Le futur président français risque de faire face à un blocage politique, économique et monétaire (INTERVIEW)
A la veille de l'élection présidentielle en France, le scénario d'un Frexit envisagé par la candidate d'extrême droite Marine Le Pen relève désormais de la fiction pour la quasi-totalité des analystes. Mais, quel que soit le verdict des urnes, dimanche, le prochain chef de l'Etat français devra faire face aux profonds déséquilibres structurels de la zone euro qui continuent de s'aggraver, estime Christophe Brochard, conseiller en investissement et gestionnaire de fortune, dans un entretien avec Xinhua vendredi.
La tension sur les marchés est retombée depuis les résultats du 23 avril. Emmanuel Macron, le fondateur du mouvement En Marche !, est en effet donné largement favori dans les sondages pour la course à l'Elysée. "Au lendemain du premier tour, le CAC40, les marchés européens et le marché obligataire ont enregistré de fortes hausses", rappelle Christophe Brochard, fondateur associé de Brochard Finance.
"Les inquiétudes, alimentés par le Brexit, l'élection de Donald Trump aux Etats-Unis, dans un contexte de blocage de la construction européenne, portaient surtout sur l'éventualité d'un second tour entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Mais, malgré l'agitation politique actuelle, on ne peut pas dire que les marchés paniquent !", précise l'enseignant à l'Université de droit de Strasbourg.
Le sceptre d'une sortie de la France de la zone euro a pourtant longtemps été agité dans les médias. Augmentation mécanique de la dette française dès lors qu'elle aurait été libellée en nouveaux francs, défaut de paiement de la France, sur au moins une partie de sa dette, chute de la valeur de l'euro face aux autres monnaies du monde, risque de déstabilisation générale de la monnaie unique... Autant de perspectives qui ont régulièrement été relayées par les commentateurs ces derniers mois.
Si Marine Le Pen accédait à l'Elysée, "elle ne pourrait pas faire grand chose dans un premier temps", relativise Christophe Brochard. "Elle devrait faire face aux lobbys européens et ne pourrait pas tout changer d'un coup de baguette magique. Elle a d'ailleurs cherché à adoucir ses positions ces dernières semaines, évoquant un retour à l'ECU, avec un système de monnaies flottantes au sein de la zone euro et une monnaie unique pour l'extérieur", poursuit le spécialiste en stratégie d'investissement. Par ailleurs, "le scénario catastrophe évoqué pour le Brexit et l'élection américaine ne s'est pas produit", ajoute-t-il. L'incertitude sur les marchés a duré "trois semaines pour le Brexit, trois jours après le référendum italien, trois minutes après l'élection de Donald Trump", s'amuse-t-il.
"Ce qui se passerait en cas de sortie d'un pays de l'euro dépend en réalité de la nature des contrats obligataires qui constituent la dette du pays. En France, plus de 97% de la dette d'Etat française sont en contrat de droit national, c'est dire que, contrairement à ce qui est souvent répété, si la France sortait de l'euro, les prêteurs seraient remboursés dans la future monnaie nationale sans difficulté particulière. Ce qui n'est pas le cas des pays dont la dette a été restructurée par la Troïka, la Grèce en premier lieu", affirme Christophe Brochard.
"Après avoir triplé entre novembre dernier et mi-mars, le taux d'emprunt à 10 ans français (passé de 0,35% à 1,10% mi-mars 2017) reste historiquement bas, la France emprunte encore à des taux réels négatifs, et l'Agence France Trésor (AFT) continue aujourd'hui encore de diminuer le coût global de la dette française lorsqu'elle la refinance. Le risque de défaut est donc bien loin", argumente-t-il.
Selon lui, "le vrai problème pour la France et pour l'Union européenne, ce sont les déséquilibres structurels de la zone euro qui continuent de s'aggraver". "En 2016, malgré les milliards injectés par la Banque centrale européenne (BCE), les taux négatifs, la baisse de l'euro de 30% face au dollar, l'Allemagne a annoncé, grâce aux effets cumulés d'une monnaie sous-évaluée depuis plus de 15 ans, l'excédent commercial le plus élevé au monde à 297 milliards d'euros, dont une partie non-négligeable vis-à-vis des pays de la zone euro, et la France, un déficit commercial record à 48 milliards d'euros, dont une part sensible avec l'Allemagne."
"Le défaut congénital de l'euro, encore très peu analysé aujourd'hui, est le suivant : l'euro, monnaie commune représentative de la richesse des 19 pays qui l'ont adoptée, est d'abord une "monnaie moyenne". C'est-à-dire que l'euro est structurellement sous-évalué pour les pays les plus solides économiquement (l'Allemagne, notamment) mais il est structurellement surévalué pour les pays les moins solides économiquement (pays latins)", poursuit-il.
"Tout vient de là : les excédents commerciaux allemands d'un côté et la lente descente dans l'enfer de l'endettement et de la désindustrialisation pour les pays latins depuis 15 ans. Aucune politique monétaire, aussi brillante et ambitieuse soit-elle ne peut corriger ce défaut", affirme-t-il.
Les dernières réactions Nombre total de réactions: 0 |
Sans commentaire.
|
Voir les commentaires |