SIDA : le prix Nobel de médecine Barré-Sinoussi inquiète des problèmes d'approvisionnement en médicaments au Cameroun (INTERVIEW)
Co-découvreur du VIH en 1983 et prix Nobel de médecine 2008 avec son compatriote le Pr. Luc Montagnier, le Pr. Françoise Barré-Sinoussi, présente à Yaoundé lors de journées scientifiques sur le SIDA et les hépatites virales les 3 et 4 juin, s'est inquiétée des problèmes d'approvisionnement en médicaments du SIDA, en l'occurrence les antirétroviraux au Cameroun.
Dans un entretien à Xinhua en large du colloque organisé par l'Agence nationale de recherches sur le SIDA et les hépatites virales (ANRS, organisme français), la chercheure française de renom a fait état d'une réflexion en vue de « trouver une solution peut-être qui impliquerait à la fois la France, à la fois les Etats-Unis pour essayer de régler au plus vite ces problèmes d'approvisionnement en médicaments ».
Question : quels sont, selon les vous, les progrès réalisés par le Cameroun dans la lutte contre le VIH-SIDA ?
Réponse : Les progrès, il y a plusieurs niveaux. Il y a les progrès d'un point de vue scientifique et je pense qu'en matière de recherche dans le domaine du VIH-SIDA les choses progressent très bien avec de nouvelles données importantes pour faire des recommandations aux autorités du pays en matière de prise en charge des patients à la fois adultes et enfants, avec des données qui vont être présentées d'ailleurs durant ces journées scientifiques par les investigateurs camerounais qui travaillent sur ces programmes à l'ANRS. Et puis il y a aussi la prise en charge des patients. Ce matin (lundi, NDLR), nous nous sommes entretenus avec Monsieur le ministre de la Santé des quelques soucis que le Cameroun a en ce moment en matière d'approvisionnement en médicaments, qui nous inquiètent beaucoup, et qui inquiètent aussi Monsieur le ministre de la Santé. Nous sommes en train de réfléchir à trouver une solution peut-être qui impliquerait à la fois la France, à la fois les Etats-Unis pour essayer de régler au plus vite ces problèmes d'approvisionnement en médicaments.
Q : Est-ce que vous estimez l'engagement des pouvoirs publics faible ?
R : Il y a à la fois un problème certainement au niveau des pouvoirs publics d'organisation, de prévoir suffisamment à l'avance. Il est clair que s'il y a un engagement des pays étrangers, j'imagine forcément que ces pays étrangers vont demander à ce qu'il y ait un véritable plan d'action au niveau des autorités du pays pour que ce type de situation ne se reproduise plus dans le futur. Et il faut dire aussi que du côté international il y a eu quelques modifications, une nouvelle organisation au niveau du Fonds mondial qui, peut-être aussi, a joué un rôle dans cette situation au Cameroun aujourd'hui. La dernière fois que j'étais venue ici, j'avais essayé de parler avec un certain nombre de décideurs du pays sur la situation particulière des homosexuels au Cameroun, avec une politique un petit peu répressive vis-à-vis de ces populations. C'est un sujet extrêmement sensible, difficile au Cameroun. Il y a eu une petite évolution à ma connaissance depuis ma venue, avec certains homosexuels qui ont été libérés de prison. Ce n'est pas suffisant, il faut encore continuer. Il faut apprendre progressivement à la population camerounaise de tolérer tout simplement les autres et de leur donner les mêmes droits à la vie.
Q : Etes-vous plus inquiète pour la disponibilité des médicaments eu égard à la persistance de la crise de la zone euro qui fait penser que les financements au niveau du Fonds mondial vont pouvoir diminuer ?
R : Nous sommes bien sûr inquiets. Et cette inquiétude est partagée au niveau international de toute la communauté VIH-SIDA. Elle est là aussi cette communauté pour faire passer des messages. On ne peut pas arrêter tous ces efforts internationaux qui se sont mis en place depuis des années, pour cette politique d'accès universel aux soins, à la prévention et au traitement pour tous et pour toutes. Ça serait un véritable gâchis d'arrêter tous ces efforts et ce d'autant plus qu'on commence à voir les bénéfices de ces efforts aujourd'hui à travers bien évidemment dans certains pays une diminution de l'incidence et de la prévalence de l'infection liées justement à cet accès au traitement dans les pays à ressources limitées. Mais il faut aussi qu'il y ait un engagement de ces pays. Il faut à la fois les efforts internationaux, mais il va falloir aussi un véritable engagement, une mobilisation de ces pays.
Q : Concrètement, ça veut dire qu'il faut accroître les ressources nationales ?
R : Il faut accroître les ressources. Concrètement aussi, il faut trouver de nouveaux mécanismes pour financer justement cet accès aux soins, à la prévention et au traitement pour tous. La France par exemple a annoncé l'année dernière à la conférence internationale sur le SIDA, la mise en place concrète de la taxe sur les transactions financières. Pour l'instant, il y a onze pays qui ont adhéré à la mise en place de cette taxe. Une partie de cette taxe va être pour la santé globale. Ça c'est ce que j'appelle des financements innovants. Dans les pays aussi à ressources limitées, il faut penser à des financements innovants.
Q : Co-découvreur du virus du SIDA avec le Pr. Luc Montagnier et Prix Nobel de médecine avec ce dernier, comment voyez-vous la situation dans les cinq, dix, voire les vingt ans à venir ?
R : Avec les traitements actuels, avec tous les outils que la recherche a apportés, on devrait pouvoir aller vers un monde sans SIDA autour des années 2050. Ça c'est de la théorie. Il faut tendre au maximum vers cela, à travers des politiques nationales et internationales.
Q : Donc, on peut rêver que d'ici à cette date un vaccin sera trouvé ?
R : Il ne faut pas se leurrer, il faut aussi continuer la recherche en parallèle : la recherche d'un vaccin, vous venez de le citer, la recherche aussi de nouveaux traitements que les patients pourraient arrêter et donc qui auraient un double bénéfice, un bénéfice pour les patients, parce que c'est dur de prendre un traitement à vie ; un bénéfice bien sûr aussi économique, puisque si c'est un traitement qu'on peut arrêter, ce serait moins cher ; et un bénéficie aussi collectif, puisque lorsqu'on est traité, on transmet moins aux autres. F
Les dernières réactions Nombre total de réactions: 0 |
Sans commentaire.
|
Voir les commentaires |