Patrick Modiano, « le nouveau Proust », lauréat du prix Nobel de littérature
French.china.org.cn | Mis à jour le 12-10-2014
L'écrivain français Patrick Modiano a remporté le prix Nobel de littérature jeudi pour ses romans énigmatiques ancrés dans le traumatisme de l'occupation nazie et de sa propre enfance dénuée d'amour.
Cet auteur de 69 ans, père de deux enfants, est l'un des plus célèbres de France. Connu pour sa timidité et sa douceur, il a trouvé « un peu irréel » d'être annoncé vainqueur du prix Nobel, comme si cela arrivait à quelqu'un d'autre.
L'Académie suédoise a rendu hommage à « l'art de la mémoire » avec lequel il a décrit la vie des gens ordinaires vivant sous l'occupation nazie pendant la Seconde Guerre mondiale.
« Il est en quelque sorte le Marcel Proust de notre temps », a déclaré Peter Englund, secrétaire permanent de l'Académie, en faisant l'éloge d'un corpus d'œuvres qui « se parlent les unes aux autres et qui se répondent sur la mémoire, l'identité et la recherche. »
« Ce sont des livres courts … toujours des variations sur le même thème : la mémoire, la perte, l'identité, la recherche », a déclaré M. Englund.
S'exprimant à Paris quelques heures l'annonce, l'écrivain a exprimé sa surprise aux journalistes.
« Cela me semble un peu irréel d'être confronté avec des gens que j'ai admirés », a-t-il déclaré, en référence à d'autres auteurs français comme Albert Camus, qui a remporté le prix Nobel en 1957.
Un archéologue littéraire
L'auteur, qui a dédié sa victoire à son petit-fils suédois, a ajouté : « C'était comme une sorte de dédoublement avec quelqu'un qui s'appelait comme moi. »
Le président français François Hollande a félicité l'écrivain pour ce prix qui « consacre une œuvre qui explore les subtilités de la mémoire et de la complexité de l'identité ».
Le premier ministre Manuel Valls a salué « la littérature courte et incisive » de l'auteur, qui est selon lui « l'un des plus grands écrivains de ces dernières années ».
Antoine Gallimard, directeur de la maison d'édition qui publie Patrick Modiano en France, a déclaré à l'AFP que l'auteur avait réagi à la nouvelle avec sa « modestie coutumière ».
Ce prix fait de lui le quinzième lauréat français du Nobel de littérature, qui est récompensé d'une somme de huit millions de couronnes suédoises (1,1 million de dollars). Douze auteurs américains ont déjà été récompensés.
Patrick Modiano a décrit à l'occupation durant la Seconde Guerre mondiale de « sol sur lequel j'ai grandi ».
Son père Alberto Modiano était un Juif italien ayant des liens avec la Gestapo, ainsi qu'avec des gangs du crime organisé, à qui le port de l'étoile jaune a été épargné. Sa mère était une actrice flamande nommée Louisa Colpeyn. Le couple s'est rencontré à Paris en 1942.
Leur fils Patrick est né trois ans plus tard, à la fin de la guerre, dans la banlieue parisienne de Boulogne, dans une famille dont les origines complexes constituaient le terrain de son obsession envers cette période sombre de l'Histoire.
« Un peu irréel »
Publié quand il avait 22 ans, en 1967, son premier roman La place de l'Étoile, était une référence directe au symbole honteux infligé aux Juifs.
C'était la première de ses nombreuses reconstitutions du Paris en guerre, méticuleusement détaillées avec des noms de rues, des cafés, des stations de métro et des affaires criminelles de l'époque, qui lui ont valu le surnom d'archéologue littéraire.
Ses romans sont aussi remplis d'énigmes et de clins d'œil au lecteur : un critique a compté cinq personnages de cinq romans différents qui avaient le même numéro de téléphone.
L'œuvre de Modiano est également hantée par la froideur de son éducation, qui l'a amené à dire en plaisantant que sa mère était si glaciale que son chow-chow s'était suicidé en se jetant par la fenêtre.
Peter Englund a qualifié Modiano d'écrivain qui « s'inscrit dans la tradition de Marcel Proust, mais à sa propre manière ».
« Ce n'est pas quelqu'un qui croque dans une madeleine et tout revient à sa mémoire », a-t-il déclaré à l'AFP, en référence à la célèbre anecdote de La recherche du temps perdu de Proust, où une madeleine trempée une tasse de thé déclenche une ruée de souvenirs d'enfance. « Au contraire, c'est quelqu'un qui se bat pour reprendre contact avec le passé. »
Aîné d'une famille de deux garçons, Patrick Modiano a passé de longues années malheureuses en pensionnat. Son bien-aimé frère Rudy est mort en 1957, lorsque l'auteur était encore un jeune garçon, et il a dédié ses premières œuvres à sa mémoire.
À 17 ans, Patrick Modiano a coupé tout lien avec son père, qui est mort 15 ans plus tard et qu'il a pris à partie dans plusieurs de ses livres.
Encore adolescent, Modiano a quitté l'école et a commencé à écrire à la main, comme il a continué à le faire tout au long de sa vie.
« Je n'avais pas encore 20 ans mais ma mémoire précédait ma naissance », a-t-il écrit.
« Cœur sec »
Bien que son enfance ait été une riche source d'inspiration, l'auteur souligne qu'il ne s'adonne pas à la pitié ou à la recherche spirituelle.
« Je n'ai rien à confesser, rien à élucider et je n'éprouve aucun goût pour l'introspection et les examens de conscience », a-t-il déclaré.
« J'écris ces pages comme on rédige un constat ou un curriculum vitae, à titre documentaire et sans doute pour en finir avec une vie qui n'était pas la mienne. »
En 1972, il a reçu le Grand prix de l'Académie française pour Les Boulevards de ceinture, et le prestigieux prix Goncourt en 1978 pour Rue des boutiques obscures.
En 1996, il remporte le Grand prix national des lettres pour l'ensemble de son œuvre. Son dernier livre, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, a été publié ce mois-ci.
En dehors d'une longue série de livres, au début des années 1970, Patrick Modiano a coécrit le scénario de Lacombe Lucien, un film réalisé par Louis Malle sur la collaboration française avec les nazis.
Bien que traduit en plus de 30 langues, il est connu pour sa réticence à s'exprimer en public et il a refusé d'entrer à l'Académie française.
Patrick Modiano recevra son prix lors d'une cérémonie officielle organisée à Stockholm le 10 décembre, jour anniversaire de la mort du fondateur du prix Alfred Nobel en 1896.
Le prix Nobel de littérature avait été attribué l'an dernier à la nouvelliste canadienne Alice Munro.
Les dernières réactions Nombre total de réactions: 0 |
Sans commentaire.
|
Voir les commentaires |