Vin de palme, délicieux nectar victime de son succès (REPORTAGE)
Quartier PK 6 dans le 3ème arrondissement de Libreville, la capitale gabonaise située sur la côte de l'océan Atlantique. 17 heures. Le soleil a perdu ses rayons ardents. Un courant d'air frais parti du front de mer traverse ce vaste bidonville. L'heure de boire le vin de palme a sonné.
Comme des oiseaux migrateurs, les buveurs de ce vin extrait de la sève du palmier à huile arrivent tous presque à la même heure et se retrouvent par petits groupes que l'on désigne sous le nom de code "réunions des parents d'élèves".
Le quartier réputé très pauvre s'anime au rythme du coupé ivoirien, de la rumba congolaise ou de l'envahissante musique venue du Nigéria.
Jonathan Ibouanga, vigile dans une société de sécurité, et quatre de ses camarades ont décidé de tenir leur "réunion de parents d'élèves" chez Sidonie Koumba, une ravissante dame aux formes généreuses, crayon de beauté frotté aux yeux et petit rouge aux lèvres.
Le rituel commence. Mme Koumba sert quelques gorgées dans un pot pour faire gouter son produit. "C'est du nectar", approuve M. Ibouanga. Ses amis et lui s'offrent chacun un pot.
En fait, le vin de palme ne se boit pas dans un verre. Il se consomme dans des pots de mayonnaise qui servent d'unité de mesure et de récipient. Le grand pot coûte 700 contre 350 FCFA le moyen.
"C'est ce côté rustique et l'ambiance autours qui attirent autant de monde", commente M. Ibouanga dont la passion pour le vin de palme n'est plus à démontrer.
Le vin de palme un jus extrait du palmier à huile. Il est sucré, mais pour relever son goût, on y ajoute des écorces d'un bois amer extrait de la forêt gabonaise. C'est l'une des boissons traditionnelles les plus prisées des gabonais. Conservé un à deux jours dans un milieu humide et sombre, le vin de palme se fermente naturellement, sans additif et acquière toutes ses vertus.
"Son goût est unique et extraordinaire", dit Julien Moussavou, un docker à la retraite, un pot serré entre les pieds car les buveurs de vin de palme ne posent généralement pas leur verre à table. Ils le posent à terre, entre les pieds pour mieux le surveiller.
"Le vin de palme caresse le palais et son passage à la gorge laisse une saveur envoutante", renchérit Antoine Mombo, fonctionnaire au ministère de l'Education nationale.
VERTUS APHRODISIAQUES
Les réunions des parents d'élèves rassemblent généralement les hommes. En principe, les femmes ne boivent pas le vin de palme. Le bois amer qu'on y ajoute les dégoute alors que c'est l'un des principaux attraits pour les hommes.
"Sans le bois amer, le vin de palme ne vaut rien", explique Théophile Nguéma, un militaire à la retraite adepte des sensations fortes.
Ce cocktail produit un effet aphrodisiaque, reconnaissent tous les consommateurs de cette boisson connue aussi sous le pseudonyme : "la locale".
Sidonie Koumba, la vendeuse, acquisse, car selon elle le prix assez bas du vin de palme n'est pas l'unique motivation des adeptes de cette boisson. "Ils disent qu'ils ont des nuits mouvementées après être passés par un point de vente de vin de palme", rigole-t-elle au grand plaisir de ses clients devenus de plus en plus nombreux.
Cependant, aucune étude scientifique ne l'a démontré. Le docteur Eloge Mayombo, médecin généraliste, soutient que le bois amer mélangé à cette boisson doit avoir un principe actif qui stimulerait l'appétit sexuel et notamment retarderait l' éjaculation.
"Tout ceci n'est cependant pas prouvé scientifiquement", dit-il.
VIN DE PALME FRELATE.
Gaston Moukoukou, jeune menuisier qui se délecte un pot de vin de palme à côté d'Ibouanga soulève la lancinante question de la qualité de vin vendu au PK 6, sinon à Libreville. Sidonie Koumba, la vendeuse se sent frustrée et tente rapidement de se disculper vantant la très bonne qualité de sa cuvée.
"Mon fournisseur est fidèle et honnête", clame-t-elle. Une autre vendeuse dont les clients viennent de s'intéresser au débat tente de l'étouffer.
La vérité connue de tous? c'est que le vin de palme n'est plus récolté à Libreville où les palmiers ont presque tous été abattus.
Dans le passé, en effet, les grands parents montaient les palmiers pour récolter leur vin à partir des jeunes bourgeons des régimes de noix de palme. Ils avaient le souci de protéger la poule aux oeufs d'or.
Actuellement, les données ont changé. Les fabricants abattent les palmiers et récoltent le vin à partir de son chou principal. Après un mois de production, plus rien.
LE PALMIER DISPARAIT
Conséquence, dans les environs de Libreville, la matière première tend à disparaitre. L'offre devient nettement inférieure à la demande. La disparition progressive des palmiers a donné des nouvelles idées face à un marché plus gourmand. A la place du traditionnel nectar sorti du chou du palmier en décomposition, les fabricants se sont transformés en laborantins ou chimistes.
Selon plusieurs témoignages, les fournisseurs de vin de palme se livreraient à des sacrés mélanges pour obtenir un semblant vin de palme. L'eau du robinet mélangée au sucre, la nivaquine, la banane douce, le lait non sucré, l'eau du riz et autres liquides seraient couramment utilisés pour des savants mélanges avec un peu de vin pur pour produire un mélange commercialisable.
"Ils profitent de la naïveté des citadins pour tromper leurs clients", regrette Gaston Moukoukou qui affirme avoir bu le meilleur vin de palme dans son village auprès de son grand père durant ses vacances estivales.
TENTATIVE D'INTERDICTION
Quand il est produit naturellement, le vin de palme contribuerait à la bonne santé du consommateur.
"Nos grands parents dans les villages, boivent ce vin naturel et ils vieillissent sans problèmes", fait remarquer Marcus Ondo, un observateur averti des questions de consommation.
Cependant, le vin de palme frelaté qui inonde Libreville et ses environs serait dangereux pour la santé. Diarrhée, ballonnement de ventre, diabète et autres sont les principales maladies dont souffrent les abonnés de cette boisson. Aucune recherche médicale ne le confirme mais la mairie de Libreville y croit fermement.
Rose Christiane Raponda Ossouka, maire de Libreville, a décidé de lancer une opération coup de point pour interdire la commercialisation de ce vin, présumé impropre à la consommation, dans le périmètre urbain de la capitale.
Tous les jours des dizaines de policiers saisissent et détruisent les bidons, pourchassent les fournisseurs et les vendeuses qui reviennent toujours dès que les policiers baissent la garde.
Les adeptes de la boisson ignorent la décision de l'hôtel de ville et poursuivent tranquillement leurs réunions de parents d' élèves comme si rien n'était. F
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