Calcul au boulier, la sagesse chinoise par les doigts

Par : Yann |  Mots clés : boulier, patrimoine culturel, UNESCO
French.china.org.cn | Mis à jour le 11-02-2014

Un cours de calcul au boulier dans l'école Dawei.

Le calcul au boulier a été inscrit sur la Liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité le 4 décembre 2013, selon une résolution adoptée lors de la 8e session du Comité intergouvernemental pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO.

Ce que l'on appelle « zhusuan » en chinois, est une méthode de calcul au moyen d'un boulier. Joseph Needham, sinologue britannique qui inventa le concept des « quatre grandes inventions chinoises », qualifiait de « cinquième grande invention » le boulier chinois.

La Chine et son boulier

Il est à noter que le boulier n'est pas uniquement chinois. De nombreux pays inventèrent également des outils de calcul similaires au boulier chinois. Ainsi le Japon et la Russie ont aussi leur propre boulier.

Le boulier chinois est formé d'un cadre rectangulaire muni de rangées de boules de comptage toutes égales en nombre. Ces boules coulissent sur des tiges appelées « échelons » (en général, neuf, onze ou quinze), et sont séparées par une barre horizontale, au-dessus de laquelle la tige a deux boules représentant chacune cinq unités, et au-dessous, cinq boules représentant chacune une unité.

Au XIVe siècle, le boulier était déjà très répandu en Chine. De nombreux livres avaient fait la synthèse des techniques et règles de calcul antiques. Le domaine d'utilisation de celui-ci commença alors à s'étendre du domaine du commerce au domaine scientifique. Parmi ces livres, celui qui a eu le plus d'influence est certainement Résumé général de l'algorithme par les doigts écrit en 1592 de Cheng Dawei, un commerçant de la province de l'Anhui.

Grâce à l'amélioration des techniques du calcul au boulier sous la dynastie des Ming, le calcul est devenu très populaire. Le calcul au boulier était enseigné dans les écoles publiques et privées, et même chez les apprentis artisans. Ainsi, le calcul au boulier put être rapidement propagé au niveau du peuple et même répandu à l'étranger.

En effet, dès le début du XVe siècle, le boulier chinois fut introduit progressivement au Japon, en Corée, au Vietnam, en Thaïlande, et eut une influence importante sur le développement des mathématiques dans ces pays. Plus tard, il fut répandu à l'Occident par des commerçants européens. Aujourd'hui, le 8 août de chaque année, le peuple japonais, qui considère Cheng Dawei comme « le dieu du calcul au boulier », organise un défilé à sa mémoire. Les scientifiques de tous les pays reconnaissent unanimement que la Chine est le pays natal du boulier.

Influence de la culture du calcul au boulier

Avec le développement de la société commerciale, le boulier a fait son apparition partout dans la vie quotidienne. À Huizhou, ville natale de Cheng Dawei, les commerçants ont l'habitude d'attacher sur leur pipe une petite décoration de boulier pour signifier que « les bons comptes font les bons amis ». Le zhusuan n'est donc plus seulement une technique, mais est déjà porteur d'une certaine sagesse et fait partie de la culture chinoise.

Dans le Musée du calcul au boulier de Dawei, non loin de l'ancienne résidence de celui-ci, en plus du livre classique Résumé général de l'algorithme par les doigts, on trouve une grande variété de bouliers à différents usages, dont le plus grand possède 81 échelons et est long de 1,75 m. On dit qu'il pouvait être simultanément utilisé par neuf vendeurs. Le plus petit est le « boulier à bague » fabriqué sous la dynastie des Qing (1644-1911), a neuf échelons et mesure seulement 19 mm de long. Les boules, aussi petites que le millet, ne peuvent être déplacées qu'avec une aiguille. Le « boulier rond » datant de la dynastie des Qing rompt l'idée reçue que tous les bouliers sont de forme rectangulaire. Celui-ci possède 50 tiges, soit 50 échelons le long de la circonférence, et 300 boules. On dit qu'en plus de calculer de formules mathématiques à grands chiffres, il a beaucoup d'autres fonctions : il peut se transformer en jeu d'échecs, en objet d'art et même en outil pour chasser les démons et pratiquer la divination ! Le boulier dit de la « pochette d'aiguille et de fil » n'a ni cadre ni barre horizontale. Toutes les tiges sont fixées sur un morceau de toile. Quand la toile se déploie, on découvre le boulier, et en s'enroulant, elle devient une « pochette d'aiguille et de fil ». Il existe encore le boulier muet fait en caoutchouc ou bien le boulier pour les aveugles mais aussi le boulier à neuf étages pour faire de très gros comptes...

On peut dire que les différentes formes de boulier prouvent l'importance de cet outil dans la vie et le travail en Chine. Mais ce n'est pas tout ! La langue chinoise a également hérité de nombre d'expressions en rapport avec le calcul au boulier. Beaucoup d'expressions telles que « compter les fiches », « préparer les fiches », « frapper le calcul » signifient « prévoir ». Le mot boulier peut signifier aussi « plan », « peu importe que 3x7 fassent 21 » équivaut à « peu importe qu'il pleuve, qu'il neige ou qu'il vente » et beaucoup d'autres expressions.

Après que le boulier chinois soit entré dans la liste de l'UNESCO, la mode du boulier a commencé à se développer en Chine. Un vendeur du site Taobao déclare même que depuis l'entrée sur la liste de l'UNESCO ses bouliers se vendent très bien alors qu'avant peu de personnes n'en achetaient. Lors d'une vente aux enchères de la maison Zhongjia de Beijing, un boulier fait en bois de poirier et un boulier en jade de l'époque Qing se sont vendus respectivement à 168 000 yuans et 160 000 yuans et ont battu le record de prix pour ce genre d'enchères. D'après les experts, l'entrée dans la liste de l'UNESCO du boulier chinois a beaucoup aidé au renouveau du boulier sur le marché de la collection. Dans le même temps, les vrais bouliers anciens se font de plus en plus rares, mais le prix pour les bouliers chinois a encore de la marge pour augmenter sur le marché des collectionneurs.

Débat sur la sauvegarde

« Un plus un, deux plus deux, trois plus trois », en entrant dans la classe de CP de l'école Dawei de la ville de Huangshan dans l'Anhui, on entend les élèves en train d'apprendre à compter sur un boulier avec leur professeur Wang Suqiu.

L'école Dawei a pris ce nom pour honorer la mémoire de l'inventeur du boulier chinois. Depuis 1994 on y met en place des cours de calcul avec boulier, calcul par cœur et calcul par récitation. En 2012 professeur Wang a été gratifiée du titre d'« héritier national » de la méthode de calcul au boulier de Cheng Dawei ».

Aujourd'hui, les écoles donnant des cours pour apprendre à calculer au boulier ne sont pas très nombreuses. À cause de l'apparition des calculatrices, le boulier a été écarté de la vie des Chinois. En 2001, le ministère de l'Éducation a promulgué un texte sur les Normes pour les cours de mathématiques dans l'enseignement obligatoire. Les techniques de calcul au boulier ont été supprimées du programme de l'école primaire. Aujourd'hui il ne reste que quelques rares écoles ou instituts de finance et comptabilité qui proposent encore ce cours.

C'est pourquoi, après l'entrée du boulier chinois sur la liste du patrimoine immatériel de l'UNESCO, la sauvegarde de cette culture pose encore beaucoup de questions.

« Comme beaucoup d'autres éléments du patrimoine immatériel, l'environnement social dont dépendaient le système de transmission et le mode de diffusion du calcul au boulier n'existe guère plus ou bien a connu un changement trop important pour qu'il puisse y survivre. Nous ne sommes plus en mesure de recréer une société dans laquelle on utiliserait les bouliers. Mais on peut s'efforcer de réfléchir à comment les préserver », explique Fang Lishan, chercheur aux Archives culturelles et historiques de la province de l'Anhui.

Wang Chaocai, secrétaire général de la World Association of Abacus and Mental Arithmetic, explique les raisons du succès de l'entrée du boulier chinois dans la liste de l'UNESCO. Il a participé au processus de demande. « Après moult discussions, nous avons conclu que protéger la culture du boulier chinois n'était pas qu'une question de reconnaissance par le peuple chinois d'un héritage particulier ni de respect pour notre histoire, mais que c'était également une manière de redécouvrir et étudier la pensée mathématique qui se cachait à l'intérieur. Que ce soit d'un point de vue de développement intellectuel ou de façon de penser, nous avons pu ouvrir d'autres façons de protéger cet héritage et nous avons obtenu la reconnaissance de l'UNESCO pour cela. »

Aujourd'hui la culture du calcul au boulier chinois est transmise par le biais du calcul mental « à la manière du boulier ». Professeur Wang explique que de moins en moins d'enfants apprennent à compter sur un boulier, mais que de plus en plus d'enfants apprennent à calculer mentalement comme sur un boulier. C'est ce que l'on appelle « le calcul mental à la manière du boulier ». Cela revient en fait à utiliser la méthode de calcul du boulier chinois mais de façon mentale. Cette méthode permet de développer les facultés intellectuelles des enfants, la vivacité de leur esprit et la vision abstraite de l'espace. C'est pour cela que beaucoup de parents s'y intéressent. Actuellement, dans la seule ville de Huangshan le nombre d'enfants apprenant l'arithmétique avec cette méthode est d'à peu près quatre mille.

« Le meilleur âge pour apprendre à calculer mentalement de cette façon est 5 ans, il suffit d'apprendre un ou deux ans et les habitudes que les enfants prendront en calcul leur serviront toute leur vie », déclare professeur Wang. Et pour que ses élèves s'entraînent à penser plus vite, elle leur demande maintenant de manipuler le boulier avec les deux mains pour qu'ils fassent travailler leur cerveau droit et leur cerveau gauche en même temps.

L'apparition de la méthode de calcul mental par le boulier a permis à celui-ci de trouver une utilité dans la société moderne. Cette technique de calcul ancienne n'est plus vue aujourd'hui comme un outil de calcul, mais comme un moyen de développer l'intelligence des enfants. Faire entrer le boulier dans les écoles par le biais de la méthode de calcul mental par le boulier a permis la transmission de cette culture.

Du 10 au 15 juin 2011 professeur Wang a amené ses élèves à un évènement organisé par le ministère chinois de la Culture : « Le feu qui renaît de ses cendres », une grande démonstration présentant les transmetteurs et héritiers du patrimoine immatériel chinois. Le nombre de visiteurs y a dépassé les 10 000.

D'après les données de l'association pour le boulier chinois, beaucoup de spécialistes étrangers ayant assisté au concours international de calcul mental par le boulier ont rapporté cette technique dans leur pays pour faire faire de l'entraînement mental aux enfants. D'après les statistiques, il y a une vingtaine de pays qui utilisent cette méthode pour enseigner l'arithmétique.

En ce qui concerne le duel entre le boulier et la calculatrice, le président de l'association shanghaienne de calcul au boulier et de calcul mental Zhang Dehe et d'autres spécialistes estiment que la calculatrice électronique ne peut pas complètement remplacer le boulier, et qu'utiliser à la fois la calculatrice et le boulier n'est pas contradictoire en soi. Il donne trois arguments : le premier est que la capacité de calcul d'un boulier n'est pas moins grande qu'une calculatrice, surtout pour les additions et les soustractions mais aussi les multiplications à un chiffre. Le deuxième est que le boulier peut aider à faire de l'éveil pour les enfants et entrainer les comptables à calculer plus vite. Le troisième c'est que le boulier n'ayant pas de batterie ne crée pas de radiations et est donc plus écologique qu'une calculatrice.

Pourtant, comme le calcul arithmétique par le boulier n'est pas dans les programmes du ministère de l'Éducation, beaucoup de professeurs s'inquiètent de son utilité dans leur pédagogie et préfèrent donc mettre cette méthode de côté. Professeur Wang avoue que si elle ne travaillait pas dans la région, elle n'aurait certainement pas réussi à tenir jusqu'à aujourd'hui.

Étant une jeune héritière de cette culture, elle se sent fière de son rôle mais ressent aussi beaucoup de pression. « J'ai la chance de faire partie d'une époque où on reconnaît et protège ce genre d'éléments de patrimoine culturel. » Toutefois, la transmission de cet héritage nécessite que des hommes et des femmes soient au cœur de ce processus de « ravivage du feu ». Elle estime que les connaissances sur le boulier chinois ne sont pas encore assez répandues dans la société et espère pouvoir faire des évènements pour mieux le faire connaître. Elle attend que le calcul au boulier redevienne un jour un cours obligatoire à l'école chinoise.

 

LI YUAN

 

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