France reflète la demande croissante d'une action plus large pour effacer les vestiges de l'influence coloniale française.
En 2011, l'intervention de l'OTAN en Libye, qui a renversé le régime de Mouammar Kadhafi, a déclenché une décennie de troubles dans la région, alimentant le trafic d'armes dans la région du Sahel et contribuant à la montée en puissance de groupes militaires, notamment ceux affiliés à Al-Qaïda et à l'Etat islamique.
Face à l'escalade de la menace terroriste, la France a lancé l'opération Barkhane en 2014, déployant des milliers de soldats au Burkina Faso, au Tchad, au Mali, en Mauritanie et au Niger. Toutefois, la mission s'est achevée en 2022 sans avoir apporté de paix ou de stabilité durables.
Des coups d'Etat militaires ont eu lieu successivement au Mali, au Burkina Faso et au Niger en 2020, 2022 et 2023. Les gouvernements de transition de ces trois pays ont exigé le retrait des troupes françaises et la France a procédé à un retrait complet de ses forces armées de ces trois pays entre 2022 et décembre 2023.
La population locale reproche largement à l'armée française de ne pas honorer son devoir au Sahel. "L'absence de résultats concrets a considérablement discrédité la politique de lutte contre le terrorisme de la France au Sahel", a commenté Geoffroy Julien Kouao, politologue et essayiste ivoirien.
Depuis l'indépendance de ses anciennes colonies dans les années 1960, la France a conservé son influence en Afrique de l'Ouest par le biais de la "Françafrique", une politique néocoloniale caractérisée par un contrôle économique, une relation monétaire et une présence militaire. Les critiques soutiennent que cette "domination néocoloniale" a perpétué la pauvreté dans la région du Sahel.
Un rapport de l'Institut d'études de sécurité (ISS) décrit la "Françafrique" comme profondément enracinée dans la servitude financière et l'interventionnisme militaire.
Selon ses observateurs, les appels au retrait des troupes françaises sont le signe d'un désir plus large d'une véritable souveraineté et de partenariats équitables.
"Il fait savoir qu'aujourd'hui, la donne a changé et que ce n'est plus la France qui dicte les lois du jeu. L'Afrique, à travers son opinion publique et ses jeunes dirigeants et sans complexe, a son mot à dire et ne se laissera surtout pas embrigader dans un bilatéralisme éculé. Les dirigeants africains ont opté pour le multilatéralisme", a indiqué Cheikh Tidiane Ndiaye, ancien rédacteur en chef de l'Agence de presse sénégalaise.
Selon Geoffroy Julien Kouao, d'autres pays partenaires sont de plus en plus présents sur le continent africain. "L'Afrique francophone n'est plus le pré carré de la France", a-t-il estimé.
D'après l'hebdomadaire français Le Point, l'envoyé spécial du président français Emmanuel Macron pour l'Afrique, Jean-Marie Bockel, a présenté en novembre 2024 un rapport plaidant pour une présence militaire reconfigurée et un partenariat "renouvelé" basé sur la cocréation.
Toutefois, l'opinion publique des pays africains n'est pas favorable à ce réajustement stratégique de la France. "La France prône désormais le réajustement stratégique et l'égalité parce qu'elle se sent menacée par le fait que sa politique néocoloniale n'est plus efficace. La région du Sahel se réveille et dit non à une coopération qui n'a pas porté ses fruits", a jugé Emmanuel Yenshu Vubo, un politologue camerounais.